Lors de la création dune uvre
audiovisuelle à la production de laquelle participe
un diffuseur en qualité de coproducteur, il est fréquent
que ce dernier impose dans le contrat de coproduction de
voir confier la distribution de luvre sous forme
de vidéogrammes à une de ses filiales, cette
distribution étant alors concédée à
titre exclusif.
Cette exclusivité a pour but de protéger
le diffuseur contre une exploitation des droits vidéo
de luvre par une entreprise concurrente. Cela
permet également de sassurer que la mise sur
le marché de la vidéo de loeuvre audiovisuelle
ne viendra pas perturber la télédiffusion
de luvre..
Cest dans ce contexte quen 1999,
le Conseil de la concurrence (1) a été amené
à qualifier de telles pratiques dententes (2)
et a ordonné à TF1 la suppression des clauses
dexclusivité des droits dexploitation
vidéographique dans ses contrats de coproduction
audiovisuelle tout en la condamnant à une sanction
de 10 MF.
TF1 ayant fait appel de cette décision,
la Cour dappel de Paris (3) vient en tous points de
la confirmer. Selon la Cour, si cette pratique nest
pas en soit abusive, elle peut le devenir notamment
lorsquil apparaît que ses conditions et ses
modalités ont pour objet ou pour effet de neutraliser
toute concurrence sur la marché concerné .
À la question : lexploitation exclusive par
la société TF1 des droits vidéographiques
attachés aux oeuvres audiovisuelles avait-elle pour
effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché
dérivé de lédition vidéographique
? La Cour répond par laffirmative et retient
quatre pratiques démontrant quelles
constituent des ententes qui ont affecté de manière
suffisamment sensible le jeu de la concurrence sur ce marché,
en en limitant laccès mais aussi les débouchés
et la production..
Le
caractère systématique du recours aux clauses
dexclusivité
La Cour sappuyant sur des éléments
statistiques relève quen 1994 et 1995, la société
TF1 a coproduit respectivement 58 et 54 oeuvres de fictions,
5 et 3 uvres danimation, 13 et 14 documentaires.
Elle constate que sur la quasi-totalité de ces contrats
de coproduction, il est prévu que lexploitation
des droits vidéo serait assurée par sa filiale,
TF1 entreprises. Cest donc le caractère systématique
de linsertion des clauses dexclusivité
quelle sanctionne puisque cela permet à TF1
dès la mise en place du projet de se réserver
les droits dédition et de commercialisation
des uvres et ce, alors même que la chaîne
ne sengage pas à exploiter de manière
effective ces uvres.
Labsence
dengagement de la part de la chaîne
Alors que le producteur délégué
lui concède une exclusivité, la chaîne
ne sengage nullement à exploiter effectivement
les uvres sous forme de vidéogramme.
Cet élément, souligne la Cour,
est dautant plus important quavant 1996 (4),
les contrats signés par TF1 ne permettaient pas au
producteur délégué de récupérer
les droits vidéo en cas de non-exploitation par la
chaîne.
Quainsi, TF1 bénéficiait dune
véritable protection contre une exploitation
de ces droits par une entreprise concurrente .
La
durée des droits exclusifs
La Cour relève que la protection est
accrue par les délais inhabituels doctroi de
ces droits exclusifs. Il sagit en effet, de délais
très long allant de 10 à 15 ans, voire 28
ans sagissant de documentaires alors que la durée
habituelle est couramment fixée entre 5 à
7 ans, voire 10 ans maximum.
La
position détenue sur le marché en amont
La société TF1 soutenait que les
pratiques mises en cause navaient quun impact
faible sur le libre jeu de la concurrence et aucune preuve
nétait rapportée de son intention de
fermer le marché .
Or, la Cour relève que du fait de la
position détenue par TF1 sur le marché amont
de la production duvres cinématographiques
ou audiovisuelles françaises, lutilisation
des clauses dexclusivité affecte la concurrence
sur le marché aval de lédition vidéographique
en dépit de la place occupée par les
majors américaines sur le marché
global de lédition vidéo en France,
ces dernières étant totalement absentes du
segment de ce marché relatif aux uvres dorigine
française, seul affecté par les pratiques
en cause.
La société TF1 invoquait pour
sa défense le fait que le contrat entre l'auteur
et le producteur d'une oeuvre protégée emportait
cession au profit de ce dernier des droits exclusifs d'explooitation
de l'oeuvre et qu'en conséquence , la soxiété
TF1 pouvait conserver le raisonnement du Conseil de la concurrence
revenait à nier la véritable qualité
de coproducteur du télédiffuseur, à
le priver des droits correspondants à cette qualité
et à remettre en question le droit de propriété
et le droit dauteur.
Le
droit de la concurrence contre le droit exclusif des auteurs
et producteurs.
La Société TF1 invoquait pour
sa défense le fait que le contrat entre lauteur
et le producteur dune uvre protégée
emportait cession au profit de ce dernier des droits exclusifs
dexploitation de luvre et quen conséquence,
la Société TF1 pouvait conserver lexclusivité
de ces droits et les faire gérer par lune de
ses filiales. La Cour considère que ce droit exclusif
des producteur nest pas contesté,
il nen demeure pas moins que lexercice dun
droit exclusif de reproduction dune uvre protégée
peut se révéler abusif, notamment lorsquil
apparaît que ses conditions et ses modalités
ont pour objet ou pour effet de neutraliser toute concurrence
sur le marché considéré.
Les pratiques de TF1 dans le domaine de la publicité
TV
La décision de la Cour dappel confirme
également la décision du conseil de la concurrence
qui avait considéré que le fait pour TF1 de
concéder à sa filiale TF1 entreprise des conditions
préférentielles de tarif en matière
de publicité télévisée de ses
vidéogrammes constituait également un abus
de position dominante.
La Cour a en effet considéré que
ces tarifs privilégiés, qui nont
pas bénéficié aux éditeurs de
vidéogrammes extérieurs au groupe, constituent
des conditions de vente discriminatoire, de nature à
favoriser artificiellement la filiale de TF1 au détriment
de ses concurrents.
(1) Décision du Conseil de la concurrence
n° 99-D-85 du 22 décembre 1999.
(2) Selon larticle L. 420-1 du Code du commerce :
lorsquelles ont pour objet ou pour effet dempêcher,
de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur
un marché, les actions concertées qui tendent
notamment à limiter laccès au marché
ou le libre exercice de la concurrence par dautres
entreprises , ou à limiter ou contrôler la
production, les débouchés, les investissements
ou le progrès technique sont prohibées .
(3) Cour dappel de Paris, 21 novembre 2000, RG N°2000/06426.
(4) Date à laquelle le CSA a prévu un dispositif
de clarification des contrats passés avec les producteurs
précisant notamment quen labsence de
minimum garanti et si aucune vente na lieu dans les
18 mois à compter de la 1ère diffusion de
luvre sur lantenne de la société
TF1.
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