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Cet article a été publié au numéro 229 correspondant à l'actualité du mois de février 2013 .
Le travailleur à domicile, c’est celui qui exécute un travail qui lui est confié par un employeur en dehors des locaux de l’entreprise qui l’emploie, et cela moyennant une rémunération forfaitaire (1). Dans la pratique, ce statut peut parfois s’appliquer à un auteur ou à un artiste qu’un producteur a sollicité pour un travail de commande. Les producteurs doivent donc veiller à ne pas se découvrir des salariés malgré eux. La particularité de ce statut de travailleur à domicile, c’est qu’il implique une relation de salariat indépendamment de tout critère de subordination. Ce statut est encore plus protecteur que celui imposé par la présomption de salariat des artistes du spectacle puisque, comme pour les journalistes et les mannequins, il n’est pas possible de renverser la présomption.
Attention à la requalification en contrat de travail
Le travail à domicile peut être caractérisé à la suite d’une requalification en contrat de travail, car l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination que les parties ont donnée à leur convention, mais des conditions effectives de l’activité (2). Même si le contrat ne s’intitule pas « contrat de travail », l’analyse des conditions de fait dans lesquelles l’activité est exercée peut révéler l’existence d’une relation de travail. Il s’agit d’éviter que l’existence d’une relation de travail puisse être masquée derrière une autre dénomination. Inversement, l’analyse des conditions de fait dans lesquelles l’activité est exercée peut aboutir à l’inexistence d’une relation de travail, malgré un contrat intitulé « contrat de travail ».
Dans le secteur de l’édition, un contrat intitulé « contrat d’édition » a des chances d’être requalifié en contrat de travail dès lors que l’activité réellement exercée est sans rapport avec un travail d’auteur et se rapproche davantage d’une activité salariée. La convention collective nationale de l’édition du 14 janvier 2000 (3) applicable aux maisons d’édition dont l’activité principale est l’édition de livres, intègre d’ailleurs une annexe spécifique organisant les conditions de travail des travailleurs à domicile (4).
La requalification en contrat de travail est grandement facilitée lorsqu’elle est sollicitée sur le fondement du statut de travailleur à domicile, dans la mesure où il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un lien de subordination.
Le débat portera alors sur la nature forfaitaire ou non de la rémunération. La rémunération est considérée comme forfaitaire lorsqu’elle est fixée selon un montant et des modalités connues à l’avance et qui ne dépend pas d’événements postérieurs à l’exécution de la prestation de travail. Dans un contrat dénommé contrat d’édition, l’analyse de la rédaction des clauses contractuelles relatives à la rémunération peut conduire à caractériser celle-ci de forfaitaire. Lorsqu’une clause contractuelle de rémunération prévoyant le versement d’une « avance » précise que celle-ci restera définitivement acquise à l’auteur, il y a des chances que cette rémunération puisse être considérée comme forfaitaire.
Le droit d’auteur prévoit une rémunération proportionnelle de principe (5), (le pourcentage est calculé sur le prix de vente au public hors taxe) qui peut, de manière exceptionnelle, être forfaitaire (il s’agit d’une somme fixe et définitive, indépendante du succès de l’œuvre) (6).
Certaines clauses de contrats d’édition fixant une rémunération proportionnelle, prévoient un mode de calcul aboutissant à une rémunération dérisoire de l’auteur, rendue inexistante du fait de l’affectation de cette rémunération au remboursement de l’avance. Il est possible de considérer qu’un tel mode de calcul ne respecte pas le principe de la rémunération proportionnelle et cache en réalité une rémunération forfaitaire. En tout état de cause, dans un tel cas, il existe bien une rémunération forfaitaire, contrepartie de la disponibilité de la personne chargée de la réalisation d’un travail.
Les conséquences d’une requalification
L’article L.7412-1 du code du travail définit le travailleur à domicile comme toute personne qui « exécute, moyennant une rémunération forfaitaire, pour le compte d’un ou plusieurs établissements, un travail qui lui est confié soit directement, soit par un intermédiaire ; travaille soit seule, soit avec son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin ou avec ses enfants à charge au sens fixé par l’article L. 313-3 du code de la sécurité sociale, ou avec un auxiliaire.»
Le code du travail précise que ces conditions suffisent à établir l’existence d’un contrat de travail à domicile et qu’il n’y a donc pas lieu de rechercher s’il existe entre le travailleur et le donneur d’ouvrage un lien de subordination juridique (7).
