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mois, nous sélectionnons un article que nous mettons
en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire.
Cet article a été publié au numéro
218 correspondant à l'actualité du mois de Février 2012 dans la rubrique "réponse aux questions parlementaires". Chaque mois nous sélectionnons les questions réponses les plus pertinentes pour les secteurs de la création artistique, que nous complétons éventuellement d'un commentaire.
Question. - M. Jean-Jacques Guillet attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur l’émoi suscité par la programmation prochaine de la pièce espagnole « Golgota picnic » à Toulouse puis à Paris. En effet, après le « Piss Christ » de très nombreux chrétiens s’estiment humiliés dans leur foi et indignés par cette programmation qui se veut provocante. Si le ministère de la culture et de la communication, attaché à la liberté de création des artistes, ne peut intervenir dans les choix dit « artistiques », il peut cependant s’assurer de l’origine de leur financement par des « partenaires institutionnels ». Il lui demande de lui faire connaître quels sont les financements ayant contribué à la mise en œuvre de cette pièce.
Réponse. – (1) Il convient de préciser que le spectacle « Gólgota picnic », qui sera présenté au Théâtre du Rond-Point du 8 au 17 décembre 2011, est une production du « Centro Dramatico Nacional » de Madrid, du Théâtre Garonne à Toulouse et du Festival d’Automne à Paris. Le Festival d’Automne et le Théâtre Garonne sont cofinancés par le ministère de la Culture et de la Communication, en partenariat avec les collectivités territoriales. Le Théâtre du Rond-Point, dont les charges de fonctionnement sont cofinancées par la ville de Paris et le ministère de la Culture et de la Communication, accueille ce spectacle en co-réalisation avec le Festival d’Automne. Le ministère de la Culture et de la Communication, ainsi que les collectivités publiques partenaires, confient une responsabilité artistique aux directeurs de ces institutions à partir d’un projet pour lequel ils sont recrutés. Ils élaborent une programmation pour composer une saison culturelle soumise en conseil d’administration, où l’État est représenté. Le conseil d’administration ne se prononce que sur la cohérence de la programmation avec le projet et sur les éléments financiers garantissant sa faisabilité. L’appréciation sur l’opportunité de coproduire ou accueillir un spectacle ne se fonde que sur les restrictions à la liberté d’expression fixées par la loi (incitation à la haine raciale et aux crimes, etc.) auxquelles contreviendrait un spectacle.
Commentaire. – Nous avons parfois du mal à croire que les manifestants qui s’époumonent à critiquer les prétendues atteintes à leurs convictions commises par voie de pièce théâtrale, comme ceux qui défendent régulièrement la prétendue intégrité morale de la non moins prétendue œuvre de Louis XIV chaque fois qu’une exposition contemporaine est présentée au château de Versailles, ou qu’un film parle de Versailles de façon libre, ne sont pas financés par les plans de communication des œuvres ou manifestations mises en cause. C’est le rêve de tout producteur d’attirer l’attention des intégristes et de s’offrir une promotion à bon compte.
Pourtant, si nous ne souhaitons pas rentrer dans le débat relatif au contenu idéologique d’une pièce, qu’il est toujours possible de critiquer devant un tribunal dans le respect des dispositions légales relatives à la liberté d’expression, la question posée soulève la problématique du financement public des œuvres et productions qui mérite quant à elle une vraie réflexion.
Au lieu de s’attaquer au contenu artistique de ces œuvres, et faire ainsi la promotion des œuvres ou productions qu’ils prétendent à tort ou à raison honnir, il serait nettement plus efficace de s’attaquer à leur mode de financement et au mode de conventionnement. En effet, est-il normal que les financements publics aillent à des entreprises privées qui ne respectent pas les dispositions relatives à la gestion des finances publiques ? Est-il normal qu’une entreprise privée se voit confier la gestion d’un équipement public, propriété de la Ville de Paris, pour une redevance symbolique, et qu’elle puisse générer des recettes en louant elle même cet équipement public sans appel d’offre ni mise en concurrence conclus dans le respect des dispositions du code des marchés publics ou de la réglementation relative aux délégations de service public ? Est il normal qu’à quelques centaines de mètres de l’Elysée, des situations de ce type, gravement attentatoires à l’Etat de droit puissent perdurer ?
Ainsi le ministre de la culture reconnaît que le théâtre du Rond Point est subventionné au niveau de ses charges de fonctionnement. Il s’agit donc non pas d’une subvention, mais d’une aide d’Etat qu’il est possible de critiquer comme ne répondant pas aux critères légaux autorisant le financement des entreprises dans le secteur culturel, tels qu’organisés par les traités et interprétés par la jurisprudence.
La situation est tellement peu conforme que le site internet du théâtre du Rond Point n’indique pas même sa raison sociale. Il y est indiqué que le directeur de la publication est « Le théâtre du Rond Point », on ne trouve nulle part présence de l’existence d’une société à responsabilité « Théâtre du Rond Point », ni de son numéro de RCS, en infraction avec les dispositions légales régissant les sites internet. En effet, si un appel à projet a bien été engagé afin d’aboutir à la nomination d’un directeur, ce n’est pas un directeur qui a été nommé, mais une société qui a contracté avec l’Etat et la ville afin de disposer du théâtre, le directeur étant en réalité le gérant de la société. Cette situation est d’ailleurs fort dommageable pour les directeurs ainsi nommés, lesquels découvrent parfois après coup, du moins lors de leur première nomination, qu’ils ne sont pas nommés directeurs d’un théâtre public, mais gérants d’une société privée obligée de contracter avec l’Etat dans une situation constitutive d’un délit d’octroi d’avantages injustifiés, outre d’une situation de gestion de fait qui les rend redevables de la totalité des fonds gérés illégalement par leur intermédiaire. L’intérêt pour l’Etat et la Ville, c’est qu’un directeur nommé dans de telles conditions ne pourra évidemment pas être réellement critique vis-à-vis de ses tutelles.
(1) QE AN 7 février 2012, n° 119826, p. 1089.
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