Chaque
mois, nous sélectionnons un article que nous mettons
en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire du numéro correspondant
Cet article a été publié au numéro 250 correspondant à l'actualité du mois de janvier 2015.
En 2009, s’est ouverte à Paris l’exposition « Our Body à corps ouverts». Cette exposition, organisée par la société Encore Events, faisait appel à des cadavres plastinés, ouverts, disséqués et mis en scène dans le cadre d’une démarche éducative et pédagogique de la connaissance anatomique. L’exposition avait été interdite pour atteinte à la dignité humaine (1). Suite à cette interdiction, l’organisateur de l’exposition a recherché la garantie de ses assureurs afin d’être indemnisé du préjudice résultant de cette annulation.
La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 février 2013, a rejeté les demandes de garantie de la société Encore Events diligentées contre ses assureurs tout d’abord au motif que le contrat d’assurance conclu pour cette exposition de cadavres non autorisée avait une cause illicite et était en conséquence nul. La cour d’appel avait ensuite rejeté la demande de dommages intérêts fondée sur le non respect par les assureurs de leur obligation de conseil en considérant que la société Encore Event est un professionnel de l’évènementiel, qu’elle était de surcroît assistée pour la souscription du contrat d’assurance litigieux, de son propre courtier d’assurances, que la société organisatrice n’ignorait pas les risques de l’exposition projetée dont elle seule pouvait connaître les caractéristiques, et qu’avant la conclusion du contrat, l’assureur avait interrogé le courtier de la société Encore Events qui lui avait répondu que, présentée depuis 1995 dans le monde entier, l’exposition n’avait jamais rencontré de refus d’autorisation.
Sur le caractère illicite du contrat d’assurance garantissant une exposition de cadavres
L’ordonnance de référé ayant en premier lieu interdit l’exposition avait été rendue le 21 avril 2009. Elle avait considéré que l’exposition était illicite comme contraire aux dispositions de l’article 16-1-1 du code civil, issu d’une loi du 19 décembre 2008. Ce texte énonce que : « Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. » C’est ce même fondement juridique qui avait été retenu par la cour d’appel de Paris, confirmé par la cour de cassation.
La société ENCORE EVENT faisait valoir que cette disposition ne figurait pas dans le code civil en novembre 2008 lors de la conclusion du contrat d’assurance.
Cette position était contestée par les assureurs qui relevaient que le tribunal de grande instance avait considéré que les dispositions nouvelles de l’article 16-1-1 du code civil, d’ordre public, n’avaient fait qu’étendre explicitement au cadavre humain la protection de la dignité et du respect dus à l’être humain découlant de l’article 16 du Code civil, étant observé qu’au moment de la formation du contrat, les articles 16-1 et 16-5 prohibaient déjà la patrimonialisation du corps humain et l’article 16-3 l’atteinte à l’intégrité du corps humain, sans distinguer entre le corps des personnes vivantes et celui des morts.
Le Conseil d’État, dans un arrêt d’assemblée n° 124960 du 2 juillet 1993, avait d’ailleurs, jugé que : « les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s’imposent au médecin dans ses rapports avec son patient ne cessent pas de s’appliquer avec la mort de celui-ci ; qu’en particulier, ces principes font obstacle à ce que, en dehors des prélèvements d’organes opérés dans le cadre de la loi du 22 décembre 1976, et régis par celle-ci, il soit procédé à une expérimentation sur un sujet après sa mort, alors que, d’une part, la mort n’a pas été constatée dans des conditions analogues à celles qui sont définies par les articles 20 à 22 du décret du 31 mars 1978 ; que, d’autre part, ladite expérimentation ne répond pas à une nécessité scientifique reconnue, et qu’enfin, l’intéressé n’a pas donné son consentement de son vivant ou que l’accord de ses proches, s’il en existe, n’a pas été obtenu ; »
Les assureurs concluaient en conséquence que l’utilisation à des fins commerciales de dépouilles et organes de personnes humaines dont il n’a pu être démontré qu’elles y avaient personnellement consenti avant leur décès ou que des personnes autorisées l’avaient fait postérieurement, se heurtaient dès lors aux principes fondamentaux d’ordre public relatifs à la dignité et au respect de l’être humain, qui ne cessent pas avec sa mort et s’attachent donc à son cadavre ; que le contrat d’assurance souscrit pour garantir la tenue de l’exposition organisée par la société ENCORE EVENTS, était illicite dès la formation du contrat, et en conséquence nul pour illicéité de sa cause en vertu de l’article 1131 du Code civil.
L’analyse du tribunal de grande instance, reprise par la cour d’appel est validée par la cour de cassation (2) qui énonce que : « le principe d’ordre public, selon lequel le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, préexistait à la loi du 19 décembre 2008 d’où est issu l’article 16-1-1 du code civil ; qu’ayant relevé que le contrat d’assurance souscrit le 7 novembre 2008 par la société Encore Events avait pour objet de garantir les conséquences de l’annulation d’une exposition utilisant des dépouilles et organes de personnes humaines à des fins commerciales, la cour d’appel en a exactement déduit que, bien qu’ayant été conclu avant l’entrée en vigueur de l’article 16-1-1 précité, le contrat litigieux avait une cause illicite et, partant, qu’il était nul ; »
Conséquence de la nullité
La nullité d’un contrat implique la remise des choses en l’état. Les assureurs devaient donc rembourser les primes perçues.
L’obligation de conseil de l’assureur
L’arrêt de la cour d’appel de Paris est cependant cassé sur le fondement de l’article 1147 du code civil qui organise la responsabilité contractuelle et prévoit la possibilité de demander des dommages intérêt au cocontractant qui a mal exécuté tout ou partie de ses obligations.
La cour de cassation constate en effet qu’il ne résulte pas des constatations et énonciations de l’arrêt rendu par la cour d’appel que les assureurs avaient attiré l’attention de la société Encore Events sur le risque d’annulation de l’exposition litigieuse et que la cour d’appel avait en conséquence violé l’article 1147 du code civil.
La cour de cassation considère qu’en sa qualité de professionnel de l’assurance, l’assureur aurait du s’assurer du caractère assurable de l’exposition et qu’il avait en l’espèce manqué à son devoir d’information et de conseil.
Devant la cour d’appel de renvoi, l’organisateur de l’exposition pourra donc solliciter de ses assureurs des dommages-intérêts pour non respect de leur obligation d’information et de conseil.
Un assureur ne saurait refuser sa garantie à l’organisateur d’une exposition, par exemple parce que ce dernier n’a pas respecté les obligations de sécurités imposées par le contrat, s’il n’a pas vérifié par lui même ou attiré spécialement l’attention de son client sur cette question. En cas de contestation, ce sera à l’assureur de rapporter la preuve qu’il a informé son client du risque. Il ne peut pas se contenter de faire signer un contrat et d’encaisser les primes, sachant pertinemment que sa garantie ne pourra jamais être recherchée parce que son client n’est pas aux normes.
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
((1) Voir notre article « Les restes humains ne s’exposent pas à des fins commerciales », La Lettre de Nodula Novembre 2010, page 2064 et s, commentaire de l’arrêt de la cour de cassation du 16 septembre 2010, n° 09-67456.
(2) Cass. Civ 1ère 29 octobre 2014, n° 13-19729.
Droit de reproduction à usage commercial et professionnel
réservé.
Droit de reprographie aux fins de vente, de location, de
publicité et de promotion réservés
(Loi du 3 janvier 1995)
© Nodula 2015