Chaque
mois, nous sélectionnons un article que nous mettons
en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire du numéro correspondant
Cet article a été publié au numéro 240 correspondant à l'actualité du mois de février 2014 dans la rubrique "Réponse aux questions des parlementaires". Chaque mois nous sélectionnons les questions écrites ayant fait l'objet d'une réponse, que nous agrémentons d'un commentaire.
Question. - M. André Chassaigne attire l’attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les difficultés rencontrées par les professionnels « entrepreneurs de spectacles vivants » face au travail dissimulé. Les prestataires techniques professionnels du spectacle vivant, entreprises de production, d’animation, de sonorisation, d’éclairage et de spectacle, font part des grandes difficultés qu’ils ont pour exercer leur activité, eu égard au non-respect du droit social et des réglementations techniques et de sécurité de ce secteur. Les organisateurs d’évènements ou de spectacles font de plus en plus souvent appel à des animateurs ou auto-entrepreneurs n’ayant pas les qualités ou qualifications requises, favorisant ainsi le travail dissimulé au détriment des professionnels agréés, formés et qualifiés. En particulier, suite à la création du régime d’auto-entrepreneur, de plus en plus de personnes ont choisi ce régime pour proposer des prestations de service comme entrepreneur du spectacle, sans répondre aux réglementations particulières applicables à ce secteur : respect de l’inscription au registre du commerce ou de métiers, détention d’une assurance responsabilité civile professionnelle, établissement de devis et contrats sur lesquels apparaissent le numéro SIREN, le code APE, l’adresse et la raison sociale du prestataire. Face à ces dérives, une circulaire du 28 janvier 2010 du ministère de la culture et de la communication est venue rappeler la réglementation relative spécifique à la profession d’entrepreneur de spectacles vivants. Mais les prestataires techniques professionnels font malheureusement le constat qu’ils sont quasi systématiquement écartés des marchés non soumis aux appels d’offres par des personnes qui ne répondent pas à ces obligations. Ils soulignent pourtant que la responsabilité directe des maires, ou des représentants des collectivités et des associations est en jeu en cas de contrôle ou d’accident. Ils précisent notamment que le travail et la formation des commissions de sécurité devraient être renforcés en matière de contrôle de la prestation évènementielle, notamment sur les règles de sécurité générale, la nature et conformité du matériel utilisé, les conditions de mise en place du matériel. Aussi, il souhaiterait connaître les mesures envisagées pour limiter le recours au travail dissimulé qui pénalise lourdement ce secteur d’activité, créateur d’emplois. En particulier, il lui demande si elle envisage de renforcer, d’une part, l’information des collectivités territoriales en matière de respect des réglementations dans ce domaine et, d’autre part, les contrôles par les services de l’État des obligations réglementaires.
Réponse. - (1) Dès le mois d’août 2003, le spectacle vivant et enregistré a été déclaré comme l’un des quatre secteurs prioritaires sur lesquels devaient se concentrer les efforts des services de contrôle. En 2009, le ministre chargé du travail a souhaité renforcer ce dispositif en déclinant les objectifs du plan national d’actions de lutte contre le travail illégal 2010-2011 dans une instruction particulière pour le secteur du spectacle vivant et enregistré. Cette instruction prévoit des actions adaptées aux spécificités du secteur et une coordination renforcée des services de l’État. Afin d’accroître l’efficacité des contrôles, la direction générale du travail, conjointement avec le ministère de la culture et de la communication et en association avec les partenaires sociaux, a mis en place un dispositif de signalement des infractions propre à ce secteur, destiné à améliorer le ciblage des entreprises à contrôler. Dans le prolongement de ces dispositions, le guide de contrôle du spectacle vivant et enregistré a été actualisé en 2012. Ce guide propose une dimension opérationnelle forte en offrant des outils méthodologiques directement utilisables en contrôle. Par ailleurs, il expose une position harmonisée sur des sujets complexes tels que le bénévolat ou l’exposition de la pratique amateur, ainsi que sur la question des « faux amateurs » et « faux bénévoles ». La direction générale de la création artistique a rédigé, le 28 janvier 2010, la circulaire relative à la mise en œuvre pour les artistes et les techniciens du spectacle, des dispositions de la loi de modernisation de l’économie créant le régime de l’auto-entrepreneur pour préciser le cadre d’application dans lequel doit s’inscrire ce régime pour les métiers du spectacle vivant et enregistré. Elle rappelle notamment que les entrepreneurs de spectacles vivants qui désirent bénéficier de ce régime micro-fiscal ne sont pas dispensés de s’inscrire au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers et doivent détenir une licence d’entrepreneur de spectacles. Dans le même temps, dans un esprit de prévention, de sensibilisation et d’information, une plaquette d’information sur le travail illégal dans le spectacle vivant et enregistré a été élaborée conjointement par la direction générale du travail, le ministère de la culture et de la communication et la délégation nationale à la lutte contre la fraude. Les partenaires sociaux ont été largement consultés sur ce document, et notamment les organisations d’employeurs représentant les prestataires techniques. Le ministère de la culture et de la communication a largement diffusé cette plaquette d’information aux organisations professionnelles du secteur du spectacle, mais aussi aux représentants des collectivités territoriales : association des maires de France (AMF), association des régions de France (ARF), fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC). L’ensemble de ces dispositions, ainsi que le travail conduit par les partenaires sociaux et soutenu par le Gouvernement, de restructuration du champ conventionnel, sont de nature à contribuer à lutter contre le travail illégal et le recours abusif à l’intermittence.
