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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
Non finalisation d’une production audiovisuelle : conséquences

Chaque mois, nous sélectionnons un article que nous mettons en ligne. Vous pouvez retrouver ces articles publiés chaque mois au sommaire.

Cet article a été publié au numéro 192 du mois d'Octobre 2009

Quels sont les droits d’un auteur scénariste ou d’un réalisateur à ce que le documentaire dont il a écrit le scénario et qu’il réalise soit finalisé. La cour de cassation vient de rendre une décision confirmant un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait débouté l’auteur réalisateur sur le plan du droit moral, mais lui a reconnu des droits à dommages intérêts sur le plan quasi délictuel (1). La cour d’appel avait considéré que la société France 2, en rompant le contrat de coproduction sans motif valable, avait commis une faute, et devait en conséquence indemniser le  préjudice qui en est résulté pour le réalisateur dont le film n’avait pas été finalisé.

Un contrat de coproduction avait été conclu entre la société Ecomedia et la société France 2 pour la production d’un documentaire intitulé « Les Frégates de la République». MM. du X... et Y... , auteurs du scénario avaient cédé leurs droits de coauteurs à la société Ecomedia. Le travail de montage a été suspendu par le diffuseur France 2, et quelques mois après, l’arrêt définitif de la production du documentaire a été décidé. La Société France 2 a en effet considéré que le documentaire en cours de montage était inexploitable parce que non accessible au téléspectateur non averti. MM. Y... et du X... ont alors assigné les sociétés ECOMEDIA et France 2 en responsabilité délictuelle et atteinte à leurs divers droits.

La cour d’appel de Paris a considéré que la société France 2 a, en sa qualité de co producteur d’une oeuvre audiovisuelle, un pouvoir de contrôle sur les contributions des auteurs pendant la phase d’élaboration de l’oeuvre audiovisuelle ; que si elle a, avec l’accord de la société ECOMEDIA, accordé un délai de cinq semaines supplémentaires à Monsieur du X... pour effectuer le montage, il n’en demeure pas moins que c’est à tort qu’elle argue du fait que le travail remis par Monsieur du X... est inexploitable ; qu’il ressort en effet du visionnage par la cour d’appel du documentaire litigieux que celui-ci, contrairement à ce que prétendent les sociétés Ecomedia et France télévisions, correspond au scénario remis à la société ECOMEDIA le 27 juin 2001 ; que partant, n’est pas justifiée l’argumentation tendant à voir reconnaître que les auteurs ont manqué à leur obligation d’exécuter de bonne foi leur contrat ; que par ailleurs, Ecomedia et France Télévisions n’apportent pas la preuve du prétendu dépassement budgétaire dû à l’allongement des délais ; qu’au surplus, le documentaire, même inachevé, ne nécessite pas une attention et un niveau de compréhension tels qu’il serait inaccessible à un téléspectateur non averti ; qu’en conséquence, les explications avancées par ECOMEDIA  et France Télévision pour justifier la suspension puis l’arrêt de la production, sont inopérantes ; qu’en suspendant la production en cours sans justification plausible, et en rendant impossible la recherche de toute solution alternative, la société France 2 a commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle.

La cour d’appel a considéré que le réalisateur s’était considérablement investi dans l’élaboration du documentaire notamment vis-à-vis des personnes interviewées et que cela constituait pour partie le préjudice à la fois financier et professionnel qu’il revendiquait. Elle a en conséquence condamné la société France 2 à payer à M. du X... la somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts.

La cour de cassation a considéré que cela suffisait à caractériser le préjudice invoqué.

Les auteurs avaient formé un pourvoi incident. Ils considéraient d’une part que l’inachèvement du documentaire par la faute du producteur les privait de l’exercice légitime de leurs droits moraux, notamment du droit de divulgation et leur causait un préjudice ouvrant droit à réparation. Ils reprochaient à la cour d’appel  de les avoir déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts au titre de l’atteinte portée à l’exercice de leur droit moral.

Ils avaient en effet sollicité devant la cour d’appel la condamnation des sociétés France 2 et ECOMEDIA à leur payer la somme de 20 000 € en réparation de l’atteinte à leur droit moral et de 35 000 € en réparation de l’atteinte portée à leurs droits patrimoniaux. Monsieur Y... était privé de l’exploitation de son scénario et subissait une atteinte à son droit moral de divulgation de son scénario. La cour d’appel avait rejeté ces demandes. Elle a considéré que s’agissant des droits patrimoniaux, ceux ci avaient été cédés par contrats avec le producteur, de sorte que Monsieur du X... et Monsieur Y... ne peuvent plus les invoquer ; qu’en ce qui concerne leur droit moral, il n’aurait pu être exercé que si l’oeuvre avait été achevée ;

Les auteurs reprochaient ensuite à la cour d’appel de n’avoir pas répondu à leurs conclusions d’appel sollicitant en outre la somme de 25 000 € en réparation du préjudice financier et professionnel pour atteinte à leur notoriété professionnelle et à leur intégrité morale et intellectuelle compte tenu du contrat moral intervenu avec les différents contacts et interviewés lors du tournage du documentaire.

