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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  

Professionnels du spectacle

considérés comme des délinquants

Chaque mois, nous sélectionnons un article que nous mettons en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire.

Cet article a été publié au numéro 199 du mois de mai 2010 dans la rubrique "les réponses des ministres aux questions des parlementaires". Nous sélectionnons et commentons ces questions et réponses.



Question. -
M. Maxime Bono attire l’attention de M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité sur la politique de contrôle conduite auprès des intermittents du spectacle et des structures qui les emploient. Ces contrôles sont vécus par les artistes et les techniciens du spectacle comme l’expression d’une suspicion à l’égard de leur pratique professionnelle. Les vérifications dont ils font l’objet portent sur la forme même de leur travail, et non plus sur leur statut dont les contours juridiques demeurent flous. Nombre d’artistes estiment que les contrôles dont ils font l’objet sont, selon eux, abusifs. Il lui demande quelles dispositions il entend prendre pour, d’une part, clarifier le statut des artistes et des techniciens du spectacle et, d’autre part, pour respecter la dignité de ces travailleurs qui, pour certains, se sentent traités comme des délinquants.

Réponse. – (1) Le statut des artistes du spectacle vivant est fixé par l’article L.7121-3 du code du travail qui institue en leur faveur une présomption de salariat à laquelle le Gouvernement et les professionnels demeurent très attachés. Les techniciens relèvent, eux, du droit commun du contrat de travail. Les contrôles auxquels sont soumis les employeurs du secteur ont vocation à vérifier que les droits afférents à ces contrats ont bien été respectés, le premier étant la déclaration du salarié aux organismes sociaux. Il s’agit donc de mesures de protection des salariés du secteur dont les représentants n’ont de cesse de demander le renforcement. Ils ont signé avec l’État une convention nationale de lutte contre le travail illégal en 1999. Son contenu a été mis à jour le 25 novembre 2009, afin d’améliorer l’efficacité de ces contrôles et de mieux garantir aux artistes et techniciens le respect de leurs droits.

Commentaire. - Il est probable que l’honorable parlementaire ne sorte pas fort éclairé de la lecture de cette réponse ministérielle. En effet, les nombreux contrôles diligentés par Pôle Emploi concernent les modalités d’exercice des professionnels du spectacle et n’ont la plupart du temps rien à voir avec les dispositions relatives à la présomption de salariat des artistes ou la lutte contre le travail dissimulé.

Pôle Emploi contrôle en premier lieu les personnes qui sollicitent des allocations chômages dans les annexes 8 et 10 du régime général d’allocation chômage, dites des intermittents spectacles alors qu’elles ne sont pas en situation de recherche d’emploi.

Deux situations se rencontrent le plus couramment. Soit la personne qui sollicite des allocations chômage n’est pas réellement salariée et a en réalité la qualité de chef d’entreprise ou de travailleur indépendant et ne peut donc prétendre à des allocations réservées aux personnes ayant un statut de salarié. Soit la personne qui sollicite des allocations n’est pas réellement à la recherche d’un emploi et est en réalité à la disposition permanente d’une entreprise qui ne l’embauche que de façon intermittente.

Les syndicats professionnels du spectacle ont en effet refusé de prendre les dispositions prévues par la loi (2) pour réglementer les contrats à durée indéterminée intermittents dont devrait en principe relever la majorité des artistes du spectacle. De plus, les récentes dispositions relatives aux obligations de validations des accords d’entreprises (3) par les commissions paritaires de branche vont empêcher les entreprises soucieuses de respecter leurs salariés professionnels du spectacle de mettre en place des accords, afin de sauvegarder les fonds de commerce de syndicats qui vivent et prospèrent grâce à la précarité qu’ils considèrent indispensable de faire perdurer.

L’utilisation permanente par les pouvoirs publics et les professionnels du secteur de la référence au « statut d’intermittent » a fait croire à de nombreux professionnels qu’ils avaient un droit à percevoir des allocations des Assedic (Pôle Emploi) en qualité d’intermittent alors même qu’ils ne sont pas en situation de recherche d’emploi. On considère qu’il est normal que ces allocations, qui sont considérées comme une subvention aux professionnels du spectacle (en reconnaissance de leur « statut ») financent les périodes de préparation des spectacles que personne ne rémunère, les temps consacrés à la recherche de débouchés, les temps de trajet, les temps non rémunérés entre deux spectacles ou représentations.
Que les professionnels du spectacle se sentent traités comme des délinquants est certes regrettable, mais ce qui l’est davantage, c’est qu’un secteur entier de l’économie vive sur la base de mécanismes qui relèvent effectivement d’une logique d’escroquerie aux charges sociales, cela avec l’aval complaisant des pouvoirs publics et du ministère de la culture qui use et abuse de ce système. En effet, ce dernier licencie parfois les directeurs de scène nationale pour faute grave afin de leur octroyer ensuite des indemnités de licenciement et des droits au chômage, sollicitant des structures « labellisées » qu’elles engagent les directeurs non renouvelés sur des contrats à durée déterminée leur permettant ensuite de percevoir les Assedic dans les annexes spectacles, subventionnant et faisant vivre des structures permanentes sachant qu’elles ne peuvent subsister qu’avec les allocations chômages, imposant des tarifs qui ne permettent pas aux professionnels de vivre sans tricher. La concurrence des entreprises du secteur subventionné qui vend à perte grâce à la subvention empêche en effet les entreprises indépendantes d’être concurrentielles sans tricher elles aussi avec les Assedic.

