Chaque
mois, nous sélectionnons un article que nous mettons
en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire.
Cet article a été publié au numéro
205 du mois de décembre 2010 dans la rubrique "Réponse des ministres aux questions des parlementaires". Nous sélectionnons chaque mois quelques questions écrites des parlementaires et la réponse des ministres interpellés, lesquelles nous semblent dignes d'intérêt pour le secteur de la culture et de la communication et nous permettons de commenter la réponse du ministre.
Question. - M. Patrice Calméjane attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur les sociétés de perception qui gèrent les droits des artistes et des producteurs, et plus particulièrement sur les rémunérations de leurs dirigeants. Selon un rapport rendu ces derniers jours sur le sujet par la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, il en ressort des abus non sanctionnées, des dépenses abusives non effectuées dans l’intérêt de la société, et des salaires faramineux. Ces sociétés vivent sur une rente, un quasi-monopole de fait sur le territoire national. Il lui demande ainsi comment ces patrons de l’industrie du disque peuvent-ils justifier de conserver des rémunérations très élevées alors même que le marché de la musique s’est effondré de 50 % en cinq ans, et surtout il lui demande s’il est envisagé une limitation en la matière ou tout du moins une régulation ou une répartition plus juste des rentes ainsi dégagées d’un quasi-monopole non sujet à la concurrence.
Réponse. – (1) Les sociétés de perception et de répartition des droits sont des sociétés civiles gérant des intérêts privés dont le régime dérogatoire aux règles posées par le code civil sont inscrites au titre II du livre III du code de la propriété intellectuelle. Ces sociétés qui ne poursuivent aucun but lucratif agissent pour le compte et dans l’intérêt de leurs membres à qui il revient de veiller à leur bon fonctionnement au moyen des décisions collectives et des pouvoirs de contrôle interne qui leur sont reconnus. Afin d’améliorer la transparence au bénéfice des associés tout en prenant en compte leur nombre particulièrement élevé, la loi du 1er août 2000 aligne le régime du droit d’accès à l’information des associés des sociétés de perception et de répartition des droits sur celui des associés des sociétés civiles. Ces dispositions se référant à l’article 1855 du code civil sont reprises à l’article L. 321-5 du code de la propriété intellectuelle. Le ministère de la culture et de la communication a complété, par le décret n° 2001-334 du 17 avril 2001, ce dispositif en établissant des règles définissant les modalités d’exercice du droit d’accès à l’information des associés. Ces règles prévoient la liste des documents communicables, le mode de communication et, en application de l’article R. 321-6-3 du code de la propriété intellectuelle, la création, au sein de chaque société, d’une commission spéciale de recours que tout associé peut saisir en cas de refus de communication. La loi du 1er août 2000 contient également des dispositions spécifiques pour renforcer et compléter le contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits notamment en créant la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Ces dispositions reprises à l’article L. 321-13 du code de la propriété intellectuelle prévoient que la commission contrôle les comptes et la gestion des sociétés de perception et de répartition des droits et de leurs filiales. Elle présente un rapport annuel au Parlement, au Gouvernement et aux assemblées générales des sociétés de perception et de répartition des droits. Le dernier rapport traite en particulier de la politique salariale et des rémunérations au sein des sociétés de perception et de répartition des droits. En application de l’article L. 321-12 du code de la propriété intellectuelle modifié par la loi n° 2006-961, le ministère de la culture et de la communication, en collaboration avec le Conseil national de la comptabilité et la commission permanente de contrôle a travaillé à l’harmonisation comptable des sociétés de perception et de répartition des droits pour faciliter le contrôle de la commission, ce qui a abouti à la publication du règlement n° 2008-09 du 3 avril 2008 homologué par l’arrêté du 11 décembre 2008 du Comité de la réglementation comptable. Concernant la préoccupation relative aux salaires des dirigeants des sociétés de perception et de répartition des droits, il n’appartient pas au ministère d’exercer un contrôle sur ces revenus. Dans le strict cadre de ses missions prévues aux articles L. 321-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, et notamment dans le contrôle des statuts, des règlements intérieurs ou des décisions des organes sociaux le ministère n’a pas constaté de dispositions illégales relatives à la rémunération des dirigeants des sociétés de gestion collective des droits voisins. De même, les rapports devant être transmis par les commissions spéciales prévues à l’article R. 321-6-3 du code de la propriété intellectuelle à la commission de contrôle et au ministère ne font pas ressortir d’anomalies. Les développements sur ce sujet de la part de la commission permanente de contrôle relèvent de son appréciation autonome. Il revient donc aux associés de suivre l’évolution des revenus des dirigeants des sociétés de perception et de répartition des droits en utilisant pleinement les pouvoirs de contrôle interne qui ont été récemment renforcés par les textes. Il faut relever qu’hormis la limite liée aux demandes répétitives ou abusives de l’article R. 321-6-2 du code de la propriété intellectuelle et celle liée à l’accès au montant des droits répartis individuellement à tout autre ayant droit prévue à l’article L. 321-5 du code de la propriété intellectuelle, l’étendue du droit d’accès des associés est très large. L’article R. 321-6-1 du code de la propriété intellectuelle précité prévoit l’accès, dans les deux mois précédant l’assemblée générale annuelle, au montant global certifié exact par les commissaires aux comptes, des rémunérations versées aux personnes les mieux rémunérées, le nombre de ces personnes étant de dix ou de cinq selon que l’effectif de la société excède ou non deux cents personnes. La commission spéciale relative au droit d’accès dont le ministère a, depuis 2001, vérifié la création effective au sein de chaque société doit également rendre compte annuellement de son activité à l’assemblée générale, ce qui favorise l’information des associés.