La cour de cassation rejette ces deux arguments. Elle considère en premier lieu que « selon l’article L. 121-5 du code de la propriété intellectuelle, l’oeuvre audiovisuelle est réputée achevée lorsque la version définitive a été établie d’un commun accord entre, d’une part, le réalisateur ou, éventuellement, les coauteurs et, d’autre part, le producteur, que n’étant pas contesté que tel n’était pas le cas en l’espèce, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que les auteurs n’étaient pas fondés à se prévaloir d’une privation de leur droit de divulgation dès lors que celui ci ne pouvait être exercé par eux que sur l’oeuvre audiovisuelle achevée;»

La cour de cassation précise ensuite que la cour d’appel ayant énoncé que les auteurs ne justifiaient pas du préjudice professionnel allégué dans leurs relations avec les personnes interviewées, elle avait parfaitement répondu aux arguments des auteurs.

La particularité du droit moral des auteurs d’œuvre audiovisuelles

L’article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle reconnaît aux auteurs un certain nombre de droits appelés droits moraux. Cela concerne principalement :

- Le droit au respect de l’œuvre,

C’est  le droit à ce que l’oeuvre ne puisse être modifiée sans l’accord de l’auteur ;

- Le droit au nom,

C’est le droit à ce que le nom de l’auteur soit associé à l’œuvre, dans la forme qu’il a choisi, cela intégrant le droit au pseudonyme si l’auteur s’est donné un nom d’auteur, et le droit à l’anonymat, si l’auteur ne tient pas à ce que son nom soit associé à l’œuvre ;

- Le droit à la qualité.

L’auteur a droit à ce que son nom soit mentionné avec l’adjonction des indications et titres qu’il souhaite leur adjoindre.

La particularité des droits moraux, est qu’ils sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles. En droit français, il n’est pas possible d’en transférer l’usage à un éditeur ou à un producteur par contrat. Les clauses de cession du droit moral contenues dans un contrat encourent la nullité.

L’article L.121-5 du CPI, spécifique aux œuvres audiovisuelles, encadre ce droit et précise que les droits moraux de l’auteur, tels que définis à l’article L.121-1, ne peuvent être exercés par eux que sur l’œuvre audiovisuelle achevée.

La cour de cassation a, dans l’arrêt précité, eu une interprétation très large de cette disposition. En effet, l’article L.121-5 du CPI qui précise que les droits moraux des auteurs ne peut être exercés que sur l’œuvre audiovisuelle achevée vise expressément « les droits propres des auteurs tels qu’ils sont définis à l’article L.121-1 du CPI », ce qui ne nous semble pas inclure le droit de divulgation qui est un droit moral particulier, distinct du droit au respect du nom, de la qualité et de l’œuvre, seuls organisés à l’article L.121-5 du CPI.

C’est l’article L.121-2  du CPI qui organise le droit de divulgation. Il énonce que l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre. Les spécificités de l’œuvre audiovisuelle ont de plus clairement été envisagées puisque l’article énonce que « sous réserve des dispositions de l’article L.132-24 du CPI, l’auteur détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci». Or, l’article L.132-24 du CPI organise une présomption de cession au profit du producteur audiovisuel des droits patrimoniaux, en aucun cas des droits moraux.

D’un point de vue strictement juridique, il ne nous semble donc pas possible de prétendre que l’exception au droit moral organisée par le dernier alinéa de l’article L121-5 du CPI intègre le droit de divulgation.

Cependant, dans la pratique, on voit mal comment l’auteur pourrait contraindre un producteur à diffuser une œuvre qu’il n’a plus envie de diffuser, et comment ce droit pourrait être exercé lorsque le montage d’une œuvre n’a pas été terminé et que l’œuvre n’est donc pas en état d’être diffusée.

Il est également nécessaire de s’interroger sur la pertinence de prétendre que le refus de terminer le montage d’un film et de le diffuser porte atteinte au droit de divulgation d’un scénario.  En effet, le scénario n’est pas une œuvre audiovisuelle. Le scénario est une oeuvre littéraire  à partir de laquelle est réalisée une œuvre audiovisuelle. A partir d’un même scénario, une multitude d’œuvres audiovisuelles différentes pourraient être réalisées. La divulgation d’un scénario, c’est le fait de le faire lire à des producteurs, des réalisateurs, des acteurs, puis de signer un contrat afin de le mettre en production.

Il nous semble que lorsque le film est en production, la divulgation du scénario est déjà acquise.

Ce n’est qu’en qualité de coauteur de l’œuvre audiovisuelle que l’auteur du scénario peut à nouveau faire intervenir son droit de divulgation, mais il le fait alors non en qualité d’auteur du scénario, mais en qualité de coauteur de l’œuvre audiovisuelle.

Une fois de plus, la cour de cassation n’est intervenue que sur la base des questions juridiques soulevées devant la cour d’appel.   

Roland LIENHARDT
Avocat à la Cour


(1) Cass. Civ. Ière, 24 septembre 2009, n° 07-17107.



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