SECTION
DU CONTENTIEUX
DEFENSE
POUR
: La Ministre de la Culture et de la Communication,Défenderesse,
SCP LYON-CAEN FABIANI THIRIEZ
CONTRE
: La Société GR.A.C.E. "Groupement
des Artistes et Concepteurs-Créateurs denvironnements
"
Demanderessesur la requête n° 203.626
POUR:
FAITS
Le
recours de La Société Civile "Groupement
des artistes et concepteurs-créateurs denvironnements",
GR.A.CE. met en cause la légalité de larticle
1er du décret n° 98-1040 du 18 novembre 1998
pris pour application de larticle L.321-9 du Code
de la propriété intellectuelle, et portant
modification de la partie réglementaire de ce Code.
Larticle L.321-9 du Code de la propriété
intellectuelle est issu de larticle 38 alinéas
5 à 7) de la loi du 3 juillet 1985 relative aux droits
dauteur et aux droits des artistes-interprètes,
des producteurs de phonogramme et de vidéogramme
et des entreprises de communication audiovisuelle.
Il sagit dun des mécanismes les plus
originaux de cette loi (selon la présentation de
Bernard Edelman " Droits dauteur, droits voisins
- Dalloz 1993, page 259>.
Cette disposition oblige les sociétés de perception
et de répartition des droits à affecter certaines
des sommes quelles recueillent à des actions
daide à la création, à la diffusion
du spectacle vivant et à des actions de formation
dartistes.
Le projet de loi navait pas envisagé celle
hypothèse et cest à linitiative
de la Commission des Lois de Assemblée Nationale
que ce texte a vu le jour, dans sa première mouture
qui prévoyait de contraindre les sociétés
de perception et de répartition à utiliser
une partie des rémunérations perçues
au titre de la licence régale et de la rémunération
pour copie privée " à des actions daide
à la création et à la diffusion présentant
un intérêt économique pour leurs sociétaires
".
Dans son rapport, M. Richard justifiait linstitution
dune telle obligation pour "rétablir un
équilibre rompu par de nouvelles formes de diffusion
des oeuvres. Les conséquences de ce phénomène
sont, dune pan; un manque à gagner pour les
différents ayants droit et dautre pan, une
diminution de lactivité des professions concernées.
Dans ces conditions il est normal quune partie des
nouvelles rémunérations perçues soit
utilisée à des actions
dintérêt professionnel permettant daccroître
lactivité dans un secteur économique
en difficulté" (Rapport Richard n0 11- 2.230
page 65).
Cet amendement de la Commission des Lois ayant été
adopté, sa définition a été
élargie par le Sénat, dune part en supprimant
toute référence àlintérêt
économique des sociétaires, et dautre
part en ajoutant quune aide doit être apportée
~à la diffusion du spectacle vivant ~. Le législateur
ayant ainsi entendu faire bénéficier de ces
ressources tout spectacle qui ne résulte pas lui-même
dun enregistrement préalable, et enfin en précisant
que ces aides serviraient également à la "formation
dartistes " en général.
Concrètement, comme le soulignait le ministre, il
sagissait pour les professions de la musique par exemple,
" dactions de promotion générale
de la profession (comme les Victoires de la musique équivalentes
aux Césars du cinéma) des aides aux premières
productions de nouveaux auteurs et artistes...
Le texte de larticle 38 alinéa 5 à 7
de la loi de 1985 a été codifié sous
larticle L.321-9 du Code de la propriété
intellectuelle.
Il a fait lobjet dune refonte à loccasion
du vote de la loi n0 97-283 du 27 mars 1997 (article 4)
et est rédigé désormais de la manière
suivante:
"Ces sociétés utilisent à des
actions daide à la création, à
la diffusion du spectacle vivant et à des actions
de formation des artistes:
10 25 % des sommes provenant de la rémunération
pour copie privée;
20 la totalité des sommes perçues en application
des articles L. 122-1 O, L.132-20-1, L. 214-1, L.217-2 et
L.311-1 et qui nont pu être réparties
àlexpiration du délai pré vu
au dernier alinéa de larticle L.321-1.
Elles peuvent utiliser à ces actions tout ou partie
des sommes virées au 2e ~ compter de la fin de la
cinquième année suivant la date de leur mise
en répartition, sans préjudice des demandes
de paiement des droits non prescrits.
La répartition des sommes correspondantes, qui ne
peut bénéficier à un organisme unique,
est soumise à un vote de lassemblée
générale de la société, qui
se prononce à la majorité des deux tiers.
A défaut dune telle majorité, une nouvelle
assemblée générale, convoquée
spécialement à cet effet, statue à
la majorité simple.(L.n. 97-283, 27 mars 1997,
art.4) Le montant et lutilisation de ces sommes
font lobjet, chaque année, dun rapport
des sociétés de perception et de répartition
des droits au ministre chargé de la culture. Le commissaire
aux comptes vérifie la sincérité et
la concordance avec les documents comptables de la société
des informations contenues dans ce rapport. Il établit
à cet effet un rapport spécial."
