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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  

Liberté d’expression dans les spectacles : l’affaire Dieudonné a ouvert la voie à un processus dangereux pour la liberté d’expression

Chaque mois, nous sélectionnons un article que nous mettons en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire du numéro correspondant

Cet article a été publié au numéro 249 correspondant à l'actualité du mois de décembre 2014
.

L’auteur et/ou le metteur en scène qui souhaite tenir un propos de dénonciation d’une réalité a-t-il le droit de la présenter de façon explicite ? Au cinéma, cela ne pose pas de gros problèmes, on peut tricher vis-à-vis de cette réalité, utiliser le numérique et réaliser les pires atrocités, on sait que « c’est du cinéma ». Sur une scène de théâtre, les choses sont un peu différentes. Même si l’on peut aussi faire prendre des vessies pour des lanternes, et les magiciens et illusionnistes en savent quelque chose, tout n’est pas possible, ou tous les metteurs en scène ne le souhaitent pas et préfèrent montrer des scènes sans artifice. Le Conseil d’État vient d’avoir à connaître de cette problématique, et a refusé l’annulation d’un spectacle qui dénonçait l’apartheid et mettait en scène des pratiques et violences de ce système (1). Au delà de la question des limites de la liberté d‘expression artistique qui était en cause dans cette affaire, c’est la possibilité de recourir au référé liberté pour porter atteinte à la liberté d’expression d’un tiers qui est à nouveau posée. Il nous semble que cette procédure d’exception est totalement dévoyée et que le Conseil d’État aurait du se déclarer incompétent pour connaître de cette affaire par le biais d’un appel.

Le contentieux concernait le spectacle « Exibit B », créé en novembre 2014 au Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis. Ainsi que le présentait le site internet du théâtre, le spectacle présente une « série de tableaux vivants évoquant, pour mieux les critiquer, le modèle des zoos humains, l’ensemble fait écho aux expositions ethnographiques et au racisme scientifique qui ont proliféré dès les années 1850 dans les pays colonialistes. Par un voyage dans le temps Brett BAULEY convoque les atrocités commises en Afrique … » Lors des représentations de novembre 2014, une « Brigade Anti Négrophobe » a manifesté devant le théâtre pour en solliciter l’interdiction. Le collectif porteur de ces manifestations dénonçait « la chosification d’hommes et de femmes noirs », assimilant ce spectacle aux exhibitions de lancers de nains, qui ont été considérés comme portant atteinte à la dignité humaine (2).

Le tribunal administratif de Paris a considéré qu’eu égard aux conditions dans lesquelles il était présenté aux spectateurs, le spectacle « Exibit B » avait pour objet de dénoncer les pratiques et traitements inhumains ayant eu cours lors de la période coloniale ainsi qu’en Afrique du Sud, au moment de l’apartheid et que l’absence d’interdiction de ce spectacle ne portait en conséquence aucune atteinte grave et manifestement illégale à la dignité de la personne humaine.

Référé liberté ou référé anti liberté ?

En principe, un spectacle ne peut être interdit que sur le fondement d’une atteinte à l’ordre public, ou d’un risque grave d’atteinte à l’ordre public. En application des articles L.2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, c’est le maire qui est chargé de la police municipale et qui doit à ce titre « assurer le bon ordre, la sécurité et la salubrité publique ».

C’est en vertu de ces pouvoirs, que le maire, lorsqu’il ne dispose pas des moyens de police permettant d’assurer l’exercice de la liberté d’expression artistique dans le respect du bon ordre, peut prononcer l’interdiction d’un spectacle.

Il doit mettre en œuvre cette règle dans le respect des dispositions de la charte des droits et libertés fondamentales, intégrée au droit de l’Union par le traité de Lisbonne, qui énonce en son article 13 le principe de la liberté de l’art, laquelle ne peut être davantage encadrée et limité que la liberté de la presse et de la librairie.

Cependant, comme dans l’affaire DIEUDONNE, ce n’est pas sur ce fondement que la demande d’interdiction du spectacle a été introduite, mais par le biais d’un référé liberté. Or, ainsi que l’énonce l’article L.521-2 du code de justice administrative, le référé liberté a pour but de permettre au juge de prendre toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.

