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Cet article a été publié au numéro 254 correspondant à l'actualité du mois de mai 2015.
Une décision de la cour de cassation du 15 mai 2015, rendue au visa de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme modifie en profondeur le régime de l’œuvre composite et d’une façon plus générale le droit des auteurs sur leurs œuvres (1). En transformant de fait les juges en critique d’art, elle va rendre encore plus incertain et difficile l’engagement des procédures en matière de protection des droits d’auteur et réserver le recours à la justice aux personnes douées d’une grande patience et de moyens financiers à même de supporter la durée et l’incertitude des procédures.
Un photographe ayant découvert que des reproductions de trois de ses clichés avaient été intégrées, sans son autorisation, dans plusieurs œuvres d’un artiste peintre, a assigné celui-ci en contrefaçon de ses droits d’auteur.
En première instance, le tribunal avait considéré que les œuvres plastiques incorporant les œuvres photographiques préexistantes bénéficiaient de l’exception de parodie.
La cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement, considérant que les photographies bénéficiaient de la protection au titre du droit d’auteur, et condamné l’artiste peintre à payer au photographe une somme de 50 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant des atteintes portées à ses droits patrimoniaux et à son droit moral d’auteur.
Le plasticien avait utilisé dans plusieurs de ses œuvres les photographies en question en les adaptant, incorporant ainsi, en fait des œuvres premières sans le consentement de leur auteur. Une telle réalisation relevait en principe des prévisions du second alinéa de l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle (CPI) qui définit l’œuvre composite comme l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière.
L’article L.113-4 du CPI énonce que l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante. Cela signifie qu’une œuvre composite réalisée sans l’accord de l’auteur de la ou des œuvres préexistantes est en principe une contrefaçon et ne peut de ce fait accéder au statut d’œuvre.
Cela, c’était avant ce nouvel arrêt de la cour de cassation...
En l’espèce, le plasticien contestait avoir porté atteinte aux droits de l’auteur des œuvres photographiques préexistantes en invoquant le droit de parodie, l’exception de citation, le caractère accessoire de l’utilisation réalisée et le principe fondamental de la liberté d’expression garanti par la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
L’exception de parodie
Le droit de parodie est protégé par l’article L.122-5.4° du CPI. L’auteur d’une œuvre divulguée ne peut s’y opposer. En première instance, l’utilisation des œuvres photographiques avait été considérée légale comme constitutive d’une parodie.
Le plasticien soutenait que le but poursuivi était d’utiliser des images publicitaires en les modifiant afin de provoquer une réflexion, un contraste conduisant à détourner le thème et le sujet initial exprimant quelque chose de totalement étranger. La cour d’appel s’est en conséquence livrée à un examen comparatif des photographies initiales et des reproductions des œuvres nouvelles incluant les visuels en cause. Elle a conclu sur ce point que si ces réalisations secondes sont l’œuvre d’un artiste connu pour transformer des images comme symboles du goût d’une société pour le confronter à d’autres images qu’elle ne voudrait pas voir, les utilisations litigieuses ne suffisent pas à caractériser l’existence d’une démarche artistique relevant de la parodie. Le plasticien a en fait conservé les représentations du visage du mannequin présent sur les photographies dans une pose inchangée, sans les priver de leur impact attirant voulu par son auteur, les confrontant seulement à d’autres représentations décalées, généralement d’objets, permettant de s’interroger sur la pertinence de l’attraction induite par l’œuvre première. Cette impression demeure dans les quelques œuvres incriminées qui associent le visage photographié du mannequin à d’autres, y compris dans une œuvre y ajoutant des représentations de corps féminins dénudés. Au demeurant, le plasticien indiquait lui-même dans un entretien publié en 2008 dans un ouvrage avoir « repris pendant quelques années, comme une obsession, la reproduction d’une publicité, un visage féminin qui exerçait sur moi une véritable fascination ». Si une telle démarche peut s’inscrire dans l’appropriation de l’œuvre d’autrui, comme une constante reliant plusieurs œuvres incitant à la réflexion, ces œuvres ne permettent pas d’identifier une parodie ou dérision des œuvres premières au sens de l’article L. 122-5.4° du Code de la propriété intellectuelle, mais apparaissent comme une simple utilisation, non autorisée, des photographies. Dans ces conditions, c’est à tort que les premiers juges ont admis que le plasticien était fondé à invoquer l’exception de parodie.
