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en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire du numéro correspondant
Cet article a été publié au numéro 262 correspondant à l'actualité du mois de février 2016.
Le rapport public
de la cour des comptes publié en février 2016 consacre un chapitre aux théâtres
nationaux. Nous en présentons quelques aspects.
Une
identité qui s’estompe face au réseau décentralisé
Le rapport
constate que peu de choses distinguent certains théâtres nationaux de certains
centres dramatiques nationaux., Il relève qu’en l’absence de règles communes
qui leur sont applicables, c’est essentiellement l’importance des moyens
humains, financiers et techniques alloués par l’État qui les distingue,
difficilement pour certaines, des autres structures du réseau dramatique
décentralisé qui comprend également les 39 centres dramatiques nationaux ou
régionaux et les 71 scènes nationales, héritières des maisons de la culture. La
cour des comptes a constaté l’absence de statut uniforme des théâtres
nationaux, elle n’a pas approfondie la question des CDN et des scènes
nationales, du moins sur le plan juridique. En effet, alors que les théâtres
nationaux sont des établissements publics industriels et commerciaux, financés
sur le budget de l’État, les Centres dramatiques nationaux n’ont de national
que le nom, et sont des structures commerciales (SARL ou SA), dont l’État ne
détient ni part ni action, dont les directeurs sont nommés par communiqués de
presse, et perçoivent des subventionnements dont la qualification même pourrait
faire débat. En ce qui concerne les scènes nationales, nombre d’entre elles
sont encore constituées sous forme d’association selon la loi de 1901 et n’ont
de nationales que le nom. On oublie souvent qu’André MALRAUX s’est beaucoup
préocuppé d’assurer la communication de DE GAULLE et de lui attacher les bonnes
grâces du milieu artistique. La meilleure stratégie en la matière consiste à
placer les artistes dans la situation juridique la moins sécurisée possible, ce
qui permet d’en faire des obligés et des assistés. La décentralisation
culturelle, souvent présentée comme la grande oeuvre de Malraux est ainsi basée
sur du vide juridique intégral, si l’on excepte le code pénal qui seul permet
de qualifier juridiquement ces politiques. Jack LANG a ensuite développé cette
mécanique en la portant au pinacle.
Un
manque de cadrage d’ensemble
Quel que soit le
théâtre considéré, la cour des comptes relève que les lettres de mission
adressées aux directeurs sont soit inexistantes, soit reçues dans un délai
compris entre sept mois et un an et demi après la publication des décrets de
nomination. La cour n’en a rescencé que 4 entre 2006 et 2014. Elle note
également que malgré les engagements répétés pris lors de ses précédents
contrôles, aucun contrat de performance n’a été signé pendant les neuf années
de la période examinée (2006-2014), à l’exception du TNS depuis 2005. Or cet
unique contrat qui multiplie les indicateurs (20), sans assigner de priorités à
la direction, n’a rien d’un outil de pilotage stratégique.
Les
règles approximatives de nomination et de départ des directeurs
Les directeurs
(ou l’administrateur à la Comédie-Française) sont nommés par décret du
Président de la République pour un mandat de cinq ans, renouvelable par période
de trois ans. Le processus discrétionnaire auquel obéissent les nominations
peut être à l’origine de situations malencontreuses, comme en témoignent les
conditions chaotiques ayant présidé au départ de Julie Brochen du TNS en
2013/2014. Il peut, en outre, se traduire par la coexistence de deux
directeurs, impliquant le financement d’une double rémunération pendant
plusieurs mois, voire pendant une année entière, comme au théâtre de la Colline
où une codirection transitoire a été organisée entre Alain Françon et Stéphane
Braunschweig entre janvier 2009 et janvier 2010.
Les changements
de direction s’accompagnent également de l’embauche d’un, voire de plusieurs
proches collaborateurs (en général, directeur de la programmation et/ou
conseiller artistique). En raison de la durée du mandat du directeur et, sauf à
introduire des dispositions législatives particulières pour les théâtres
nationaux, ces salariés ne peuvent être embauchés que sous contrat à durée
indéterminée. Ainsi, chaque changement d’équipe conduit à des protocoles
transactionnels coûteux en raison de l’absence de motif réel et sérieux de
licenciement.
