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Cet article a été publié au numéro 242 correspondant à l'actualité du mois d'avril 2014. Chaque mois nous sélectionnons les questions écrites ayant fait l'objet d'une réponse, que nous agrémentons d'un commentaire.
La cour de justice de l’Union Européenne a rendu le 3 avril 2014 une décision sanctionnant la France pour les aides d’État apportées illégalement à la Poste. Elle a considéré que le statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC) dont elle avait bénéficié, impliquant une garantie illimitée de l’État, constituait une aide d’État illégale (1). Cette décision est importante au regard de la tradition française d’interventionnisme en matière économique, notamment dans le secteur culturel.
De nombreuses entreprises de spectacle ont le statut d’établissement public industriel et commercial. Rentrent notamment dans cette catégorie, l’Opéra, la Comédie française, les théâtres nationaux, les établissements publics de coopération culturelle (EPCC) ayant une activité de gestion ou de production de spectacles. Au regard de la jurisprudence récente du Conseil d’État (2) il semble possible de considérer que les Centres Dramatiques Nationaux, et d’autres théâtres para publics, relèvent aussi de cette catégorie malgré leur statut apparent de SARL ou de SA.
En droit administratif français, les EPIC sont des personnes morales de droit public qui disposent d’une personnalité juridique distincte de l’État, de l’autonomie financière et de compétences d’attribution spéciales, lesquelles incluent généralement l’exercice d’une ou de plusieurs missions de service public.
Le statut des EPIC emporte un certain nombre de conséquences juridiques, notamment l’inapplicabilité des procédures d’insolvabilité et de faillite de droit commun ainsi que l’applicabilité des dispositions relatives aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public (3).
La Commission considère que cette particularité permettait à la poste de bénéficier de conditions de crédit plus favorables que ses concurrents, cette garantie illimitée de l’État constituant un avantage sélectif lui permettant de bénéficier d’une meilleure notation financière. Elle a ensuite considéré que cet avantage était susceptible de fausser la concurrence et d’affecter les échanges entre États membres. Elle en a conclu qu’il s’agissait d’une aide d’État (4) qui ne remplissait aucune des conditions lui permettant d’être déclarée compatible avec le marché intérieur.
N’étant pas soumis aux procédures d’insolvabilité et de faillite de droit commun, les EPIC bénéficient d’une garantie illimitée de l’État et la commission Européenne considère que cette garantie constitue une aide d’État.
C’est à la suite de cette critique que la France a du modifier le statut de La Poste et promulguer une loi lui conférant le statut de société anonyme, soumise aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire de droit commun.
Saisi par la France, le Tribunal de première instance de l’Union Européenne a considéré que la Poste bénéficiait bien d’une garantie illimitée de l’État du fait de son statut d’EPIC, ce qui constituait bien une aide d’État illégale.
La France ayant contesté cette décision, la CJUE a rejeté son pourvoi et rappelé à cette occasion que la notion d’aide d’État comprend non seulement des prestations positives, mais également les interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, sans être des subventions au sens strict du mot, en ont la nature et des effets identiques (5). Sont ainsi considérées comme des aides toutes les interventions d’État qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (6).
Or, les interventions étatiques prenant des formes diverses et devant être analysées en fonction de leurs effets, il ne saurait être exclu qu’une garantie d’État consente elle-même des avantages qui peuvent impliquer une charge supplémentaire pour l’État (7).
En effet, la Cour a déjà jugé qu’un emprunteur qui a souscrit un prêt garanti par les autorités publiques d’un État membre obtient normalement un avantage, dans la mesure où le coût financier qu’il supporte est inférieur à celui qu’il aurait supporté s’il avait dû se procurer ces mêmes financement et garantie aux prix du marché (8).
Dans cette perspective, au demeurant, la communication de la Commission sur l’application des articles 87 [CE] et 88 [CE] aux aides d’État sous forme de garanties relève expressément, aux points 1.2, 2.1 et 2.2, qu’une garantie illimitée de l’État en faveur d’une entreprise dont la forme juridique exclut la possibilité d’une procédure de faillite ou d’insolvabilité procure à cette dernière un avantage immédiat et constitue une aide d’État, en ce qu’elle est octroyée sans que son bénéficiaire paie la prime appropriée à la prise de risque supportée par l’État et permet aussi « d’obtenir un prêt à des conditions financières plus avantageuses que celles qui sont normalement consenties sur les marchés financiers ».
Par conséquent, dans le cadre de la procédure relative aux régimes d’aides existantes, pour prouver l’avantage procuré par une telle garantie à l’entreprise bénéficiaire, il suffit à la Commission d’établir l’existence même de cette garantie, sans devoir démontrer les effets réels produits par celle-ci à partir du moment de son octroi.
Les EPIC culturels intervenant dans le secteur industriel et commercial bénéficient tous de cet avantage. Reste à savoir si cette aide répond aux critères permettant d’en apprécier la comptabilité. Le problème, c’est que cet avantage profite à l’entreprise pour toutes ses activités, alors que ces établissements ne limitent pas strictement leur activités à leur mission de service public culturelle et se livrent parfois à des activités purement commerciales. C’est d’ailleurs parce que ces établissements interviennent dans des secteurs concurrentiels qu’on leur a donné le statut d’EPIC. En tout état de cause, ces aides d’État n’ont jamais été notifiées à la Commission et pourraient à ce seul titre être considérées comme, illégales, sans possibilité de régularisation.
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
(1) CJUE 3 avril 2014, Affaire C-559/12 P, Commission C/République française.
(2) Et notamment celle du 19 avril 2013 par le président de la section du contentieux du Conseil d’État (n° 367617) rendue dans le contentieux ayant opposé un directeur de centre dramatique national au ministre de la culture.
(3) Loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, JORF du 17 juillet 1980, p. 1799.
(4) Au sens de l’article 107, §1 TFUE.
(5) Arrêt Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., point 101.
(6) Arrêts du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C-280/00, Rec. p. I-7747, point 84, ainsi que du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C-279/08 P, Rec. p. I-7671, point 87.
(7) Voir arrêts du 1er décembre 1998, Ecotrade, C-200/97, Rec. p. I-7907, point 43, ainsi que Bouygues et Bouygues Télé
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