Commentaire. – Cette réponse ministérielle contient un certain nombre d’inexactitudes vis-à-vis desquelles il nous semble indispensable de réagir.
Si les sociétés de perception et de répartition des droits sont indéniablement des sociétés de droit privé, il est totalement faux d’affirmer qu’elles ne gèrent que des intérêts privés.
Ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État dans un arrêt du 22 février 2007 (2) « indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public ; que, même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission ; »
Or, la loi confie aux sociétés de perception et répartition des droits un certain nombre de missions de service public (3). Ces missions sont assorties de prérogatives de puissances publique, et ces sociétés sont soumises à un contrôle public, du ministère de la culture au moment de leur création et pour toute modification de leurs statuts ou de leur règlement général, de la Commission de contrôle des SPRD de façon permanente, organe dépendant de la Cour des comptes.
Pour certaines de leurs missions, les sociétés de perception et de répartition des droits sont en conséquence titulaires de missions de service public et pourraient être parfois considérées comme étant des organismes administratifs.
Ainsi, lorsqu'une entreprise diffuse des phonogrammes du commerce dans un lieu ouvert au public, elle ne sollicite aucune autorisation des sociétés gestionnaires des droits des artistes et des producteurs de phonogrammes et n’a pas à le faire puisque cela relève de ce que les juristes appellent une "licence légale", et qui est organisé par l’article L.214-1 du Code de la Propriété Intellectuelle. Cependant ces utilisations ouvrent un droit à rémunération. C’est une commission administrative indépendante nommée par l’État qui détermine le montant de cette rémunération. C’est ensuite une SPRD créée conformément à la loi et sous contrôle de l’État qui est seule habilitée à percevoir ces rémunérations.
Au titre de ces mécanismes de licence légale confiés par la loi aux SPRD, on trouve également la rémunération pour copie privée. C'est la loi et une commission administrative qui établit le niveau de taxation des produits. Ce sont ensuite des SPRD qui en assure la réparation aux ayants-droit, auteurs, producteurs, artistes. C'est également la loi qui oblige ces SPRD à consacrer une part des rémunérations perçues à ce titre à des actions d'aides à la création et à la formation d'artistes elles aussi encadrées par la loi.
Le droit de reprographie et le droit de prêt sont également encadrés par des licences légales.
Les nouvelles dispositions issues de la loi de 2007 et qui consacrentt des exceptions pour certaines utilisations pédagogiques, outre des des exceptions pour les handicapés physiques prévoient elles aussi des mécanismes de licence légale.
Lors qu'elles interviennent dans le cadre de la gestion de ces licences légales, les SPRD sont titulaires de missions de service public.
Les SPRD devraient donc appliquer les dispositions du code pénal destinées à prévenir les faits de corruption dans le cadre de la gestion publique s’appliquent également aux personnes privées en charges de missions de service public. Dans la pratique, elles ignorent totalement ces dispositions, les membres des commission chargés de répartit les subventions dans le cadre de l'action culturelle obligatoire, n'hésitant pas à s'octroyer des subventions à eux même, ou pour des projets dans lesquels ils détiennent des intérêts. Sortant parfois de la salle lors de la délibération les concernant, ainsi que l'avait relevé le récent rapport de la commission de contrôle des SPRD qui avait quant même noté que cela posait des problèmes d'éthique, sans oser qualifier pénalement ces pratiques qu'elle aurait du transmettre au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale.
De plus, lorsqu'une SPRD intervient pour percevoir des sommes auprès des utilisateurs des enregistrements en application de licences légales, notamment au titre de la Rémunération équitable, elle effectue une mission de service public. Elle ne peut donc prélever sur ces sommes des frais de gestion non prévus par la loi sans encourir le délit de l'article 432-12 du code pénal.
Les rémunérations des dirigeant des SPRD qui participent à la gestion de ces licences légale ou à l'action culturelle obligatoire, si le budget de ces SPRD prélève des frais de gestion sur ces sommes participe au recel de sommes illégalement prélevées et pourraient relever de qualifications pénales.
Cela ne semble pas émouvoir outre mesure les agents du ministère de la culture qui cogèrent avec ces SPRD un certain nombre d'entreprises financées par cette action culturelle et manquant donc en cette matière de l'indépendance la plus élémentaire.
Par ailleurs, il est totalement faux d’affirmer que les SPRD ne poursuivent aucun but lucratif
Il est de jurisprudence constante qu’une association qui offre des services à des entreprises à but lucratif est elle même considérée comme étant à but lucratif sur le plan fiscal. De plus, au regard du droit social, il est évident que ces entreprises qui utilisent des moyens professionnels et font de la communication sont des entreprises à but lucratif. Or, un certain nombre de SPRD sont constituées d'entreprises, notamment la SACEM qui intègre les éditeurs.
Le ministère de la culture devrait donc contrôler les revenus que se versent ces sociétés dans le cadre de leurs missions de service public. A titre d’exemple, aucune loi ne les autorise à percevoir des frais de gestion au titre de la perception de la Rémunération équitable, qui relève intégralement d’une mission de service public.
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
(1) QE AN 9 novembre 2010, p. 12215, n° 76670.
(2) CE 22 février 2007, n° 264541.
(3) Cela concerne les licences légales, notamment dans le cadre de la copie privée, de la rémunération équitable, du droit de reprographie et du droit de prêt.
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