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mois, nous sélectionnons un article que nous mettons
en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire du numéro correspondant
Cet article a été publié au numéro 246 correspondant à l'actualité du mois de septembre 2014 dans la rubrique "Réponse des ministres aux questions des parlementaires". Chaque mois, Roland LIENHARDT sélectionne les questions et réponses intéressant notre secteur et les agrémente d'un commentaire lorsqu'il le juge utile.
Question. - . Hervé Féron attire l’attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur la procédure de renouvellement de la licence d’entrepreneur de spectacles vivants. L’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 a institué cette licence, délivrée pour une durée de 3 ans renouvelables, dans l’objectif de garantir le maintien de l’ordre public et des bonnes mœurs. En raison des évolutions sociétales, la loi n° 99-198 du 18 mars 1999, complétée par diverses mesures d’ordre réglementaire, a réformé le système existant afin de mettre l’accent sur le respect des obligations de l’employeur en matière de droit du travail, de sécurité sociale et de protection de la propriété intellectuelle, littéraire et artistique. Le renouvellement de la licence d’entrepreneur est ainsi subordonné à l’acquittement régulier des cotisations aux organismes de protection des œuvres, ainsi que des droits d’auteurs aux ayants-droit. Il semble que certaines de ces structures s’opposent à la reconduction de cette autorisation lorsque l’entrepreneur ne passe pas par leurs services pour le règlement des droits d’auteurs. Cependant, cette entremise ne constitue en aucun cas une obligation dans la mesure où les droits précités sont effectivement versés à leurs bénéficiaires. En effet, l’article L.132-21 du code de la propriété intellectuelle dispose que « l’entrepreneur de spectacles est tenu de déclarer à l’auteur ou à ses représentants le programme exact des représentations ou exécutions publiques [...] Il doit acquitter aux échéances prévues, entre les mains de l’auteur ou de ses représentants, le montant des redevances stipulées ». Cette attitude conduit à l’émission d’un avis défavorable par la commission consultative saisie, avis souvent suivi par les directions régionales des affaires culturelles, en dépit du respect par l’entrepreneur des exigences posées par les pouvoirs publics. Il lui demande ainsi les mesures envisagées par le Gouvernement pour garantir aux entrepreneurs de spectacles vivants le recours aux possibilités offertes par la législation.
Réponse. – (1) Le code du travail réglemente la profession d’entrepreneur de spectacles vivants (articles L.7121-1 et suivants et D.7121-1 et suivants), pour des raisons impérieuses d’intérêt général au sens du droit communautaire, et en particulier la protection de la propriété littéraire et artistique. A ces fins, l’article 3 de l’arrêté du 20 décembre 2012 pris en application du code du travail (partie réglementaire) relatif à la licence d’entrepreneur de spectacles vivants dispose que la demande de renouvellement de la licence pour une durée de trois ans est assortie, notamment, d’une attestation sur l’honneur certifiant que l’entreprise n’a pas de dette en ce qui concerne le paiement des droits d’auteurs. Les représentants des sociétés de perception de droits, qui siègent au sein des commissions régionales d’attribution, de refus, de renouvellement ou de retrait de licences d’entrepreneurs de spectacles vivants peuvent faire état, en commission, des défauts de règlement de droits d’auteurs dont elles ont connaissance. L’attribution de la licence ne peut cependant être refusée si le demandeur a acquitté les droits d’auteurs dont il était redevable. Le projet de circulaire relative à l’instruction des licences, en cours de préparation au sein des services du ministère de la culture et de la communication, comportera un point d’attention sur cette question, afin de rappeler que le demandeur a toute faculté de prouver qu’il s’est acquitté de ses obligations en termes de propriété intellectuelle et artistique. En cas de refus de licence d’entrepreneur de spectacle estimé infondé, les dispositions légales de recours hiérarchique, gracieux et contentieux restent néanmoins à la disposition des entrepreneurs de spectacles.
Commentaire. – Lors que le ministre indique que le code du travail réglemente la profession d’entrepreneur de spectacle « pour des raisons impérieuses d’intérêt général au sens communautaire », cela est tout simplement faux. En effet, la cour de justice des communautés européennes considère que le maintien d’une restriction à la liberté des prestation de services ne peut prétendre être fondée sur une raison impérieuse d’intérêt général quand il existe déjà des procédures judiciaires à même de faire respecter les droits que la restriction entend préserver. Or, en l’espèce, il existe des tribunaux spécialisés en propriété littéraire et artistique et une réglementation permettant le respect de ces droits sous le contrôle d’un juge. Le maintien de cette réglementation qui constitue une véritable police politique des spectacles, n’a donc aucune justification avouable. D’ailleurs plus aucune décision de non renouvellement de licence, ou de retrait de licence ne tient devant un juge. Le tribunal administratif de Paris a considéré que l’absence de conformité de la procédure à la directive service relevait de l’évidence, de sorte qu’il a suspendu une décision de retrait de licence (2).