Pour lapplication de cette disposition, et dans le
souci de tirer les conséquences de lexpérience
des services du ministère chargé de la culture
(dont les rapports périodiques rendant compte de
lactivité de perception et de répartition
des sociétés en cause ayant montré
quune harmonisation des documents financiers serait
de nature à améliorer la transparence de leur
gestion) un décret a été élaboré,
en concertation étroite avec tous les intervenants
dans ce domaine, et notamment une vingtaine de sociétés
de perception et de répartition des droits, dans
le but non seulement dharmoniser la présentation
des documents financiers de ces sociétés mais
aussi de renforcer les possibilités de contrôle
de lutilisation des sommes affectées au titre
de larticle L.321-9 du C.P.I.
Ce décret n0 98-1040 du 18 novembre 1998 soumis au
Conseil dEtat a notamment inséré un
article R.321-9 dans la partie réglementaire du C.P.I.
qui fait lobjet du recours de la Société
GR.A.C.E.
Larticle R.321-9 contesté a la teneur suivante:
"Laide à la création mentionnée
à larticle 1.32 1-9 sentend:
" a) Dune part, des concours apportés
à la création dune oeuvre, à
son interprétation, à la première fixation
dune oeuvre ou dune interprétation surunphonogramme
ouun vidéo gramme;
" b) Dautre part, des actions propres à
assurer la défense et la promotion de la création.
" Laide à la formation dartistes
mentionnée au même article sentend de
la formation dauteurs et de la formation dartistes-interprètes
".Cest la définition de laide à
la création qui fait lobjet de la contestation
de la Société GR.A.C.E.
DISCUSSION
Sur la recevabilité du recours de la Société
GR.A.C.E.
I-
Si la société requérante sattache
à montrer quelle aurait un intérêt
lui donnant qualité pour agir il convient de relever
que les dispositions législatives relatives aux sociétés
civiles invoquées par la requérante sont muettes
sur les conditions de leur représentation en justice
(cf. art. 1832 et suiv. du Code civil; art. 48 à
54 de la Loi du 24juillet 1867 et Livre III titre Il du
CPI relatif aux sociétés de perception et
de répartition des droits).
Dés lors les conditions de représentation
doivent être définies par les statuts de cette
société civile: mais la requérante
nen a produit quun extrait (cf. production 6
à lappui de la requête introductive dinstance)
qui est muet sur ce point.
La Société GR.A.C.E. ne justifie pas de lhabilitation
de son gérant, Monsieur Zeitoun, à engager
une telle action en justice.
Le recours de la société est, en létat,
irrecevable.
Par ailleurs, la Société GR.A.C.E. a déposé
une requête intitulée "Requête sommaire
" le 18 janvier 1999 qui na apparemment pas été
complétée par un mémoire complémentaire
dans le délai de quatre mois prévu par larticle
53-3 du décret du 30 juillet 1963. Elle doit être
considérée comme sen étant désistée.
II- Subsidiairement sur le fond, alors que lobjet
de larticle R.321-9 est de renforcer le contrôle
de lutilisation des sommes affectées aux actions
dintérêt général en imposant
aux sociétés de perception et de répartition
des droits, dune part, la description analytique de
cette utilisation, notamment par la mise e~ évidence
des financements répétés, et, dautre
part, en précisant le domaine dutilisation
des sommes affectées à ces actions, la société
requérante nen conteste pas les modalités
et se borne àprétendre que la définition
de laide à la création, mentionnée
à larticle R.321-9 ajouté par le décret
attaqué au C.P.I. ne serait pas conforme à
celle figurant dans la loi de 1985 et reprise par la loi
du du 27 mars 1997.
Elle lui est fait grief à titre principal délargir
considérablement le domaine dutilisation des
fonds par une définition extensive de la notion daide
à la création.
Selon la requête, qui est elliptique sur ce point,
le décret aurait dépassé la volonté
du législateur en prévoyant que laide
à la création pouvait comporter un concours
à la première fixation dune oeuvre ou
dune interprétation sur un phonogramme ou un
vidéogramme.
Linterprétation restrictive du champ dapplication
de lobligation fixée par la loi, telle que
la prône la société requérante,
nest en aucune manière justifiée.
III- Les actions daide à la création,
telles quelles sont visées par le premier alinéa
de la disposition législative, sont conçues
parallèlement aux actions daide à la
diffusion du spectacle vivant et ne peuvent être limitées
àla seule création de spectacles vivants.
Laide à la création implique, bien entendu,
des concours apportés à la création
dune oeuvre, à son interprétation, mais,
peut également comprendre, sans méconnaître
la loi, une aide pour faciliter la première fixation
dune oeuvre ou dune interprétation sur
un phonogramme ou un vidéogramme, cette première
fixation supposant, nécessairement, une prestation
des auteurs et des artistes-interprètes. Cette première
fixation dune oeuvre ou dune interprétation
constitue pour les intéressés un concours
non négligeable à la création et à
sa diffusion ultérieure au regard de la lourdeur
de linvestissement que constitue la réalisation
dun "master ".
