Question. – M. Lionel Tardy attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur la présence au sein du collège du CSA de deux journalistes n’ayant pas démissionné de leur poste à France Télévisions. Ils bénéficient toujours d’un contrat de travail au sein de cette entreprise publique : leur « mise à disposition », qui maintient de fait un lien avec France 2, est une situation anormale compte tenu de l’indépendance devant prévaloir parmi les membres du CSA. Face à cette configuration sensible, il souhaite connaître les mesures que compte prendre le Gouvernement afin que soit préservée l’indépendance des membres du collège de cette autorité administrative indépendante.
Réponse. – (1) Les garanties d’indépendance des membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) résultent d’un certain nombre de dispositions législatives. Trois d’entre eux sont désignés par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale et trois par le président du Sénat. Les conditions prévues pour l’exercice de leur mandat à l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication renforcent leur indépendance par rapport aux autorités investies du pouvoir de nomination : il prévoit en effet que les membres du CSA sont nommés pour six ans et que leur mandat n’est ni révocable ni renouvelable. L’article 5 de la même loi instaure un régime strict d’incompatibilités afin d’interdire tout conflit d’intérêts : « Les fonctions de membres du conseil supérieur de l’audiovisuel sont incompatibles avec tout mandat électif, tout emploi public et toute autre activité professionnelle. [...] les membres du conseil ne peuvent, directement ou indirectement, exercer des fonctions, recevoir des honoraires, sauf pour des services rendus avant leur entrée en fonctions, ni détenir d’intérêts dans une entreprise de l’audiovisuel, du cinéma, de l’édition, de la presse, de la publicité ou des télécommunications [...] ». Le non-respect de ces dispositions est passible des peines prévues à l’article 432-12 du code pénal, qui réprime la prise illégale d’intérêts, c’est-à-dire le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public de prendre, recevoir ou conserver un intérêt quelconque dans une entreprise dont elle a la charge d’assurer la surveillance ou l’administration. En l’espèce, les deux membres du CSA ont été détachés par France Télévisions qui a suspendu leur contrat de travail. Le conseil n’a pas considéré que cette situation constituait un manquement aux dispositions précitées de l’article 5 de la loi du 30 septembre 1986 : ils n’exercent plus de fonctions au sein de la société, n’en reçoivent pas d’honoraires et n’y détiennent aucun intérêt. Dans un cas contraire, le CSA eut en effet été tenu de les déclarer démissionnaires d’office à la majorité des deux tiers, ainsi qu’en dispose expressément le quatrième alinéa de l’article 5 de la loi de 1986. En conséquence, le Gouvernement n’envisage pas de prendre des mesures complémentaires pour préserver l’indépendance des membres du CSA.
Commentaire. – L’indépendance du Conseil supérieur de l’audiovisuel suscite autant de débats qu’elle fait l’objet d’un accroissement des textes de référence. N’en déplaise à M. le ministre de la culture, la multiplication de l’encadrement déontologique du CSA ne fait que révéler le non-respect du principe d’indépendance de cette autorité. La présence au sein du collège du CSA depuis janvier 2009 (2) de deux journalistes n’ayant pas démissionné de leur poste à France Télévisions et la réponse plus qu’évasive de M. le ministre sur la question relancent la polémique. Au demeurant, M. le ministre fait l’impasse sur la notion de « mise à disposition » des deux concernés, Madame Françoise LABORDE et Monsieur Rachid ARHAB (2).
Le principe d’indépendance du CSA est pourtant à ce point problématique que cette institution a considéré comme utile d’élaborer un code de déontologie applicable aux conseillers du CSA (3) et plus récemment encore l’adoption d’une charte de déontologie applicable aux agents du CSA (4).
L’article 5 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication instaure des principes déontologiques spécifiques aux conseillers du CSA censé garantir leur indépendance. Il énonce une interdiction particulière d’exercer une activité ou de détenir des intérêts dans certains secteurs économiques proches des missions du CSA. Les membres du CSA «ne peuvent, ni directement ni indirectement, exercer des fonctions, recevoir d’honoraires, sauf pour des services rendus avant leur entrée en fonction, ni détenir d’intérêts dans une entreprise de l’audiovisuel, du cinéma, de l’édition, de la presse, de la publicité ou des télécommunications (5).
Le champ d’application de cette interdiction est très large puisqu’elle vise tous les secteurs de la communication, toutes les entreprises, qu’elles soient publiques ou privées et quelle que soit leur nature (société, association, groupement…), enfin, ainsi que le rappelle pourtant le code de déontologie du CSA, l’interdiction vise toutes les formes de liens (fonctions rémunérées ou bénévoles, honoraires, détention d’intérêts). Or, les deux journalistes concernés détiennent rien moins qu’un contrat de travail avec France Télévision, même suspendu, ce contrat persiste et les journalistes entretiennent bien des intérêts avec France Télévision, puisqu’ils continuent à bénéficier de leur avancement dans leur carrière.
Leur mise à disposition au sein du CSA est génératrice d’un conflit d’intérêts qui rentre bien dans les interdictions rappelées par le code de déontologie du CSA.
Pour écarter cet argument, le ministre de la culture affirme que les deux journalistes n’exercent plus de fonctions au sein de la société, n’en reçoivent pas d’honoraires et n’y détiennent aucun intérêt. Ce faisant, il ne s’explique pas sur la « mise à disposition » des journalistes dans le collège du CSA.
Il y a « mise à disposition » ou « détachement » lorsqu’un fonctionnaire est placé hors de son cadre ou corps d’emploi d’origine mais continue de bénéficier dans ce même cadre de ses droits à l’avancement et à la retraite (6).
