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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  

Les contours de l’œuvre de collaboration en matière de bande dessinée

Chaque mois, nous sélectionnons un article que nous mettons en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire du numéro correspondant

Cet article a été publié au numéro 228 correspondant à l'actualité du mois de Janvier 2013.

L’œuvre de collaboration est l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques (1). Cette qualification est importante puisqu’elle détermine un mode de gestion de l’œuvre. L’article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle (CPI) pose en effet comme principe que l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs et que ces derniers doivent exercer leurs droits d’un commun accord. Lorsque les contributions de chacun des auteurs relèvent d’un genre différent, notamment en matière de bande dessinée où il y aura le plus souvent un auteur du scénario et un auteur des dessins, les coauteurs d’une telle œuvre doivent veiller à définir les droits de chacun de façon précise. Il est également de l’intérêt de l’éditeur ou du producteur d’une telle œuvre de s’assurer que les droits soient gérés d’un commun accord entre tous les coauteurs en collaboration afin d’éviter des blocages. En effet, si le CPI prévoit la possibilité de faire régler les différends par le tribunal de grande instance (TGI), ces instances sont lourdes, longues et laissent parfois des séquelles dont les œuvres ne se relèvent pas (2).

La participation à une œuvre commune

Parmi les critères retenus par les juridictions, une œuvre de collaboration se caractérise tout d’abord par un apport spécifique de création intellectuelle de chacun des participants, qui doit résulter d’éléments précis révélant le rôle de création de chacun (3). Ensuite, il est nécessaire que le travail de chacun des participants soit concerté : l’œuvre de collaboration est le résultat d’une concertation des coauteurs, animés par une inspiration commune, une « communauté d’inspiration et de but poursuivi » ou encore une « intimité spirituelle ». Le fait que les participants se répartissent les tâches, qu’ils créent successivement et pas en même temps, que les créations ne soient pas d’égale importance n’empêche pas la qualification d’œuvre de collaboration.

Ainsi, une bande dessinée est en principe qualifiée d’œuvre de collaboration, unissant l’auteur des dialogues et l’auteur du graphisme des personnages (4). En effet, le travail du dessinateur est intimement lié à celui du scénariste, puisque le graphisme du personnage sera créé en fonction des dialogues. L’œuvre de collaboration étant la propriété commune des coauteurs, la cession des droits nécessite l’accord de tous les coauteurs (5). Ce type d’œuvre évoque une forme d’indivision dans la mesure où plusieurs personnes ont, de manière simultanée, des pouvoirs sur l’ensemble de l’œuvre. Dans le cas de la bande dessinée, l’auteur des personnages ne pourra exploiter ceux-ci qu’avec le consentement du graphiste. Dans un arrêt de 1983, la cour de cassation a considéré que le dessinateur pouvait exiger que d’autres aventures comportant le nom et la figuration du personnage original ne soient pas publiées sans son accord, sous peine de contrefaçon (6).

La bande dessinée est-elle toujours une œuvre de collaboration ?

En principe, le dessinateur peut difficilement créer le graphisme du personnage sans avoir pris connaissance du scénario. Souvent, le dessin exprimera le scénario. La réciproque n’est cependant pas vraie : le scénario peut exister et avoir un sens sans les dessins. Même si le but est de réaliser un scénario et un dessin qui sont comme les deux facettes d’un tout indissociable. Il n’y a donc pas toujours collaboration entre l’écriture du scénario et son illustration.

Il peut arriver que le dessinateur ne fasse que suivre les instructions du scénariste, qu’il intervienne sur un scénario et des dialogues préexistant, ayant prévu le découpage de l’œuvre, sans pouvoir influer sur l’œuvre écrite.

L’exploitation séparée des contributions

Lorsque les contributions des coauteurs sont identifiables, qu’elles ne sont pas réalisées en même temps, l’exploitation séparée de ces contributions est possible, à deux conditions (et sauf convention contraire) : premièrement, elles doivent relever de genres différents, deuxièmement, leur exploitation ne doit pas concurrencer celle de l’œuvre commune (7). Dans le cas d’une bande dessinée, les contributions portant sur le texte et sur le dessin relèvent de genres différents : la forme graphique du personnage, le nom du personnage et les planches originales pourraient-ils permettre une exploitation séparée ? Il faudrait admettre que le personnage puisse être dissocié du scénario. Le dessinateur pourrait alors exploiter seul le personnage dont il a créé la forme et le scénariste pourrait exploiter seul le scénario qu’il a écrit, dès lors que les apports des coauteurs sont individualisables.

