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Cet article a été publié au numéro 255 correspondant à l'actualité du mois de Juin 2015.
Le ministère de la culture continue à se structurer. Les aides déconcentrées aux spectacles vivant, qui existent depuis plus de cinquante ans ont désormais une base réglementaire plus sérieuse que les simples circulaires qui les organisaient auparavant. Même si le décret qui institue ces aides (1) n’est pas exempt de critiques, la démarche ne peut qu’être approuvée. Le problème, c’est que si le ministère est conscient qu’il ne lui est plus possible de continuer à agir en dehors de toute règles juridiques positives, il ne veut rien modifier à ses pratiques, et les dispositions réglementaires qu’il organisent sont donc rédigées de façon à contourner certaines règles européennes relatives aux aides d’Etat, ainsi qu’à un certains nombres de principes généraux du droit inhérents à toute démocratie, ce qui les rend fragiles sur le plan juridique.
Les aides au projet
Ce mécanisme concerne une aide ponctuelle attribuée pour soutenir une nouvelle création, pour prolonger la présentation au public d’une création ou pour permettre la reprise d’un spectacle.
Le public visé
L’aide peut être allouée soit à un artiste, une compagnie ou un ensemble professionnel, soit à une entreprise artistique et culturelle à qui des artistes, compagnies ou ensembles professionnels, concepteurs du projet, ont délégué par contrat la responsabilité de la mise en œuvre du projet concerné.
En second lieu, l’entreprise culturelle qui s’est vue déléguer par un artiste la mise en œuvre du projet a déjà en principe la qualité d’entrepreneur de spectacle. Si elle a la qualité de demandeuse de l’aide, pourquoi devrait-elle avoir à justifier d’un autre partenariat? Le ministère souhaite sans doute que les projets associent systématiquement des partenariat, dont acte.
C’est l’aspect le plus flou du mécanisme. Soit une compagnie ou un ensemble professionnel disposent de la personnalité morale. Il s’agit alors d’une entreprise, et il est donc nécessaire que le concepteur du projet lui ait délégué par contrat la responsabilité de la mise en œuvre du projet. Soit il y a une atteinte au principe d’égalité et cette disposition encourt la censure. Les nombreuses compagnies organisées en association selon de loi de 1901 constituées de prête-noms permettant au dirigeant de fait de percevoir des allocations chômages ne seraient pas des entreprises ! Cette vision des choses a trente ans de retard et relève d’un angélisme que l’on croyait disparu. Mais le ministère de la culture ne veut pas tarir la source de subventionnement du spectacle vivant que constitue le régime des intermittents.
Il eut été intéressant que le décret définisse ce que représente juridiquement une compagnie ou un ensemble professionnel.
Les conditions
- Le demandeur doit justifier d’un partenariat avec un ou plusieurs entrepreneurs de spectacles professionnels. En premier lieu, cette disposition nous interpelle puisqu’elle laisse présupposer qu’il existerait des entrepreneurs de spectacles amateurs.
- Lorsqu’il sollicite une aide au projet au titre de la reprise d’un spectacle, il atteste de l’existence de coûts nouveaux et s’engage à assurer un nombre minimal de représentations. Un arrêté doit fixer ce nombre minimum.
Un même demandeur ne peut présenter qu’une demande d’aide au projet par année civile. S’il bénéficie d’une aide, il ne peut déposer l’année suivante une demande d’aide pour un nouveau projet que si le précédent a fait l’objet d’un nombre minimal de représentations.
La création du spectacle ou la reprise d’un spectacle, pour laquelle l’aide a été attribuée, doit intervenir au plus tard le 31 août de l’année civile qui suit le versement de l’aide.
L’aide à la structuration
A la différence de l’aide au projet, ce type d’aide n’est destiné qu’aux « compagnies et ensembles professionnels », notions qu’il se garde bien de définir. Le texte ne vise plus les entreprises.
Le ministère de la culture s’appuie sur la fiction selon laquelle ces compagnies et ensembles professionnels ne seraient pas des entreprises. En effet, les traités européens interdisent ce type d’aide au fonctionnement des entreprises qui ne sont pas liées à un projet précis. Le décret indique que l’aide à la structuration doit contribuer au soutien de l’activité de création et des actions qui y sont attachées. L’aide est accordée pour deux années consécutives et ne peut être renouvelée. Le demandeur doit produire à l’appui de sa demande un programme artistique sur deux ans prévoyant un nombre minimal de créations ou reprises et justifier de la conclusion d’un partenariat avec au moins deux entrepreneurs de spectacles.