Le fonctionnaire peut être placé :
- auprès d’une administration centrale ;
- d’un établissement public de l’État ;
- auprès d’une collectivité territoriale ;
- pour participer à une mission de coopération dans un pays étranger ;
- auprès d’une organisation internationale ;
- auprès d’une entreprise privée ou d’un organisme privé d’intérêt général ou de caractère associatif assurant des missions d’intérêt général.
Les deux journalistes n’ont pas démissionné de leur poste auprès de France Télévisions. Ils y conservent donc leurs droits à l’avancement et divers avantages. Le CSA, en tant qu’autorité administrative indépendante, est un organisme public qui a notamment pour mission de contrôler le respect par France Télévisions de son cahier des charges et de la réglementation de l’audiovisuel. Il a notamment la charge de garantir l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle par tout procédé de communication électronique et veille à la qualité et à la diversité des programmes, au développement de la production et de la création audiovisuelles nationales (4).
Compte tenu de leur détachement au sein du CSA, Madame LABORDE et Monsieur ARHAB sont chargées d’une mission de service public tout en conservant directement un intérêt dans une entreprise dont le CSA à la charge d’assurer la surveillance et l’administration. De plus, l’article 432-12 du code pénal vise également la prise de participation par travail, conseil ou capitaux. Or, en qualité de salarié de France télévision, ils continuent à bénéficier de certains avantages sociaux de l’entreprise.
Il nous semble en conséquence possible d’affirmer que les deux journalistes de France télévision nommés au CSA se trouvent en situation de prise illégale d’intérêts, délit prévu et réprimé par l’article 432-12 du Code pénal (7).
Ce délit est constitué par le seul abus de fonctions, indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel.
L’élément matériel du délit est donc constitué. Les deux journalistes ne pouvaient en outre ignorer que leur contrat les liant à France Télévisions était toujours en place au moment de leur détachement au sein du CSA. D’autant que lorsque de Monsieur Patrick de CAROLIS a été nommé à la présidence de France télévision, il a abandonné tous ses intérêts dans des sociétés de productions audiovisuelles, respectant les exigences de la prise illégales d’intérêt. Il ne s’est pas contenté de suspendre ses contrats.
La réponse du ministre de la culture est d’autant plus absurde qu’à l’issue de leur détachement, ils auront droit à être réintégré dans l’entreprise et devront y recevoir une affectation, ce qui constituera alors éventuellement une nouvelle infraction pénale.
En occultant cette notion de « détachement » et ses conséquences, le ministère de la culture montre simplement son absolu manque d’indépendance.
Le ministre de la culture est un professionnel de l’audiovisuel, il n’entend peut être pas rester trois années en dehors du secteur, après une nomination ministérielle qui est forcément à durée déterminée. Il a régulièrement exercé des fonctions publiques officielles, notamment dans des commissions du CNC, ce qui ne l’a pas empêché de travailler pour des chaînes de télévisions qui bénéficiaient par ailleurs de ces aides.
Cette situation n’est en effet pas nouvelle et de nombreux agents du ministère de la culture étant dans une situation similaire, ce n’est pas lui qui fera avancer la question. Monsieur Hervé BOURGES avait immédiatement après son départ de la présidence du CSA, conclu des accords avec des sociétés de production audiovisuelles, en infraction avec les dispositions relatives à la prise illégale d’intérêt et la loi de 1986 sur l’audiovisuel.
L’actuelle présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée, Madame Sophie CAYLA, avait quitté son poste au CSA pour devenir directrice du Festival de Cannes, association loi 1901 entrant dans l’organigramme du CNC et passant des contrats avec la presque totalité des chaînes de télévision que le CSA était chargé de contrôler. Ceci constituait un pantouflage illégal tant au regard du code pénal qu’au regard de la loi organisant le devoir de réserve des membres du CSA et qui prévoit des obligations encore plus strictes pendant une année suivant la fin des fonctions. L’actuelle directrice adjointe du CNC, Madame Anne DURUPTY, avait également effectué un pantouflage critiquable en quittant le CSA en 2001 et en acceptant un poste d’associé au sein du cabinet de conseil IMCA, spécialisé dans le domaine de l’audiovisuel et de la communication (8) puis en se faisant nommer comme adjointe de Madame CAYLA, après s’être tu sur sa prise illégale d’intérêt.
C’est l’autorité même du CSA qui est atteinte par ces pratiques. Une entreprise à laquelle les structures du CSA intégrant Madame LABORDE et Monsieur ARHAB adressera des observations pourront toujours invoquer leur manque d’indépendance pour critiquer leur décision. ?
(1) QEAN 27 avril 2010, p. 4692 n° 67697.
(2) Décret du 24 janvier 2009 portant nomination au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. JORF du 25 janvier 2009 page 1526. Dans une première édition papier, nous avons indiqué par erreur que Madame Christine KELLY était concernée, il n'en est rien et nous la prions de nous excuser de cette erreur.
(3) Délibération du 4 février 2003. JORF du 23 février 2003 page 03307.
(4) Charte de déontologie applicable aux agents du CSA en date du 11 décembre 2008.
(5) Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication. JORF du 1 octobre 1986 page 11755.
(6) Article 45 TII du statut général de la fonction publique d’État, article 64 TIII du statut général de la fonction publique territoriale.
(7) L’article 432-12 du Code pénal dispose: « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende (…) ».
(8) www.nodula.com , Le petit bréviaire de la corruption au Ministère de la Culture.
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