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Cet article a été publié au numéro
198 du mois d'Avril 2010.
En mars 2010, la commission du Centre national du cinéma et de l’image animée, chargée d’octroyer des subventions pour la captation du spectacle vivant, a démissionné. Cette démission fait suite aux soupçons de fuites et de traitement de faveur dont aurait bénéficié l’animatrice et productrice Daniela Lumbroso, qui avait déposé à plusieurs reprises des demandes de subventions auprès du CNC. Ces accusations de favoritisme sont l’occasion de nous pencher sur la composition des commissions spécialisées du CNC, dont les membres, professionnels de l’audiovisuel, se trouvent très régulièrement en position de prise illégale d’intérêt (1).
Les missions du Centre national du cinéma et de l’image animée
Le Centre national du cinéma et de l’image animée est un établissement public administratif doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, placé sous la tutelle du Ministère de la Culture (2).
Il assure, sous l’autorité du Ministre de la Culture, l’unité de conception et de mise en œuvre de la politique de l’État dans les domaines du cinéma et des autres arts et industries de l’image animée, notamment ceux de l’audiovisuel, de la vidéo et du multimédia.
À cette fin, il soutient notamment par l’attribution d’aides financières la création, la production, la distribution, la diffusion et la promotion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles et des œuvres multimédia, ce qui est censé soutenir la diversité des formes d’expression et de diffusion cinématographique, audiovisuelle et multimédia et la formation professionnelle.
Cependant, le CNC est atteint de la tare congénitale du ministère de la culture français. Il est à la fois chargé de missions typiquement régaliennes, à savoir l’élaboration et le contrôle de la réglementation de l’audiovisuel, mais également de missions d’intervention artistiques, qui l’amènent à décider des contenus des programmes aidés.
Le problème, c’est que l’utilisation des fonds publics impose le respect des règles de contrôle de ces fonds publics, et du principe de légalité qui doit s’appliquer dans les processus d’octroi de ces aides. Or le principe de légalité n’est que rarement compatible avec le principe du discrétionnaire et la subjectivité artistique.
Les décisions d’octroi des aides du CNC sont presque toujours prises après un processus d’étude des dossiers faisant intervenir des commissions spécialisées composées de professionnels du secteur concerné. La commission devant laquelle Madame Lumbroso a soumis sa demande d’aide financière en fait partie et a pour mission de donner un avis sur les demandes d’aides à la production et la préparation des œuvres appartenant au genre captation ou recréation de spectacles vivants (4). Dans les faits, ces avis sont pratiquement toujours suivis par l’administration et les commissions détiennent donc un pouvoir réel sur le maniement des fonds.
La composition des commissions spécialisées du CNC
Le Ministre chargé de la Culture fixe les règles relatives à la composition et le fonctionnement des commissions spécialisées (5).
La réglementation est d’emblée très générale et laisse en réalité toute latitude au directeur général du CNC dans le choix des membres des commissions. Les personnalités membres sont en effet choisies en fonction de leurs seules compétences.
L’unique limite imposée aux membres de ces commissions est qu’ils ne peuvent participer aux délibérations au cours desquelles un avis serait formulé sur un projet les concernant directement ou indirectement (5). Ce retrait d’une commission qui délibère sur un cas les concernant ne saurait satisfaire à l’exigence d’impartialité. La cour de cassation a récemment précisé sur une démarche de ce type que la participation, serait-elle exclusive de tout vote, d’un conseiller d’une collectivité territoriale à un organe délibérant de celle-ci, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, vaut surveillance ou administration de l’opération au sens de l’article 432-12 du code pénal (6).
Les soupçons de prise illégale d’intérêt au sein du CNC
Les récents soupçons de favoritisme dans la composition de la commission chargée de la captation des spectacles vivants sont inévitables étant donné le mode de composition de ces commissions.
Ainsi la commission qui a démissionné comprenait (7) :
- des personnes travaillant ou ayant des intérêts dans des chaînes de télévision qui diffusent le plus de spectacles, dans les plus importantes sociétés de production audiovisuelles spécialisées dans le secteur du spectacle vivant,
- des producteurs de concerts, et notamment des personnes exerçant des responsabilités au sein du principal syndicat de producteur de spectacles vivants ;
- des gérants de salles de spectacles de renommée nationale ;
- des réalisateurs de captations de concerts et d’opéras ;
- des personnes en charge d’émissions consacrées au monde du spectacle,….
