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Cet article a été publié au numéro 243 correspondant à l'actualité du mois de mai 2014. Chaque mois nous sélectionnons les questions écrites ayant fait l'objet d'une réponse, que nous agrémentons d'un commentaire.
L’action publique dans le domaine de la culture ne sera pas éternellement à l’abri des règles de la concurrence. C’est ce que nous suggère une décision de la cour de cassation (1) rendue à l’occasion des activités du Musée national des arts asiatiques - Guimet (Le Musée Guimet). Cet arrêt montre cependant que poursuivre un service public relèvera bien souvent d’un véritable parcours du combattant, tant les règles procédurales protégeant l’État sont complexes. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ce soit une galerie établie à New-York qui ait pris l’initiative d’une action en justice contre le Musée Guimet. Il semble toutefois qu’elle se soit trompée de procédure.
Les faits
La manufacture de Sèvres a organisé, en partenariat avec l’artiste ChuTeh-Chun et la galerie new-yorkaise Malborough, la fabrication de vases, décorés par l’artiste, qui ont été exposés, du 10 juin au 7 septembre 2009, au musée Guimet puis, pour partie d’entre eux, remis à la galerie Malborough qui les a commercialisés. La société Galerie Navarra, qui exploite une galerie à New York, et son dirigeant, M. X..., estimant que le musée Guimet et la manufacture de Sèvres, en mettant une partie de leurs moyens au service d’un projet commercial privé, initié par une galerie concurrente, avaient faussé le jeu de la concurrence, les ont fait assigner en réparation de leur préjudice. La manufacture de Sèvres et le musée Guimet, excipant de leur nature d’établissements publics exerçant une mission de service public, ont saisi le juge de la mise en état d’une exception d’incompétence de la juridiction judiciaire.
La Cour d’appel de Paris retient sa compétence pour non respect des règles de concurrence
Pour confirmer l’ordonnance qui avait rejeté l’exception soulevée par le musée, la cour d’appel de Paris a considéré que, selon l’article L. 410-1 du code de commerce, les dispositions relatives à la liberté des prix et de la concurrence s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de délégations de service public, et que, dans la mesure où elles exercent de telles activités et sauf en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l’organisation du service public ou mettant en cause des prérogatives de puissance publique, les personnes publiques peuvent être sanctionnées par l’Autorité de la concurrence agissant sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Elle a déduit qu’il convenait de rechercher en l’espèce si les actes présentés comme ayant porté atteinte à une saine et libre concurrence avaient concerné l’organisation du service public ou la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique, puis retenu que tel n’était pas le cas de la production des céramiques en cause, suivie de leur exposition, et de leur offre à la vente.
La cour de cassation casse cet arrêt au motif fort elliptique que la cour d’appel a excédé sa compétence et les textes visés par l’arrêt (2). Effectivement, le Musée Guimet étant un établissement public administratif, ses actes de gestion, à partir du moment où ils ne sortent pas de son cadre statutaire, relèvent d’une émanation de l’exécutif dont le juge civil n’a pas à connaître. En l’espèce, il a participé à la promotion et à l’exposition d’œuvres relevant de son secteur de compétence. Que le contrat conclu avec la galerie New Yorkaise, s’il existe, ait laissé à cette dernière la pleine propriété des œuvres réalisées dans le cadre du partenariat avec la manufacture de Sèvres et qui ont acquis une valeur certaine du fait de leur exposition au Musée Guimet, ne nous semble pas pouvoir être critiqué au titre d’une atteinte à la liberté des prix et du commerce. D’ailleurs, la cour de cassation reconnaît que le partenariat conclu avec la galerie relève de la mission de service public administratif du musée, ce qui exclut la compétence du juge civil pour en connaître.
Cette décision qui pourrait paraître apriori favorable à l’établissement public culturel nous semble fort importante parce qu’elle pourrait fonder des poursuites de nature pénale contre l’établissement public. En effet, cette affaire et l’arrêt de la cour de cassation montrent de façon indéniable que la galerie New Yorkaise a participé à une mission de service public, relevant de l’activité statutaire du musée, raison pour laquelle le juge civil a été jugé incompétent. Ce fait nous semble acquis. Or, ayant récupéré pour son compte la propriété des œuvres réalisées dans le cadre de la mission de service public a laquelle elle a été associée, la galerie newyorkaise n’était pas autorisée à prendre ou conserver un intérêt personnel dans l’opération. Ces faits nous semblent en conséquence constituer des faits de prise illégale d’intérêt au sens de l’article 432-12 du code pénal (3) ou à tout le moins fonder des poursuites au titre du recel de prise illégale d’intérêt dans l’hypothèse où la prise illégale d’intérêt serait prescrite.
Il faut savoir que ce mode de fonctionnement des institutions culturelles en matière d’art plastique est fort répandu. Un certain nombre d’institutions culturelles publiques ou para publiques financent ainsi des œuvres à l’occasion d’expositions qu’elles organisent, et en laissent ensuite la pleine propriété aux artistes et/ou à leur galerie, qui bénéficient de la promotion apportée par l’exposition publique et la communication y afférente.
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
(1) Cass. Com. 8 avril 2014, n° 13-11765.
(2) Il s’agissait de loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, qui interdisent au juge judiciaire de se mêler des actes du pouvoir exécutif, et des articles L. 410-1, L. 464-7 et L. 464-8 du code de commerce. L’article L.410-1 énonce que « les règles définies au présent livre » (relatif à la liberté des prix et de la concurrence) « s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ».
(3) Ce délit est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
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