Le code rappelle cependant que le statut du travailleur à domicile ne peut annihiler la présomption d’indépendance issue de l’article L.8221-6 du code du travail, au profit des personnes physiques ayant procédé à l’une des immatriculations visées par le texte.
Si le travailleur à domicile est immatriculé pour l’objet du travail, à l’URSSAF ou au registre du commerce, ou si l’activité est exercée dans le cadre d’une société immatriculée, il est présumé indépendant vis-à-vis du donneur d’ouvrage qui sera son client et non son employeur.
Dans nos métiers, cela concerne souvent les réalisateurs de bandes sonores ou de phonogrammes qui, du fait de la baisse des coûts des matériels professionnels d’enregistrement, travaillent de plus en plus souvent à domicile sur du tout électronique.
En revanche, dans un tel cas, l’existence d’un contrat de travail pourra néanmoins être établie lorsque « les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci » (8).
Si un réalisateur est sous le contrôle permanent d’un producteur pour le temps de la réalisation d’un album ou d’une bande sonore d’un film, s’il prouve qu’il ne pouvait pas exécuter sa prestation de travail en dehors des directives du donneur d’ouvrage, qu’il ne bénéficiait d’aucune autonomie, il peut être considéré comme s’étant trouvé dans un lien de subordination juridique permanent et la présomption de non salariat ne s’appliquera pas. Dans le cadre d’une décision de la cour de cassation de 2006, la présomption de non salariat a été considérée comme inapplicable à une personne inscrite au RCS qui avait été soumise à une période d’essai, était tenue de travailler 35 heures par semaine et bénéficiait en contrepartie d’une rémunération mensuelle et d’un logement, était tenue d’obtenir un accord pour fixer ses périodes de congés, recevait des directives précises quant à l’exécution des tâches. La personne était ainsi placée sous le contrôle permanent du donneur d’ouvrage et exerçait son travail dans un lien de subordination caractérisant un contrat de travail (9).
Les critères traditionnels sont inopérants
L’article L.7412-1 du code du travail, dispense de rechercher les éléments suivants pour la définition du travailleur à domicile :
b) s’il travaille sous la surveillance immédiate et habituelle du donneur d’ouvrage ;
c) si le local où il travaille et le matériel qu’il emploie, quelle qu’en soit l’importance, lui appartient ;
d) s’il se procure lui-même les fournitures accessoires ;
e) le nombre d’heures accomplies.
La rémunération du travailleur à domicile
Le nombre d’heures accomplies par le travailleur à domicile n’a pas à être recherché pour déterminer sa rémunération, car celle-ci est forfaitaire. C’est pourquoi le code du travail impose à l’employeur d’un travailleur à domicile d’établir un carnet (en deux exemplaires) précisant la nature et la quantité du travail, la date à laquelle il est donné, les temps d’exécution, les prix ou les salaires applicables. Si l’employeur ne respecte pas ces conditions légales, le contrat de travail est présumé conclu à temps complet (10).
L’employeur ne peut donc pas faire l’impasse d’un certain formalisme en matière de contrat de travail d’un travailleur à domicile. Les travailleurs à domicile se voient appliquer le régime applicable aux salariés à temps partiel et l’absence d’écrit ou des mentions obligatoires fait présumer l’existence d’un contrat de travail à temps plein (11).
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
(1) Article L.7412-1 du code du travail.
(2) Article 12 alinéa 2 du code de procédure civile et Cass. Soc., 3 juin 2009, n° 08-40981.
(3) Arrêté d’extension du 24 juillet 2000, JORF du 9 août 2000.
(4) Annexe IV de la convention collective nationale de l’édition du 14 janvier 2000.
(5) Article L.131-4 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle (CPI) : « La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation ».
(6) Articles L.121-2 alinéa 2 et suivants et L.132-6 du code de la propriété intellectuelle.
(7) sous réserve de l’application de l’article L.8221-6 du code du travail.
(8) En application des dispositions du II de l’article L.8221-6 du code du travail, rappelé au 2 a) de l’article L.7412-1 du code du travail sur le travail à domicile,
(9) Cass. Soc., 22 mars 2006, n°05-42346.
(10) Cass. Soc., 3 novembre 2010, n° 09-40.255.
(11) Voir La Lettre de Nodula n° 228 janvier 2013 pages 2242 à 2244.
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