Le fonctionnement des commissions d’octroi ou de retrait des licences, qui font notamment intervenir des représentants de sociétés d’auteur pouvant mettre en cause un entrepreneur qui n’est pas en règle à leur égard est gravement contraire à l’article 13 du décret n°2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif dont l’article 13 prévoit que « Les membres d’une commission ne peuvent prendre part aux délibérations lorsqu’ils ont un intérêt personnel à l’affaire qui en est l’objet. La violation de cette règle entraîne la nullité de la décision prise à la suite de cette délibération lorsqu’il n’est pas établi que la participation du ou des membres intéressés est restée sans influence sur la délibération. »
Cela n’est pas le seul problème soulevé par cette réglementation.
Une circulaire du Premier ministre en date du 22 novembre 2011 énonce que « Les états membres doivent également supprimer (…) l’intervention directe ou indirecte d’opérateurs concurrents dans la prise de décisions individuelles par les autorités compétentes. En effet, de telles dispositions figurent parmi les exigences interdites par la directive 2006.123/CE relative aux services ». C’est l’article 14 de la directive 2006.123/CE qui interdit la présence d’opérateurs économiques concurrents dans les commissions chargé d’intervenir dans les processus d’autorisation.
Hors, les commissions de licence sont composées en grande partie de représentant des syndicats d’entrepreneur de spectacles, réels ou prétendus, qui sont en concurrence directe avec les entrepreneurs de spectacles concernés.
Le fait que la licence doive être renouvelée tous les trois ans est également en contradiction directe avec l’article 11 de la directive service qui indique que « l’autorisation octroyée au prestataire ne doit pas avoir une durée limitée à l’exception des cas suivants :
a) L’autorisation fait l’objet d’un renouvellement automatique ou est subordonnée seulement à l’accomplissement continu d’exigences ;
b) Le nombre d’autorisations disponible est limité par une raison impérieuse d’intérêt général ;
c) Une durée limitée d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.
En tout état de cause, le ministère de la culture n’a pas respecté la procédure européenne organisée par cette directive qui permettait aux États sous certaines conditions de maintenir certaines réglementations.
Par le biais de cette procédure, le ministère de la culture et ses baronnies ont droit de vie ou de mort sur les entreprises de spectacles en dehors de toute procédure judiciaire, et sans qu’un juge intervienne, ce qui est totalement aberrant dans un société démocratique. Cette procédure permet de bloquer l’arrivée sur le marché de concurrents indépendants qui pourraient contester la politique gravement attentatoire aux droits et libertés des citoyens mise en place dans le secteur du spectacle vivant par le ministère de la culture depuis sa création. Sous le couvert de l’exception culturelle, se cachent en effet des comportements de nature totalitaire, indignes d’une démocratie.
Dans les faits, la licence de spectacle est essentiellement invoquée par les employeurs qui sont assignés devant le conseil de prud’hommes par des artistes et techniciens, et qui brandissent leur licence d’entrepreneur de spectacle comme un étendard qui représenterait un certificat de bonne conduite et de respect de la réglementation sociale.
De façon étonnante, les condamnations des juridictions sociales prononcées contre les entrepreneurs de spectacle ne sont pas communiquées au bureau des licences du ministère de la culture. La quasi totalité des employeurs du spectacle condamnés pour non respect du droit du travail sont titulaires de la licence. Une partie conséquente des membres des commissions chargées de contrôler l’octroi des licences est composée de représentant de syndicats ou d’entreprises en situation gravement illégales, notamment en situation de gestion de fonds publics dans des cadres privés non autorisés (gestion de fait), qui défendent un marché totalement phagocyté par les fonds publics et financé par Pôle Emploi.
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
(1) QEAN 2 septembre 2014 n° 48123 p. 7363.
(2) TA PARIS, 13 mars 2012, n° 1203628/9-1, confirmée au fond en 2014, TA PARIS, 6 mars 2014 n° 1203627/6-3.
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