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mois, nous sélectionnons un article que nous mettons
en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire.
Cet article a été publié au numéro
193 du mois de Novembre 2009 dans la rubrique des réponse des ministres au questions des parlementaires. Chaque mois cette rubrique sélectionne les réponses intéressant les secteurs de la création artistiques que Roland LIENHARDT complète de quelques commentaires.
Question. - Mme Marie-Josée Roig appelle l’attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les revendications exprimées par les producteurs de spectacles vivants, à savoir la reconnaissance d’un droit voisin au droit d’auteur, leur permettant d’autoriser ou d’interdire toute fixation, reproduction ou communication au public des spectacles qu’ils produisent. En effet, contrairement aux producteurs de vidéogrammes ou de phonogrammes, ils ne bénéficient d’aucun droit sur l’exploitation des produits dérivés de la scène. Ils ne peuvent donc véritablement protéger leurs oeuvres. Aussi elle souhaiterait connaître ses intentions en la matière.
Réponse. – (1) La reconnaissance d’un droit voisin au profit des producteurs de spectacles vivants ne paraît pas opportune et ne pourrait, en tout état de cause, être envisagée qu’à l’issue d’un vaste cycle de négociations, tant au niveau international et communautaire avec les principaux partenaires de la France, que sur le plan national avec tous les acteurs de la création et de l’économie du secteur musical. En premier lieu, ni le droit international ni le droit communautaire, qu’il s’agisse de la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, faite à Rome le 26 octobre 1961, de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), entré en vigueur le 1er janvier 1995, ou du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) du 20 décembre 1996 sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, ne reconnaît l’existence d’un droit voisin au bénéfice des producteurs de spectacles vivants. La création d’un tel droit à un niveau purement national contreviendrait donc à l’harmonisation des droits voisins prévue par le droit communautaire et placerait toute la chaîne des actuels ayants droit français dans une situation de faiblesse économique et d’insécurité juridique par rapport à leurs homologues étrangers. En deuxième lieu, si les producteurs de spectacles soutiennent que l’obtention d’un droit voisin leur permettrait de pallier les difficultés économiques actuellement rencontrées, il convient d’observer que ce secteur connaît une croissance ininterrompue de son chiffre d’affaires et du prix moyen de la place de concert, alors que le chiffre d’affaires de l’industrie phonographique a chuté de moitié au cours des six dernières années et que le prix moyen de la musique enregistrée, qu’il s’agisse du CD ou de la vente en ligne, ne cesse de décroître, tant en France qu’au niveau international. De plus, le spectacle vivant bénéficie d’un taux de TVA réduit, ce qui n’est pas le cas de la musique enregistrée. Dans ces conditions, la création d’un droit voisin aboutirait à bouleverser, au bénéfice des producteurs de spectacles, les termes de la négociation économique avec les autres acteurs de la création, dans un contexte de transition économique et technologique particulièrement délicat pour la musique enregistrée. Enfin, la création d’un droit voisin n’est pas nécessaire pour permettre aux producteurs de spectacles d’agir en justice en cas de contrefaçon : un spectacle ne peut, en effet, être capté ou diffusé sans l’autorisation de son producteur. Pour l’ensemble de ces raisons, la négociation contractuelle entre les parties demeure, à ce jour, la voie la mieux adaptée pour permettre aux différentes catégories d’investisseurs dans le domaine de la musique - vivante ou enregistrée - d’obtenir un juste retour pour leurs apports.
Commentaire. – Cette question de la création d’un droit voisin spécifique des producteurs de spectacles ressort régulièrement. Pourtant, on voit mal à quoi pourrait servir un tel droit et ce qu’il viendrait ajouter. En effet, un spectacle n’existe que par la mise en œuvre de moyens économiques, l’utilisation d’œuvres représentées et le recours à des artistes interprètes.
Or, la particularité du spectacle vivant, c’est justement d’être vivant et de n’exister que le temps de la représentation. Chaque spectacle est unique, c’est tout son intérêt et ce qui le différencie du spectacle enregistré. A la différence du phonogramme, du vidéogramme et des programmes d’une entreprise de communication audiovisuelle, le spectacle n’a donc pas de seconde vie. Et lorsqu’il a une seconde vie par le biais d’un enregistrement, il existe déjà un droit voisin protégeant cette fixation (2).
Le spectacle n’existe que parce que des interprètes lui donnent vie, et ces artistes peuvent changer d’une représentation à l’autre. Le spectacle existe avec un décor et des costumes, mais ces décors et costumes sont créés par le metteur en scène ou l’auteur du spectacle dans le cadre d’un contrat conclu avec le producteur qui les finance. Or rien n’interdit au producteur qui est à l’origine de la création du spectacle de s’en faire céder les droits par les auteurs, y compris à titre exclusif afin de pouvoir l’exploiter. Il est vrai que les dispositions du code de la propriété intellectuelle encadrent strictement le contrat de représentation (3). Celui-ci ne peut être conclu que pour une durée limitée ou pour un nombre déterminée de communications au public. De plus, en cas de cession de droits exclusifs, ceux-ci ne peuvent excéder une durée de cinq années.
Dans la pratique, les producteurs se font déjà céder des droits d’édition sur les œuvres, prenant modèle sur ce qui se pratique en matière musicale. Cette pratique est légale lorsque l’éditeur fait un réel travail, à l’identique de ce qui se pratique en matière d’édition littéraire, mais qui peut relever de l’escroquerie lorsque l’éditeur ne fournit aucun travail complémentaire à celui de producteur et qu’il se contente d’accaparer une partie des droits d’auteur des auteurs.
D’un point de vue juridique, on voit donc mal à quoi pourrait ressembler un droit voisin du producteur de spectacle et comment il pourrait s’articuler avec les autres droits de propriété intellectuelle.
D’un point de vue artistique, il ne nous semble pas davantage intéressant de créer un nouveau droit voisin.
La plupart des spectacles évoluent d’une mise en scène à l’autre. En créant un droit voisin du producteur du spectacle, on figerait la création. D’ailleurs, il suffirait que l’auteur souhaite modifier sa création pour que, le droit d’auteur primant sur tous les droits voisins, le droit du producteur de spectacles n’ait plus aucune réalité.
Roland LIENHARDT
Avocat au Barreau de Paris
(1) QEAN 10 novembre 2009, p. 10632, n° 35712.
(2) Droit des producteurs de phonogramme en cas d’enregistrement de la partie sonore du spectacle, droit des producteurs de vidéogramme en cas d’enregistrement de la partie visuelle et sonore du spectacle.
(3) article L. 132-18 et suivants du CPI.
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