Cet
article a été publié dans le numéro
de Septembre 2006. Dans la rubrique consacrée à
une sélection des questions écrites des parlementaires
et des réponses des ministres. Nous commentons ces
sujets et les réponses des ministres qui ne disent
pas toujours le droit.
Question. - M. Patrick Delnatte attire lattention
de M. le ministre de la culture et de la communication sur
lapplication de larticle 40 du code des marchés
publics aux activités culturelles. De nombreux élus
locaux sont en effet bien souvent confrontés à
des difficultés de choix concernant les artistes
ou les disciplines artistiques du fait de lapplication
de cette disposition. Lopportunité de cet article
pour les prestations intellectuelles ayant parfois été
mise en doute, il lui demande de bien vouloir lui indiquer
dans quelle mesure une modification de la réglementation
applicable pourrait intervenir sur ce point.
Réponse. (1) -
Lhonorable parlementaire a bien voulu appeler lattention
du ministre de la culture et de la communication sur lapplication
de larticle 40 du code des marchés publics
aux activités culturelles et sur léventualité
dune modification de la réglementation relative
aux modalités de publicité que doivent respecter
les acheteurs publics dans la mise en uvre des achats
portant sur ces prestations. Le 1er septembre 2006 est entré
en vigueur un nouveau code des marchés publics, annexé
au décret pris pour achever la transposition des
directives communautaires n° 2004/17/CE et n° 2004/18/CE
portant coordination des procédures de passation
des marchés publics. Ce code tient compte dans son
article 30 du caractère spécifique de certains
services, au nombre desquels sont compris les services culturels.
La passation des marchés publics qui y sont relatifs
fait ainsi lobjet de dispositions moins contraignantes
que celles qui concernent les autres services, mentionnés
à larticle 29. À ce titre, en application
des dispositions de larticle 30, les marchés
portant sur des prestations de services culturels peuvent
être passés selon la procédure adaptée
prévue à larticle 28, quel que soit
leur montant. Il en résulte que ne leur sont pas
applicables les dispositions des III et IV de larticle
40, qui prévoient une publicité obligatoire
au BOAMP et/ou au JOUE lorsque les prestations dépassent
certains montants. Il revient en conséquence à
lacheteur public de décider librement des mesures
de publicité à mettre en uvre, dans
le but de permettre une mise en concurrence effective. À
cette fin, il doit adapter les modalités de publicité
à chaque cas particulier, ce qui implique de les
déterminer en fonction « de la nature et des
caractéristiques du besoin à satisfaire, du
nombre ou de la localisation des opérateurs économiques
susceptibles dy répondre ainsi que des circonstances
de lachat «. Lorsque le montant des prestations
est inférieur à 4 000 euros hors taxes
ou lorsque les circonstances le justifient, lacheteur
public peut toutefois être amené à décider
que le marché sera passé sans aucune procédure
de publicité ou de mise en concurrence. Cette dernière
éventualité fait notamment référence
à larticle 35-11-8° du code, qui a pour
objet de permettre aux acheteurs publics de passer un marché
négocié sans publicité ni mise en concurrence
préalable lorsque le marché ne peut être
confié « quà un opérateur
économique déterminé, pour des raisons
techniques, artistiques ou tenant à la protection
de droits dexclusivité ». Lensemble
de ces dispositions illustre la prise en compte par la réglementation
de la spécificité des activités culturelles,
même si la jurisprudence administrative peut être
restrictive quant à leur application, au regard des
obligations de mise en concurrence qui simposent à
tous les acheteurs publics.
Commentaire : le moins que lon
puisse dire cest que la réponse du ministre
de la culture manque singulièrement de clarté
et dénote un certain manque de courage politique.
Tout dabord, au lieu dassumer les contraintes
liées à la gestion de largent public
comme nécessaires dans une société
démocratique, et dindiquer que lEurope
ne fait quuniformiser ces contraintes afin de permettre
une réelle concurrence et un réel accès
à la commande publique pour les européens,
nécessaire aux échanges et à lémergence
dune conscience européenne, le ministre indique
seulement que tout cela relève dune contrainte
européenne, une directive que lon se doit dappliquer.
Il nest pas étonnant de voir la France rejeter
lEurope quand nos hommes politiques laccusent
systématiquement de tous les maux et refusent toute
mesure pouvant déranger des habitudes, même
lorsquelles sont exécrables.
Le ministre incite ensuite à avoir une conception
large des textes, tout en ayant lhonnêteté
de conclure sa réponse en rappelant que la
jurisprudence administrative peut être restrictive
quant à leur application . Ce qui signifie
en clair que ceux qui suivent la position ministérielle
ont toutes les chances de se voir sanctionner en cas de
contentieux.
La France est tout de même lun des rares pays
dans lequel les pouvoirs publics appellent aussi clairement
et de façon constante à enfreindre la réglementation.