D’ailleurs, si Pôle Emploi traite les professionnels du spectacle comme des délinquants, la plupart des dossiers ne vont cependant qu’exceptionnellement devant les tribunaux correctionnels. Le ministère de la culture et les collectivités locales sont tellement impliqués dans la fraude que Pôle Emploi hésite à offrir une tribune à cette problématique et les nombreuses gardes à vue et poursuites subies par des « intermittents » débouchent rarement sur des poursuites réelles. Pôle Emploi se satisfait le plus souvent de la simple radiation des intéressés.

La situation est tellement confuse que la cour d’appel de Paris a pu reprocher à un technicien du spectacle qui ne s’était pas considéré comme étant en situation de recherche d’emploi, de ne pas avoir sollicité des allocations des Assedic pour rémunérer les périodes d’astreinte que lui imposait son employeur théâtre public (4). De nombreux artistes ou techniciens peuvent donc de bonne foi s’étonner qu’on les considère comme des délinquants alors qu’ils font comme tout le monde…

Il ne nous semble donc pas possible de considérer, ainsi que le fait le ministère du travail que tout est clair dans le secteur du spectacle sauf à faire comme Madame la Marquise qui considère toujours que tout va bien alors que le château brûle.

En effet, ce secteur meurt de vivre en dehors de l’État de droit, et sans administration étatique digne de ce nom. A titre d’exemple, il nous semble intéressant de citer un jugement du conseil de prud’hommes de Créteil (5), dans une instance opposant une comédienne à sa compagnie et qui demandait la requalification de ses contrats d’usage en contrat de travail à durée indéterminée et le paiement d’arriérés de salaires. Ce tribunal a considéré que « le conseil ayant entendu les parties reconnaître à la barre que les conditions de rémunération de M. X étaient d’un commun accord organisées dans le but de permettre à cette dernière d’obtenir la meilleure indemnisation possible des Assedic au titre des intermittent du spectacles. (…) que nul ne peut tirer profit de sa propre turpitude, décide de débouter les parties de l’intégralité de leurs demandes, ordonne la transmission du jugement au procureur de la République afin qu’il puisse diligenter les poursuite prévues par la loi en cas de fraude visant à obtenir des avantages indus du régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle, ordonne la transmission aux Assedic de l’Est Francilien pour qu’il puisse prendre les dispositions nécessaires. »

Dans ce dossier singulier, les artistes étaient tellement persuadés de disposer d’un statut d’intermittent qu’ils ont voulu régler leur différent devant un tribunal en lui exposant la réalité de la situation. Le conseil de prud’hommes a été des plus choqués de constater les usages revendiqués tant par la comédienne en principe salariée que par la compagnie en principe employeur qu’elle les a tous deux traités comme des délinquants.

Pôle Emploi sollicite de nombreux intermittents qu’ils justifient d’une part de la réalité de leur emploi salarié et d’autre part de la réalité de leur situation de demandeur d’emploi. Pôle emploi connaît suffisamment le secteur pour savoir que le nombre de fraudeurs est fort conséquent. Il pourrait même représenter une majorité des allocataires.

Un secteur où la majorité des intervenants triche avec la légalité républicaine est forcément malade, et une société qui s’abstiendrait de poursuivre des comportements délictuels au motif qu’ils sont commis par des professionnels du spectacle encore plus. La polémique suscitée autour de l’affaire Polanski a profondément choqué la majorité des français et encore plus les américains. Et ce n’est pas en se comportant comme des autruches que l’on changera les choses.

En effet, il n’est pas nécessaire d’être docteur en droit pour savoir que les allocations chômages sont réservées aux demandeurs d’emploi et que solliciter une allocation chômage alors que l’on travaille à temps plein constitue une fraude aux prestations sociales qui fait de vous ce qu’on appelle un délinquant. Il n’est pas non plus sérieusement défendable que le fait de créer une association avec des prête-noms, et parfois sans aucun adhérent, afin de déclarer des salaires et percevoir le chômage alors que l’on est le seul décideur, puisse relever d’un comportement social normal, d’autant que les intéressés connaissent parfaitement le caractère fictif de ces associations. Certaines administrations ne se gênent pas davantage pour reconnaître par écrit que le recours à l’association dans le domaine du spectacle permet de sortir des contraintes de la comptabilité publique et de la fonction publique, oubliant qu’un tel comportement est illicite.

Il est parfois un peu facile pour les professionnels du spectacle de critiquer le fait d’être considéré comme des délinquants et de ne pas reconnaître qu’ils sont effectivement contraints à la délinquance par les pouvoirs publics et le ministère de la culture.

C’est cette situation qu’il faut faire évoluer et dénoncer afin de permettre le retour du monde culturel français dans l’État de droit, dont André MALRAUX et Jack LANG se sont évertués à le faire sortir à des fins de clientélisme.

Il est vrai que cela demande un peu de courage et que la particularité principale d’une culture étatisée, c’est de ne pas être très critique vis-à-vis de la main qui la fait vivre. ?

Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris


(1) QEAN 4 mai 2010, p. 4954 n° 32937.
(2) L’article L3123-31 du code du travail soumet la possibilité de conclure ce type de contrat à la conclusion d’une convention ou d’un accord collectif de travail.
(3) Article L2232-22 du code du travail.
(4) Cour d’appel de Paris, 6 décembre 2007, n° 07/06694, cassée par Cass. Soc. 1er juillet 2009, n°07-43525.
(5) CPH Créteil, 19 juin 2008, n° 07/01094.





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