Enfin, à l’issue
de leur mandat, il est de tradition que les directeurs sortants qui disposent
d’une compagnie bénéficient automatiquement du conventionnement de celle-ci.
C’est le cas des compagnies de deux directeurs sortants qui ont respectivement
bénéficié de 900 000 € et de 600 000 € échelonnés sur trois ans. Cette
pratique, qui n’est prévue par aucun texte déroge aux règles de droit commun
appliquées à l’octroi de subventions aux compagnies dramatiques. La cour note
que ce type de conventionnement devra, à l’avenir, reposer sur des règles
clairement définies excluant toute automaticité.
Des
obligations de service à clarifier
En matière
artistique, le caractère peu explicite des modalités d’attribution aux
directeurs de l’indemnité forfaitaire pour travaux de mise en scène
(33 000 € annuels), couplé à l’absence de véritable contrôle sur la
réalité du service fait, a pu conduire à des versements contestables. La
clarification des règles d’attribution de cette indemnité apparaît donc
nécessaire. Il en va de même pour les activités extérieures des directeurs. Si
celles-ci peuvent participer au rayonnement des établissements, il semble
néanmoins indispensable, au vu de leur fréquence et de leur durée (jusqu’à huit
semaines consécutives pour l’un des directeurs du Taco), que le ministère
fixe des règles claires quant à la procédure d’autorisation, la durée et la
rémunération devant s’appliquer à ces cumuls d’emplois.
Sur ce point, la
cour n’a pas pris en compte qu’elle mettait le doigt sur une difficulté
intrinsèque à l’institution. En effet, le directeur d’un théâtre national est
un agent public, nommé en conseil des ministres, il est soumis à la loi du 11
novembre 2013 sur les conflits d’intérêt (article 11.7°). Il est également
soumis à l’article 432-12 du code pénal qui sanctionne la prise illégale
d’intérêt.Or, un agent public chargée de la programmation artistique d’un
établissement public n’a pas le droit de se programmer soit même et un décret
ne peut déroger à cette règle. On touche là à l’un des problème de fond de la
gestion publique de la culture. Cette question s’efface en présence d’une
gestion déléguée, mais cette gestion déléguée devrait alors respecter les
règles de la commande publique.
Les
captations audiovisuelles
À l’exception
notable de la Comédie-Française, la cour constate que les captations
audiovisuelles restent peu développées, y compris en vue d’une diffusion sur
l’une des chaînes du service public. Conscient de ce frein supplémentaire à
l’autofinancement, mais aussi à la diffusion des œuvres produites par les
théâtres nationaux, le ministère de la culture s’est engagé à travailler à
l’extension aux autres théâtres nationaux des principes de l’accord conclu
entre la Comédie Française et France Télévisions (un spectacle par an produit
et diffusé sur les chaînes du groupe). Sur ce point, la cour des comptes n’a
pas du avoir connaissance de la condamnation récurrente par les tribunaux,
confirmée par la cour de cassaiton des montages de ces productions qui se font
en violation des droits des artistes interprètes (1). La manière dont procède
la Comédie Française ne saurait constituer un modèle à suivre.
Les
fonctions administratives et comptables
La Cour a relevé
des lacunes dans l’application des règles de la commande publique : du
non-respect des règles de publicité (Odéon, Colline), à l’absence de mise en
concurrence pour certains marchés (Comédie-Française) en passant par le recours
coûteux à des prestataires extérieurs, y compris pour des marchés classiques
comme le nettoyage (Colline).
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
(1) Notamment, Cass. Soc. 10 octobre 2012, n° 11-22893, CA PARIS, 9 mars 2010, n°
08/08475, CA PARIS, 22 juin 2011, n° 10/01294, CA PARIS.
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