Commentaire. – Effectivement, ce ne sont pas les réglementations qui manquent dans le secteur du spectacle. Les organismes professionnel du secteur ont une tendance à multiplier les réglementations protectionnistes dans le but de protéger leurs marchés et leurs modèles économiques, en oubliant que, même établies dans des cadres paritaires, même étendus par arrêtés ministériels, ces réglementations ne sont d’aucune efficacité si elles ne respectent pas les normes juridiques qui leurs sont supérieures.
Les très nombreuses réglementations existant dans le secteur du spectacles sont la plupart du temps totalement hors des clous.
Ainsi, la circulaire du ministère de la culture du 28 janvier 2010 citée par le ministre n’a jamais été publiée sur le site officiel du premier ministre. En application de l’article 1 du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires elle n’est pas applicable et les services ne peuvent en aucun cas s’en prévaloir à l’égard des administrés.
Cette circulaire précise que les auto entrepreneurs doivent détenir la licence d’entrepreneur de spectacle. Or, cette licence n’a plus aucune utilité puisque ses dispositions contreviennent gravement à la directive 2006/123/CE applicable depuis décembre 2009 (dite directive services). Toute procédure de refus de licence, toute procédure de retrait de licence et toute sanction liée à cette licence encourt la nullité, et les procédure de référé liberté ou de référé suspension permettent de faire annuler les décisions de l’administration dans des délais forts brefs.
La circulaire énonce ensuite que l’article L.7122-4 du code du travail obligerait les auto entrepreneurs exerçant dans le secteur du spectacle à s’inscrire au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. Cela est totalement faux, le code du travail ne pose cette obligation d’inscription qu’au titre des critères que doivent respecter les personnes physiques pour obtenir la licence d’entrepreneur de spectacle. Étant donné que cette licence n’est plus nécessaire pour exercer légalement l’activité d’entrepreneur de spectacle, les auto entrepreneurs qui ne souhaitent pas solliciter l’autorisation de la police des spectacles n’ont pas d’obligation légale de s’inscrire au registre du commerce ou au répertoire des métiers.
La circulaire énonce ensuite que les subventions ou aides sont en principe exclues du chiffre d’affaire plafonné que doit respecter l’auto entrepreneur. Cela est faux, les subventions qui sont la contrepartie de contraintes d’obligations de service public constituent des recettes et doivent être intégrées dans le chiffre d’affaires.
La circulaire énonce ensuite que le régime de l’auto entrepreneur est incompatible avec la présomption de salariat. Cela est encore faux, puisque si l’artiste exerce dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce, il peut choisir le régime de l’auto entreprise. Il faut alors qu’il ait réellement la qualité de coproducteur ou de producteur du spectacle et qu’il participe réellement au risque et au bénéfice de la production, ce qui exclut une rémunération au forfait ou une participation aux seuls risques, sans aucun espérance de gain, ainsi que l’organise les nombreux contrats de coréalisation pratiqués en toute illégalité par de nombreuse salles de spectacles pourtant titulaires de leur licence de spectacle et en principe contrôlées par le ministère de la culture…
La plupart des réglementations mises en place par le ministère de la culture n’ont pas de base légale sérieuse
A titre d’exemple, le « label » des prestataires de service du spectacle vivant est une organisation illégale du marché contraire à la Directive Services et relève de la réglementation des ententes illicites.
Le guide des obligations sociales, rédigé par la direction générale de la création du ministère de la culture n’est pas d’avantage sérieux. Ce guide présente ainsi le recours au Guichet Unique du Spectacle qui établit des contrats à durée déterminée d’usage sans jamais vérifier que les conditions autorisant le recours à ce type de contrat sont réunies, ce qui relève pourtant de qualifications pénales.
La version d’avril 2014 de ce guide énonce que les dispositions relatives à la sécurité sont en cours de rédaction… et pour cause, il est pratiquement impossible aux entreprises de spectacle de respecter la réglementation relative à la sécurité, totalement inadaptée aux spécificités d’un secteur faisant intervenir plusieurs entreprises sur des périodes fort courtes. Le ministère de la culture ne s’est jamais intéressé sérieusement à ces questions, prétendant pourtant que c’est cette réglementation qui fonde le maintien de sa licence qui lui permet un contrôle politique et artistique des spectacles.
Ce guide présente ensuite les conventions collectives du spectacle vivant, qui sont d’une complexité folle, ne sont absolument pas respectées et dont certaines ne sont signées par aucun syndicat patronal !
Ces conventions n’ont le plus souvent qu’une vocation protectionniste et organisent des ententes permettant aux entreprises en place, souvent subventionnées ou contrôlées par le ministère de la culture d’empêcher l’émergence d’entreprises indépendantes. Elles permettent également d’asseoir l’influence d’un réseau de délégués syndicaux qui veille à ce que rien ne bouge dans la culture française et entretient la clientèle de ce secteur et sa forte influence médiatique.
Les entreprises du spectacle, lorsqu’elles sont subventionnées ou d’une certaine importance, gèrent le risque, ne respectent que le strict minimum et bénéficient de la complexité de la justice française qui rend les contentieux fort rares, parce que lents et complexes. Les petites entreprises doivent elles aussi prendre le risque parce qu’elle n’ont pas le choix et déposent leur bilan lorsqu’un salarié les attaquent, ce qui sera la encore fort rare.
Trop de droit tue le droit
La complexité de cette réglementation et son inadaptation aux réalités, outre l’absence de recours judiciaire sérieux font que la loi la plus respectée dans le secteur du spectacle, du disque et de l’audiovisuel est la loi du plus fort, ou loi de la jungle, ce que relève d’ailleurs le récent rapport officiel chargé d’analyser les pratiques contractuelles dans le seceur du disque.
Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris
(1) QEAN 18 février 2014 n° 10215 p. 1555.
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