Il est totalement impossible que ces personnes ne soient pas constamment en situation de conflit d’intérêt lorsqu’elles donnent leur avis sur des projets qui peuvent venir en concurrence avec les leurs ou, qu’elle seront amener à diffuser ou à coproduire, ou qui sont des projets de personnes avec lesquelles elles travaillent régulièrement ou peuvent être amener à travailler. En effet, soit il s’agit de professionnels en phase avec le secteur et il est normal qu’elle connaissent les producteurs qui leurs présentent des dossier et les futurs exploitants et diffuseurs de ces œuvres, soit elles ne connaissent rien au secteur et on se demande ce qu’elle ferait dans une telle commission.
Chargés d’une mission de service public, les membres des commissions du CNC prennent un intérêt dans des opérations dont ils ont, au moment des délibérations, la charge d’assurer l’administration, et la surveillance par leur avis. En raison des liens ou relations pouvant exister entre eux et les candidats qui leur soumettent des demandes d’aides financières. L’intérêt peut en effet n’être que moral, indépendamment de tout enrichissement de nature directement pécuniaire.
Le simple fait de donner un avis qui participe au processus de décision permet de considérer que l’infraction est commise. La jurisprudence considère en effet que se rend coupable de prise illégale d’intérêt celui qui prend une part quelconque, directe ou indirecte, au processus de décision (8).
La commission en charge du dossier de Madame Lumbroso a démissionné, mais nous pensons que cela ne change rien, puisque si les membres de cette commission sont des professionnels aguerris, ils sont forcément en phase avec la production actuelle et sa diffusion. Sauf à ne subventionner que des produits sans aucun lien avec le marché ou à nommer des professionnels qui n’en sont pas. Une telle commission ne peut qu’être en conflit d’intérêt de façon récurrente. Le problème ne réside donc pas dans le fonctionnement de ces commissions, mais dans leur existence même.
C’est le principe même de ces subventionnements sur critères artistique et de ces commission composées de professionnels qui nous semble incompatible avec un État de droit.
Il serait temps de supprimer toutes ces institutions et de ne maintenir que des aides délivrées sur des critiques objectifs vérifiables par un fonctionnaire non professionnel de l’audiovisuel, en veillant toutefois à ce que ce fonctionnaire ne pantoufle pas dès qu’il en a l’occasion.
L’administration du CNC, en charge de la préparation des dossiers, est en effet fortement encline à pantoufler et de nombreux professionnels de l’audiovisuel sont passés par le CNC, le rédacteur de cet article notamment… La plupart des anciens responsables du CNC ou de chaînes publiques sont passées directement de la direction du CNC à la présidence ou la direction d’une chaîne.
Ce n’est donc ni cette administration, ni celle du ministère de la culture qui s’offusquera de ces problèmes d’éthique. Ce que l’on appelle pudiquement un conflit d’intérêt relèvera souvent du délit de prise illégale d’intérêt prévu et réprimé par les articles 432-12 et 432-13 du Code pénal.
En ce qui concerne les soupçons de fuite et de favoritisme de certains membres de la commission à l’égard de Madame Lumbroso, il ne semble pas que l’administration du CNC ait diligenté une quelconque plainte alors qu’au vu de tels soupçons, une telle démarche aurait eu au minimum un effet pédagogique, montrant que l’administration n’a pas peur de la transparence, une telle enquête permettant alors de laver les soupçons. Elle s’en est bien gardée…?
Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris
(1) www.lesinrocks.com, « Démissions au CNC : l’imbroglio Lumbroso », article en date du 12 avril 2010.
(2) Loi n° 46-2360 du 25 octobre 1946 portant création du Centre national de la Cinématographie. JORF du 26 octobre 1946 page 9070. Anciennement appelé Centre national de la cinématographie, il tient sa nouvelle dénomination du Code du cinéma et de l’image animée créé par l’ordonnance n° 2009-901 du 24 juillet 2009 relative à la partie législative du code du cinéma et de l’image animée. JORF du 25 juillet 2009, page 12443.
(4) Décret n° 95-110 du 2 février 1995 relatif au soutien financier à la production, à la préparation et à la distribution d’œuvres audiovisuelles. JORF du 3 février 1995 page 1875.
(5) Arrêté du 14 décembre 2004 pris pour l’application du paragraphe I de l’article 5 du décret n° 95-110 du 2 février 1995 relatif au soutien financier à la production, à la préparation et à la distribution d’œuvres audiovisuelles et concernant la composition, l’organisation et le fonctionnement des commissions spécialisées. JORF du 4 janvier 2005 page 195.
(6) Cass. Crim. 14 novembre 2007, n° 97-80220.
(7) Décision du 21 février 2007 portant nomination à la commission prévue au paragraphe I (2°) de l’article 5 du décret n° 95-110 du 2 février 1995 modifié relatif au soutien financier à la production, à la préparation et à la distribution d’œuvres audiovisuelles. JORF du 22 mars 2007 page 5320.
(8) Cass, 9 février 2005, n° 03-85697.
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