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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  

Cour d'appel administrative de Bordeaux :

Engager son épouse peut être constitutif de prise illégale d'intérêt !

 

Chaque mois, nous sélectionnons un article que nous mettons en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire du numéro correspondant

Cet article a été publié au numéro 236 correspondant à l'actualité du mois d'octobre 2013, dans la rubrique "Éthique". Chaque mois nous présentons un dossier posant des problèmes d'éthique ou le pantouflage d'un haut fonctionnaire ou d'une personnalité du monde de la culture et de la communication que nous considérons comme susceptible de relever de la prise illégale d'intérêt, ce que la presse recouvre pudiquement du terme "conflit d'intérêt.

Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale (1). L’infraction définie pénalement peut fonder une sanction disciplinaire indépendamment de l’enclenchement de poursuites pénales, notamment sur le fondement de l’article 432-12 du code pénal qui définit la prise illégale d’intérêts. La Cour administrative d’appel de Bordeaux vient de considérer (2), dans deux affaires impliquant le directeur d’un établissement d’enseignement supérieur artistique ayant favorisé le recrutement de son épouse, que des faits de nature à exposer des agents publics à l’application des dispositions qualifiant la prise illégale d’intérêts et le recel (3) de prise illégale d’intérêts justifiaient des sanctions sévères, en l’espèce le licenciement pour faute grave des deux conjoints.

La prise illégale d’intérêts est définie dans le code pénal comme : « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

En l’espèce, le directeur d’un établissement public local avait recruté son épouse comme professeur dans son établissement et l’avait favorisée pendant toute la durée de ses fonctions. L’épouse, quant à elle, avait accepté de bénéficier et de profiter d’un traitement de faveur qu’elle savait lui être particulier. A l’occasion d’un changement de présidence de l’établissement, ces faits avaient conduit à des sanctions administratives, la fin du détachement pour faute grave du directeur de l’établissement qui en tant que cadre de la fonction publique d’État, occupait son emploi à titre détaché et un licenciement pour faute grave de son épouse. En l’espèce, la Cour a considéré concernant le directeur que celui-ci « avait la maîtrise du recrutement et autorité sur celui-ci », « qu’il était intervenu activement dans le recrutement de son épouse », qu’il l’avait « nommé coordinatrice de la recherche de l’institut permettant de lui attribuer une prime spécifique », « que de nombreux témoignages circonstanciés émanant des membres du personnel » attestaient de la situation privilégiée dont bénéficiait son épouse et que ces témoignages n’étaient pas sérieusement contredits . En ce qui concerne l’épouse, la Cour a souligné en reprenant les différents agissements reprochés à son mari que celle-ci « en acceptant de bénéficier d’une telle situation qu’elle a elle même contribué à créer, ne pouvait ignorer, eu égard à son niveau de responsabilité et aux conditions dans lesquelles elle a exercé ses fonctions dans l’établissement que dirigeait son mari, qu’elle bénéficiait d’un traitement de faveur résultant d’une situation de prise illégale d’intérêt. » Dès lors, les deux comportements ont été sanctionnés par la cour. Elle a en effet considéré que les sanctions administratives prises à l’encontre des deux époux n’étaient pas entachées d’erreurs manifestes d’appréciation puisque les fautes commises par les conjoints étaient de nature à les exposer à l’application des articles 432-12 et 321-1 du code pénal et ce même si le juge pénal ne s’était pas encore prononcé sur les faits reprochés.

On notera que la Cour a validé ces sanctions en prenant le soin de préciser dans la rédaction de ses deux décisions que le fait que les primes de coordination de la recherche ont été versées à l’intéressée avec l’accord de la présidente de l’établissement, que les membres du conseil d’administration lors du recrutement connaissaient les liens matrimoniaux entre les époux et ne l’aient pourtant pas remis en cause, n’empêchait pas les protagonistes de répondre des infractions qui leurs étaient reprochées. En d’autres termes, le fait que ces agissements aient eu lieu à la connaissance de tous ne saurait exonérer les époux de leurs fautes respectives.

A l’heure où les sénateurs se sont, à l’unanimité et une fois de plus prononcés en faveur de la modification de la rédaction de l’article 432-12 du code pénal dans le but d’une appréciation plus restrictive de la prise illégale d’intérêt par les différentes juridictions, celles-ci font une application stricte de la lettre de la loi. C’est d’ailleurs ce qui leur est reproché, ainsi le député Yves Goasdoué dénonçait le 13 novembre dernier (4) : « On ne saurait laisser perdurer la définition actuelle de la prise illégale d’intérêts, à la fois très large et interprétée de manière extrêmement dure par la jurisprudence ». Comme quoi quand on est potentiellement concerné, la loi devient soudain beaucoup plus sévère…

Cette dernière analyse ne tient absolument pas compte de la réalité. En effet, quant un élu, grâce à des faits de prise illégale d’intérêt, finance des emplois pour son parti, même s’il ne se met pas directement dans la poche de l’argent sonnant et trébuchant, il profite de l’infraction, en favorisant sa carrière politique, en favorisant son parti, dont il profite indirectement, ou en favorisant ses électeurs, dont il profite également indirectement lorsque ces derniers votent pour lui. Il s’enrichit donc indirectement. Le fait qu’un élu poursuivi essaie de se disculper en invoquant l’absence « d’enrichissement personnel » nous semble le plus souvent apporter la preuve que la personne savait ce qu’elle faisait et a eu l’intelligence d’organiser son bénéfice indirect.

Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris

(1) Article 29 de la Loi 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors.
(2) CAA Bordeaux, 14 octobre 2013, n° 12BX02450 et 12BX02447.
(3) Le recel est défini à l’article 321-1 du code de pénal : « Constitue (…) un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit. Le recel est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende ».
(4) Proposition d’amendement de l’article 432-12 du code pénal par le sénateur Pierre-Yves Collombat (PS) en date du 17 juillet 2013, elle reprend exactement la même proposition de rédaction faite en juin 2010 par le sénateur Bernard Saugey (UMP), proposition de loi n° 268 à savoir le remplacement de la formulation « intérêt quelconque » par « un intérêt personnel distinct de l’intérêt général ». Les sénateurs, toutes tendances confondues, proposent d’ailleurs très régulièrement de revenir sur cette infraction, proposition qui viendrait à la vider de son sens, alors même que le dernier rapport international sur la corruption reproche déjà à la France le peu d’efficacité de sa justice à poursuivre les faits de corruption. Commission des lois constitutionnelles et de l’administration générale de la République, Mercredi 13 novembre 2013, compte rendu n°18.


 


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