Même si l’on peut considérer que le 104 est un organisme chargé de la gestion d’un service public, la présentation d’un spectacle ne relève pas de l’exercice des pouvoirs de cet organisme culturel qui n’en détient aucun, sauf celui d’organiser des manifestations culturelles, et il ne peut contraindre le public d’y assister. En refusant d’annuler un spectacle qu’il a programmé dans le cadre de sa mission de service public, il défend la liberté fondamentale du metteur en scène, de l’auteur et du producteur du spectacle et sa liberté fondamentale de diffuseur de faire usage de sa liberté d’expression et de sa liberté artistique et ce n’est pas l’organisme public qui tente de porter atteinte à une liberté fondamentale, mais la personne privée demanderesse à l’interdiction.

La comparaison avec l’interdiction des lancers de nains est fort pertinente sur le plan procédural. En effet, lorsqu’il avait confirmé les décisions d’annulation des représentations, le Conseil d’État avait considéré que « le respect de la dignité de la personne humaine est une composante de l’ordre public et que l’autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l’absence de circonstances locales particulières, et alors même que des protections avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine. »

Une atteinte à la dignité humaine n’est pas une atteinte à une liberté
Ainsi qu’il ressortait des décisions du Conseil d’État en 1995, l’atteinte à la dignité humaine est une atteinte à l’ordre public, non à une liberté fondamentale. Il existe en effet un droit à la dignité, il n’existe pas de liberté à la dignité. Par contre il existe une liberté d’expression et un droit à la liberté d’expression artistique et académique.

Un appel devant le Conseil d’État non prévu par les textes

Le tribunal administratif de Paris, saisi dans le cadre d’une procédure de référé liberté, au lieu de considérer qu’il n’y avait aucune atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine, aurait du considérer qu’il n’y avait aucune atteinte à une liberté fondamentale commise par une personne morale de droit public ou un organisme de droit public chargé de la gestion d’une service public, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs et juger la demande irrecevable.

Dans l’affaire Dieudonné, les données de l’affaire étaient différentes, puisque le maire, autorité publique, avait interdit le spectacle et c’est le producteur de spectacle qui avait sollicité le tribunal dans le cadre d’un référé liberté. Il y avait donc bien eu décision d’une autorité publique exerçant ses pouvoirs d’interdire un spectacle, portant ainsi atteinte à une liberté fondamentale, la liberté d’expression artistique.

Par contre, étant donné que le tribunal administratif avait annulé la décision du maire, et refusé d’interdire le spectacle, il n’existait plus d’atteinte à une liberté fondamentale commise par une personne publique dans l’exercice de ses pouvoirs justifiant le recours à la procédure d’exception du référé liberté . En effet, la liberté d’expression artistique avait été respectée, et la personne publique insatisfaite ne pouvait faire appel de ce jugement par la voie du référé liberté. Seule lui était ouverte la voie de la cassation devant le Conseil d’État, procédure écrite.

Ce n’est que si le tribunal administratif avait prononcé l’interdiction du spectacle, que le producteur subissant une atteinte à sa liberté artistique, aurait pu saisir le Conseil d’État par voie d’appel dans le délai extraordinairement court de la procédure de référé liberté.

Dans cette nouvelle affaire, le Conseil d’État aurait également du juger l’appel des associations du collectif des brigades anti négrophobe irrecevable. Ce collectif, auquel le tribunal avait refusé de donner raison en n’interdisant pas le spectacle, ne subissait aucune atteinte à une de ses libertés fondamentales, et n’aurait dû bénéficier que de la voie de la cassation.

L’utilisation dévoyée de la procédure de référé liberté dans cette nouvelle affaire est la conséquence logique de la dérive imposée par le Premier ministre au Conseil d’État dans l’affaire Dieudonné. Une telle dérive pourrait pourtant être sanctionnée gravement, puisqu’elle nous semble relever des prévisions des articles 432-1 et 432-2 du code pénal. Si notre République veut susciter le respect, il faudrait peut être qu’elle veille d’avantage à le mériter, et il semble indispensable que la procédure de référé liberté cesse d’être utilisée pour porter atteinte à la liberté d’expression artistique. La France qui se revendique à la pointe de la diversité culturelle est le seul pays du monde démocratique à porter de telles atteintes à la liberté d’expression.


Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris


((1) Ordonnance du 11 décembre 2014, n° 386328.
(2) Conseil d’État 27 octobre 1995, n° 143578 et 136727.



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