Il
ne doit pas y avoir, à cet égard, de confusion
avec laide à la diffusion qui est, effectivement,
limitée par le législateur à la diffusion
du spectacle vivant.
Encore peut-on relever que les "spectacles vivants
" se définissent comme les spectacles qui font
appel, pour laudition ou la vue, ou pour les deux,
par le public réuni dans le lieu du spectacle, à
des artistes-interprètes qui interviennent physiquement
". Toutefois, doivent être considérés
comme spectacles vivants, ceux qui utilisent certains éléments
préenreqistrés voire
télédiffusés en plus de la présence
physique des artistes et, selon un auteur autorisé
(cf. Pierre Chesnais, Spectacles vivants, Juris.classeur
Civ. annexe Propriété littéraire et
artistique, fascicule 1070, note 1), il en est de même
si le spectacle vivant est enregistré soit pour le
son, soit pour limage, soit pour les deux puisque
lenregistrement suppose une performance de lauteur
ou de lartiste-interprète.
Dans ces conditions, devrait-on même considérer
que laide à la création se limiterait
à la création de spectacles vivants, que cela
ne priverait pas de la possibilité daider,
à ce titre, la performance qui serait enregistrée
pour le son ou pour limage.
Le décret attaqué est bien conforme à
la législation applicable.
IV- De la même manière cest à
tort que la société requérante prétend
que le décret ne pouvait pas prévoir dans
le domaine de la formation que la formation aidée
bénéficie aux auteurs comme aux artistes-interpètes.
Le législateur prévoyant "laide
aux actions de formation des artistes " na pas
entendu limiter cette aide à la seule formation des
artistes-interprètes. Si tel avait été
le cas, il laurait précisé. En visant
la " formation des artistes ", la loi y a englobé
les auteurs. En effet, il serait pour le moins paradoxal
de dénier aux auteurs (compositeurs, écrivains,
peintres, sculpteurs, concepteurs...) la qualité
dartistes, comme le prétend la société
GR.A.C.E., sans même tenter une démonstration
du bien-fondé de son affirmation.
Le décret est bien conforme aux dispositions législatives
quil a pour objet de mettre en oeuvre.
V- La société requérante soutient
ensuite que le décret attaqué aurait pour
objet de "légaliser le détournement des
fonds au profit des fonctionnaires du ministère de
la culture" en prévoyant au titre de laide
à la création une possibilité daide
aux actions propres à assurer la défense et
la promotion de la création.
Cette allégation doit être fermement condamnée.
En premier lieu, les développements de ce paragraphe
Il commençant par "le décret tente de
légaliser (p.3. dernier alinéa)" et sachevant
par " ne va pas directement alimenter les entreprises
de fonctionnaires et agents privés du ministère
de la culture " (p.4. dernier alinéa) se composent
exclusivement dinsinuations et dallégations
diffamatoires pour les agents du ministère de la
culture, comme pour le ministère lui-même,
dans des conditions qui justifient que la ministre de la
culture et de la communication sollicite la suppression
de lensemble de ces développements en application
de larticle 41 de la loi du 29 juillet 1881 (cf. un
exemple récent CE 29 juillet 1998 Elections Régionales
de llle de France - Bidalou Req. 195 470).
En second lieu, ces allégations sont au demeurant
totalement infondées. Elles constituent une série
daffirmations qui ne sont ni démontrées
ni justifiées par le moindre commencement de preuve
du sérieux dimputations aussi graves.
Plus sérieusement la ministre exposant soulignera
quen visant les "actions daide à
la création " le législateur na
pas entendu exclure les aides indirectes mais certainement
efficaces pour la création que sont les actions propres
à assurer sa défense et sa promotion. La disposition
litigieuse sinscrit bien dans le cadre législatif,
que le décret attaqué avait pour objet de
mettre en oeuvre.
Le moyen qui se présente dans des conditions inadmissibles
est en outre totalement infondé.
VI- Dans ces conditions, il serait inéquitable
de laisser à la charge de la ministre de la culture
et de la communication les frais irrépétibles
quelle a dû exposer dans le cadre du présent
litige.
La société civile GR.A.C.E. sera condamnée
à lui verser la somme de 15.000 francs en application
de larticle 75-I de la loi du 10 juillet 1991, le
tout avec toutes les conséquences de droit.
PAR CES MOTIFS, et tous autres à produire,
déduire ou suppléer, au besoin doffice,
le ministre exposant conclut quil plaise au Conseil
dEtat
REJETER la requête de la société OR
A.C.E.
ORDONNER la suppression du passage de la Requête commençant
par "Il
- Ce décret tente de légaliser.. ; "
et sachevant par " . .et ne va pas directement
alimenter les entreprises des fonctionnaires et agents privés
du ministère de la culture "
CONDAMNER la société GR.A.C.E. à lui
verser une indemnité de 15.000 francs en application
de larticle 75-1 de la loi du 10 juillet 1991,
le tout avec toutes les conséquences de droit.
pour
la S.C.P. dAvocats au
Conseil d~État et à la
Cour de Cassation
Amaud LYCN-CAEN
Françoise FAB~NI
Frédénc THIRIEZ
LUn dEux
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