Le ministère espère ainsi faire croire que l’aide est liée à un projet artistique spécifique et qu’il ne s’agit pas d’une subvention de fonctionnement. Il est cependant probable que le montant de ces aides reste inférieur aux seuils de minimis. Toutefois, ce seuil se calcule sur trois ans et doit intégrer la totalité des aides publiques perçues à un titre ou un autre. En l’espèce, c’est le producteur qui aura conclu avec un partenariat avec l’artiste qui devra intégrer cette aide dans son compte de cumul.
L’aide au conventionnement
Le conventionnement est destiné à des compagnies et ensembles professionnels confirmés sur le plan artistique et dont les réalisations ont un rayonnement au minimum national. Là encore, pas de référence à la notion d’entreprise culturelle.
Il est accordé pour trois années consécutives. Il peut être renouvelé.
Le demandeur doit justifier, sur les quatre années précédant la demande de conventionnement, d’un nombre minimal de créations ou de reprises ainsi que de représentations. Il doit produire à l’appui de sa demande un programme artistique et culturel sur trois ans qui, d’une part, prévoit un nombre minimal de créations ou de reprises et, d’autre part, décrit les actions en lien avec le travail artistique conduites en direction des publics et des territoires. Il doit de surcroît justifier d’au moins un partenariat stable avec des entrepreneurs de spectacles.
La procédure d’octroi des aides
Les demandes sont adressées aux directions régionales des affaires culturelles (2) du lieu de résidence ou du siège du demandeur et pour les aides au projet auprès de la DRAC du lieu de mise en œuvre du projet.
Ce sont les DRAC qui instruisent les dossiers et les transmettent à la commission consultative compétence, qui donne son avis. C’est au final le préfet de région qui décide. Il doit tenir compte de la qualité artistique du projet ou du programme, puis de ses perspectives de diffusion et de sa viabilité économique.
Il sera donc possible de solliciter du préfet la communication de l’ensemble des dossiers présentés en commission afin de comparer les dossiers acceptés et les dossiers recalés et de vérifier que les dossiers reçus répondaient bien à ces critères. Étant donné la subjectivité de l’appréciation de la qualité artistique d’un projet ou d’un programme, surtout sur le papier, il sera intéressant de voir si une jurisprudence arrive à se dégager un jour afin de permettre le contrôle d’un juge…
Étant donné que les compagnies recalées auront rarement les moyens de saisir un tribunal et que ce moyen ne sera pas le plus efficace pour faire instruire correctement son dossier par les services de la DRAC et espérer une réponse positive à une demande ultérieure, il est probable que les jurisprudences risquent de se faire attendre.
Cependant, il sera sans doute utile de vérifier que les personnes qui instruisent les projets ne sont pas en situation de conflit d’intérêt, de même que les membres des commissions. En effet, l’article 13 du décret organisant le fonctionnement des commissions administratives à caractère consultatif (3) énonce que « Les membres d’une commission ne peuvent prendre part aux délibérations lorsqu’ils ont un intérêt personnel à l’affaire qui en est l’objet. La violation de cette règle entraîne la nullité de la décision prise à la suite de cette délibération lorsqu’il n’est pas établi que la participation du ou des membres intéressés est restée sans influence sur la délibération. »
Les procès-verbaux des commissions devront être détaillés et faire état des interventions des différents membres de la commission. En effet, si l’on se réfère aux fonctionnements actuels de ces commissions, elles comprennent toutes des membres en situation de conflits d’intérêt.
L’article 7.VI de la loi de 1978 indique à cet égard que les membres de la commission et les personnes qui participent aux séances ou qui sont invités à y assister sont tenus au secret des débats et des délibérations. Alors que l’article 2 de la loi organisant l’accès aux documents administratifs (4), telle que modifiée par l’ordonnance du 6 novembre 2014 indique expressément que le droit à communication intègre le droit de se faire communiquer les avis des commissions, lorsqu’un tel avis est obligatoire et que la décision a été prise. De plus, lorsque le motif de l’avis n’est pas mentionné dans la décision, il doit être communiqué au demandeur en cas d’avis défavorable. Les avis qui se prononcent sur les mérites comparés de deux ou plusieurs demandes sont également communicables une fois la décision prise. Les commissions devront donc motiver leurs avis en fait et en droit selon des critères objectifs pouvant faire l’objet d’un contrôle par le juge.
En outre, l’article 14 du décret relatif aux fonctionnement des commission administratives à caractère consultatif (3) énonce que tout membre d’une commission peut demander qu’il soit fait mention au procès-verbal de la réunion de son désaccord avec l’avis rendu.
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
((1) Décret n° 2015-641 du 8 juin 2015 relatif à l’attribution des aides déconcentrées au spectacle vivant, JORF du 10 juin 2015 page 9546.
(2) Pour la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion, il s’agit de la direction des affaires culturelles.
(3) Décret n°2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif.
(4) Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal.
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