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Cet article a été publié au numéro
203 du mois d'octobre 2010 dans la rubrique des réponses des ministres aux questions des parlementaires. Nous sélections les interventions des députés et sénateurs concernant notre secteur, les réponses qu'y ont apportées les ministres interpellés et un commentaire si la question ou la réponse le mérite.
Question. - M. Raymond Couderc attire l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur l’application du décret n° 2009-1049 du 27 août 2009 relatif au temps de travail de certains enfants du spectacle, aux chœurs d’enfants.
En effet, l’article 1 de ce décret amène à des interrogations dans les fédérations et les associations de jeunes chanteurs.
Ainsi, la première interrogation résulte de la terminologie employée. Le terme « manécanterie » recouvre uniquement les chœurs à vocation religieuse. Qu’en est-il alors des chœurs laïques ? Existe-t-il dès lors deux régimes de droit distincts ? Le terme de « chœur d’enfants et d’adolescents », plus général, paraîtrait sans doute plus approprié.
De même, lorsqu’il est fait référence à « une manécanterie développant une activité de production de spectacles itinérants dans le cadre d’un projet pédagogique d’un établissement d’enseignement », il semble nécessaire de faire la distinction entre les organisateurs de spectacles dont l’objet est lucratif et ceux dont le prix des entrées ne sert qu’à couvrir les frais de réalisation du spectacle.
En effet, il semble injuste que les fédérations et les associations de chœurs d’enfants et d’adolescents n’ayant pas un but lucratif se retrouvent pénalisées du fait de l’application de ce décret dès lors qu’elles mettent en place des concerts avec billetterie (afin de subvenir aux coûts de production). De plus, payer les enfants pour leurs prestations apparaît aux associations et aux fédérations, au regard des valeurs qu’elles prônent, comme anti-éducatif.
C’est pourquoi il lui demande de préciser les mesures qu’il entend prendre pour apporter des solutions aux problèmes soulevés par ce décret.
Réponse. – (1) Le décret n° 2009-1049 du 27 août 2009 relatif au temps de travail de certains enfants du spectacle doit être replacé dans le cadre des dispositions relatives au travail des enfants prévues dans le code du travail. Dès lors que les enfants se produisent et participent à un spectacle dans un cadre lucratif, ils sont soumis au droit du travail et à ce titre doivent être rémunérés pour les répétitions et les représentations. Le caractère lucratif d’un spectacle est apprécié, au sens du code de travail, en fonction de plusieurs critères : la fréquence et l’importance des manifestations, le recours à la publicité, l’usage de matériel professionnel. Cette réglementation s’applique sans distinction du secteur d’activité dans lequel l’enfant est employé. L’activité d’une chorale d’enfants ne s’exerce en principe que ponctuellement dans un cadre lucratif. Le caractère lucratif d’un spectacle n’est pas uniquement établi par la présence d’une billetterie. Ainsi les jeunes amateurs qui exposent leur pratique artistique par exemple lors d’un spectacle de fin d’année ne relèvent pas du code du travail. Le décret du 27 août 2009 assouplit les dispositions du code du travail pour les manécanteries en permettant que, lorsqu’elles se produisent dans un cadre lucratif, seules les représentations soient rémunérées, les répétitions étant assimilées au travail pédagogique. Historiquement, une manécanterie désigne un choeur d’enfants à vocation religieuse mais le ministère du travail, de la solidarité et de la fonction publique a précisé que selon la définition qu’en donne le dictionnaire de l’Académie française une manécanterie est « une maîtrise formant des enfants au chant choral religieux ou profane ». Le texte concerne donc tout choeur d’enfants attaché à une activité d’enseignement. Le ministère de la culture et de la communication est attaché à encourager et à favoriser la pratique amateur mais reste très vigilant au regard du travail des enfants en lien avec le ministère du travail, de la solidarité et de la fonction publique et ne saurait envisager aucune mesure dérogatoire dans ce domaine.
Commentaire. - Il faut tout de même beaucoup d’imagination pour voir dans le nouvel article R.7124-30-2 du code du travail un texte qui exonère les cœurs d’enfant de l’obligation de payer les répétitions des spectacles lorsque l’activité est exercée à but lucratif. Effectivement, c’est le danger de l’empilage de textes, l’équilibre de l’ensemble est parfois incertain.
Ainsi que le dit pourtant à juste titre le ministre de la culture, c’est le code du travail qui définit la notion de lucrativité. Cette notion est définie par l’article L.8221-4 du code du travail et l’article R.7124-30 du code du travail ne contient aucune disposition dérogeant au principe posé par la loi pour les répétitions des spectacles. D’autant que la loi n’a en aucun cas prévu que des dérogations à cette présomption de lucrativité puissent être mise en place par voie réglementaire.
D’ailleurs, l’article R.7124-30-2 du code du travail ne vise aucunement les dispositions relatives à la présomption de lucrativité. Il vise uniquement l’article L.3121-1 du code du travail qui définit la notion de travail effectif, et les articles L.7124-1 et suivant du code du travail qui réglementent le travail des enfants dans le spectacle.
Cette disposition introduite par le décret de 2009 cité par le parlementaire se contente d’indiquer que la durée des représentations payantes constitue un travail effectif, elle n’exclut aucunement que les répétitions ayant précédé ces représentations puissent elles aussi relever de la définition du travail effectif. Le décret de 2009 exclut au contraire de pouvoir écarter la présomption de lucrativité de l’article L.8221-4 du code du travail, qui n’est qu’une présomption simple. A partir du moment où le spectacle est payant, les enfants participant à des manécanteries développant une activité de production de spectacle dans le cadre du projet pédagogique d’un établissement d’enseignement doivent désormais être rémunérés. Il n’est plus possible de se dispenser de cette obligation en rapportant la preuve que l’activité est exercée dans un cadre non lucratif.
L’article L.3121-1 du code du travail qui définit le travail effectif s’applique donc intégralement aux répétitions. Il s’agit du temps durant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.
En ce qui concerne les répétitions des chœurs d’enfants, même lorsque les représentations sont payantes et font l’objet d’un salariat des enfants, leur régime, contrairement à ce que laisse entendre le ministre continue à relever des principes généraux définissant le salariat, outre les dispositions de la présomption de salariat des artistes du spectacle de l’article L.7121-3 du code du travail.
Il suffit de prendre connaissance des règlements intérieurs qui organisent le travail de la plupart de ces chœurs pour se rendre compte que la plupart des associations qui structurent ces chœurs exigent des élèves une discipline stricte caractérisant un lien de subordination. Or, si l’absence de subordination en matière artistique ne permet pas d’écarter la notion de salariat, la subordination en est la principale caractéristique et s’applique également aux artistes du spectacle.
En l’état actuel du droit, à partir du moment ou la manécanterie, qui n’est pas forcément à caractère religieux, fait payer les représentations de ses spectacles et développe une activité de production de spectacles itinérants dans le cadre du projet pédagogique d’un établissement d’enseignement, il nous semble obligatoire de rémunérer les répétitions, sauf à analyser le risque réel encouru dans le cas contraire, et de pratiquer une politique de gestion de risque, solution qu’adopteront les entreprises n’ayant pas les moyens de modifier leur mode de gestion et celles ayant les moyens de s’assurer des soutiens politiques et administratifs leurs permettant de s’abstenir de respecter la réglementation.
Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris
(1) QE Sénat du 14 octobre 2010 - page 2684, n° 11397.
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