D’un côté, on peut considérer que les personnages graphiques sont la seule propriété du dessinateur, lequel « a créé matériellement les planches dessinées originales avec les moyens de son art » et « a seul la propriété des personnages » (8).

D’un autre côté, on peut considérer que la forme graphique est indissociable de l’histoire (9) et que les dessins ne peuvent pas être exploités séparément, en raison du « travail concerté et créatif conduit en commun en vue de la réalisation de personnages de bande dessinée, qui ont acquis leur identité par la conjonction des efforts des deux coauteurs » (10).

Une bande dessinée pourra parfois être qualifiée d’œuvre composite

L’œuvre composite ou dérivée est « l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière » (11). L’œuvre composite est « la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante » (12).

L’œuvre composite se distingue de l’œuvre de collaboration, mais à la lecture de la jurisprudence, la qualification s’avère souvent délicate. A la différence de l’œuvre de collaboration, l’œuvre composite exige la présence de deux œuvres : une œuvre nouvelle et une œuvre originaire, incorporée dans l’œuvre nouvelle. L’œuvre composite emprunte donc des éléments d’une œuvre originaire protégée par le droit d’auteur et doit, elle aussi, être originale. L’auteur de l’œuvre première ne collabore pas avec l’auteur de l’œuvre seconde, c’est-à-dire qu’ils ne se concertent pas pour l’élaboration de l’œuvre seconde ; autrement, il ne s’agirait pas d’une œuvre composite mais bien d’une œuvre de collaboration, déclenchant l’application du régime de l’œuvre de collaboration. Mais une œuvre composite peut être en même temps une œuvre de collaboration.

Prenons l’hypothèse du scénario d’un album de bande dessinée qui n’a donné lieu à aucun travail concerté : la qualification d’œuvre de collaboration est alors exclue. En revanche, l’auteur du scénario va choisir un graphiste auquel il va confier le soin d’illustrer son scénario et va travailler avec ce graphiste pour créer l’œuvre dessinée dont il contrôlera l’exécution et à laquelle il participe en donnant des directives précises, en corrigeant l’illustration, en surveillant son exécution. Dans ce cas, il y a bien création d’une bande dessinée qui s’analyse sur le plan de l’illustration comme une œuvre de collaboration, mais une œuvre de collaboration intégrant une œuvre préexistante, le scénario et les textes. Dans un tel cas, les personnages dessinés seront la propriété commune des coauteurs, mais aucune exploitation séparée des dessins ne pourra être initiée sans l’accord de l’auteur de l’œuvre préexistante également coauteur des dessins, l’illustration étant seule considérée comme relevant du mécanisme de la collaboration.

Dans la pratique, les auteurs du texte et de l’illustration contractualisent leurs relations et décident de considérer que l’œuvre est une œuvre de collaboration, même dans le cas où l’illustrateur n’intervient pas sur l’écriture du scénario. Mais si les auteurs, l’éditeur ou le producteur n’ont pas pris soin de se poser ces questions et de leur donner des réponses contractuelles, l’analyse des conditions réelles de la réalisation de l’œuvre  ne permettra pas toujours d’établir une collaboration sur le tout.

En l’absence de collaboration entre texte et illustration et de toute contractualisation des rapports entre auteurs, l’auteur de l’œuvre dérivée sera investi des droits d’auteur sur la totalité de l’œuvre, qui n’existera cependant que sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante intégrée (le scénario). Il devra donc obtenir l’accord de l’auteur de l’œuvre préexistante pour toute exploitation de son œuvre. L’auteur de l’œuvre première pouvant de surcroît s’opposer à toute modification de l’œuvre en application de son droit moral. 

Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris

(1) Article L.113-2 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle (CPI).

(2) Article L. 113-3 alinéas 1 et 2 du CPI : « L’œuvre de collaboration est la propriété commune des co-auteurs. Les co-auteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord ».

(3) Cass. Civ. 1ère, 6 mai 1997, Godard contre Houdelinckx, , cité par Recueil Dalloz 1997, 22ème cahier, informations rapides.

(4) Cass. Civ. 1ère, 2 décembre 1997, n°95-16653, Khazem contre Lowe.

(5) Article L. 113-3 alinéa 2 du CPI précité.

(6) Cass. Civ. 1ère, 19 décembre 1983, n° 82-14597.

(7) Article L. 113-3 alinéa 3 du CPI.

(8) Cass. Civ. 1ère, 6 mai 1997 précité.

(9) Cour d’appel de Poitiers, 6 septembre 1989, Auclaire contre Deschamps.

(10) Cass. Civ. 1ère, 2 décembre 1997 précité.

(11) Article L. 113-2 alinéa 2 du CPI.

(12) Article L. 113-4 du CPI.
 


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