L’atteinte à la liberté d’expression
La cour d’appel avait considéré que l’exercice de la liberté d’expression artistique est susceptible d’être limitée pour protéger d’autres droits individuels et la reprise de visuels qu’un auteur entendrait contester à travers sa propre création ne saurait raisonnablement lui permettre d’occulter les droits de l’auteur de ces visuels.
Cette liberté est protégée par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme. Les limitations à la liberté d’expression, qui englobe la liberté d’expression artistique, ne sont en effet admises qu’à la condition qu’elles soient proportionnées au but légitime poursuivi, c’est-à-dire rendues nécessaire dans une société démocratique par un besoin social impérieux. La proportionnalité doit être appréciée in concreto en tenant compte, notamment de la nature du message en cause et de l’étendue de l’atteinte portée au droit concurrent.
Le pourvoi du plasticien reprochait à la cour d’appel d’avoir écarté le moyen tiré d’une atteinte injustifiée à la liberté d’expression artistique en retenant que les droits sur les œuvres arguées de contrefaçon ne pouvaient l’emporter sur ceux des œuvres dont celles-ci étaient dérivées sans expliquer concrètement en quoi la condamnation prononcée à l’encontre du plasticien, dont la démarche artistique visait à susciter une réflexion d’ordre social, aurait été proportionnée à l’objectif de protection des droits de l’auteur des photographies de mode. La cour d’appel s’était en effet contentée d’affirmer que les œuvres arguées de contrefaçon ne pouvaient « faute d’intérêt supérieur », l’emporter sur ceux des œuvres dont celles-ci étaient dérivées, sauf à méconnaître le droit à la protection des droits d’autrui en matière de création artistique.
C’est ce dernier moyen qui fonde la cassation. La cour a considéré « qu’en se déterminant ainsi, sans expliquer de façon concrète en quoi la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence commandait la condamnation qu’elle prononçait, la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard » de l’article 10 de la CEDH.
Que reste-t-il de l’œuvre composite ?
Il convient de revoir notre lecture de l’article L.113-4 du code de la propriété intellectuelle. Désormais, l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre première, et de sa capacité à faire valoir que son œuvre justifie d’être protégée.
Que reste-t-il du droit moral ?
Il convient également de revoir notre lecture de l’article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle qui définit le droit moral. Désormais, l’auteur jouit du droit au respect de son œuvre, sous réserve de justifier qu’il ne peut y être porté atteinte au titre de la liberté d’expression artistique.
Cette jurisprudence réintroduit dans notre droit la notion de protection en fonction du mérite. La liberté d’expression autoriserait tout un chacun à utiliser les œuvres bénéficiant de la protection du droit d’auteur sauf si l’auteur justifie en quoi la recherche d’un juste équilibre entre ses droits et ceux de celui qui a utilisé son œuvre sans autorisation justifie la condamnation de ce dernier.
Ce n’est donc plus à l’auteur de l’œuvre composite de justifier de son autorisation à avoir incorporé une œuvre préexistante dans son œuvre, mais au titulaire des droits sur l’œuvre préexistante de démontrer en quoi cette exploitation non autorisée lui cause un préjudice nécessitant une condamnation de l’auteur de l’œuvre seconde au titre de la contrefaçon.
Le caractère absolu du droit moral a vécu et les juges vont devoir apprécier artistiquement et intellectuellement en quoi l’œuvre nouvelle est suffisamment pertinente pour dispenser son auteur de solliciter les autorisations des auteurs des œuvres préexistantes qu’il y aura incorporées.
Il nous semble que cette jurisprudence crée plus de problèmes qu’elle n’en résout et que le débat n’est aucunement clos.
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
(1) Cass. Civ. 1ère, 15 mai 2015, n° 13-27391.
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