La nouvelle procédure adaptée
Le nouvel article 28 du nouveau code des marchés
publics organise la procédure dite adaptée.
Cette procédure concerne les marchés dun
montant inférieur aux seuils fixés à
larticle 26 II du code, soit 135 000 Euros pour les
fournitures et services de lEtat, et 210 000 Euros
pour ceux des collectivités territoriales (2).
Pour ces marchés, les modalités de publicité
et de mise en concurrence sont librement établies
par le pouvoir adjudicateur en fonction de la nature et
des caractéristiques du besoin à satisfaire,
du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques
susceptibles dy répondre ainsi que des circonstances
de lachat.
Le pouvoir adjudicataire peut décider dappliquer
les règles de procédure formalisées
de larticle 26-I, mais il peut aussi organiser ses
propres règles de procédure. La jurisprudence
du Conseil dÉtat exigeait dans le cadre du
code précédent, que le pouvoir adjudicateur
soit en mesure de justifier que les procédures de
publicité et de mise en concurrence aient été
à même de générer un nombre doffres
concurrentes suffisant eut égard aux spécificités
du marché.
La procédure adaptée de larticle 30
sapplique aux marchés et accords-cadres ayant
pour objet des prestations de services qui ne sont pas mentionnées
à larticle 29, et cela quel que soit leur montant.
Effectivement les activités culturelles, de loisir
et de spectacles ne figurent pas dans la liste des activités
mentionnées à larticle 29 et peuvent
donc être passées selon la procédure
adaptée.
Peut on se passer de toute procédure ?
Le dernier alinéa de larticle 28 qui organise
la procédure adaptée énonce que le
pouvoir adjudicateur peut décider que le marché
sera passé sans publicité ni mise en concurrence
préalables si les circonstances le justifient ou
si le montant estimé du marché est inférieur
à 4 000 Euros HT, ou dans les situation décrites
à larticle 35.
Peut-on en conclure quil est possible pour les spectacles
de se passer de toute publicité et de toute mise
en concurrence. Nous pensons que cela nest possible
que si les circonstances le justifient. Cela ne nous semble
donc pas pouvoir concerner lorganisation dune
programmation normale, décidée parfois longtemps
à lavance et dans des circonstances ne justifiant
pas labsence de publicité et de mise en concurrence.
Larticle 35 II considère par ailleurs quun
certain nombre de marchés peut être passé
sans publicité préalable et sans mise en concurrence.
Au titre de ces marchés, le 8° vise les
marchés et les accords cadres qui ne peuvent être
confiés quà un opérateur économique
déterminé pour des raisons techniques, artistiques
ou tenant à la protection de droits dexclusivité.
Il nous semble cependant que cette disposition ne modifie
pas sensiblement la question par rapport à létat
du droit antérieur. En effet, il y a toujours eu
des dispositions permettant de soustraire des obligations
liées aux formalismes du code des marchés
publics les marchés ne permettant pas une mise en
concurrence. Ainsi, si une collectivité entend modifier
ou adapter une uvre protégée au titre
du droit dauteur, elle ne pourra confier ladaptation
quau détenteur des droits, ou à une
personne que lauteur ou ses ayants droit autoriseront.
Il en est de même pour un festival consacré
à un auteur qui nécessitera forcément
dobtenir les autorisations, ou si un seul artiste
est en possession des brevets qui lautorisent à
être détenteur exclusif de son instrument original
(exemple des sirènes musicales).
Dans la pratique, le pouvoir adjudicateur ne sadressera
quexceptionnellement aux artistes, mais aux producteurs
de spectacle, et lobligation de publicité et
de mise en concurrence devrait être la règle.
Le respect du code des marchés publics qui simposera
forcément un jour ou lautre dans le secteur
culturel devrait voir émerger des producteurs qui
sorganiseront en centrale dachat de spectacles
afin de bénéficier des dispositions de larticle
31 du code des marchés publics qui dispense le pouvoir
adjudicateur de toute obligation de publicité et
de mise en concurrence.
La position du Conseil dEtat exprimée dans
ses arrêts Commune de Bastia du 8 décembre
1995 (n°168253), ou dans ses arrêts du 23
février 2005 qui avait annulé les précédentes
dispositions des articles 30 et 40 organisant des dispenses
de procédure, na aucune raison de changer.
Le Conseil dEtat a posé un principe général
de publicité et de mise en concurrence. Le nouveau
code des marchés publics a valeur de décret
et aucune raison sérieuse ne justifie de dispenser
le secteur du spectacle de cette obligation, ni ne permet
de penser que les juridiction traiteront différemment
ces nouvelles dispositions.
(1) QAN 5 septembre 2006, p. 9335.
(2) Cet article 26 II prévoit
également un seuil de 210 000 Euros pour les
marchés de service de recherche et développement
pour lesquels le pouvoir adjudicateur acquiert la propriété
exclusive des résultats et quil finance entièrement
et pour les marchés de travaux.
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