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Cet article a été publié au numéro
184 du mois de Décembre 2008
Comme les auteurs, les artistes interprètes bénéficient de prérogatives de droit moral. Ce droit n’est cependant pas l’exact parallèle de celui dont bénéficient par ailleurs les auteurs et est nettement plus limité. Une décision de la cour de cassation vient ainsi de rappeler que le droit moral des artistes interprètes est strictement encadré par l’article L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et que les héritiers d’un artiste interprète ne sauraient se prévaloir d’un quelconque droit de divulgation (1). De plus, les artistes interprètes sont bridés par la disposition de l’article L. 211-1 du code de la propriété intellectuelle qui pose le principe selon lequel aucune disposition conférant aux artistes interprètes des droits voisins ne porte atteinte aux droits des auteurs.
Droit au nom
L’artiste bénéficie en premier lieu du droit au respect de son nom. Il a à ce titre droit à ce que son nom figure au générique des œuvres audiovisuelles. En matière de vidéomusique, par exemple, il est en principe obligatoire de faire figurer le nom des danseurs ... (2)
Ce droit au respect du nom de l’artiste signifie aussi que l’artiste a droit à mentionner sa participation à l’enregistrement par la mention du pseudonyme de son choix, ou exiger l’anonymat.
Droit à la qualité
L’artiste peut exiger que figure sur l’œuvre ses qualités, à savoir, le pupitre qu’il interprète, la nature de sa prestation artistique, ou encore ses titres. Bien entendu, l’artiste ne saurait abuser de son droit en exigeant que son curriculum vitae complet figure sur la pochette du disque ou au générique de l’œuvre audiovisuelle.
Ce droit s’accompagne de son corollaire, le producteur ne peut pas mentionner une qualité de l’artiste, que ce dernier ne souhaite par mettre en avant.
Droit au respect de son interprétation
L’artiste a droit à ce que son interprétation ne soit pas dénaturée, par exemple par la mise en œuvre d’effets spéciaux modifiant sa voix, sa physionomie, sans son autorisation. Cependant, sur ce point, le droit de l’artiste ne pourra que s’effacer lorsque c’est l’auteur de l’oeuvre qui procédera à ces modifications de son interprétation. La plupart des contrats rappellent d’ailleurs que l’artiste accepte par avance les modifications imposées par le réalisateur.
L’artiste peut également s’opposer à ce que ses interprétations soient réutilisées pour la réalisation d’œuvres nouvelles, ainsi par la réalisation de mixages de plusieurs œuvres préexistantes. La encore, si c’est l’auteur qui réalise cette œuvre nouvelle, et que le contrat de l’artiste l’a autorisé, son droit moral devra s’effacer devant les desiderata de l’auteur.
Comme pour les auteurs, le droit moral est imprescriptible et inaliénable. Cela signifie qu’il se perpétue sans limite de temps, tant qu’un héritier de l’artiste interprète peut en revendiquer la titularité. Cela signifie que l’artiste ne peut pas en disposer de façon générale et préventive. L’artiste qui autorise une publication d’une interprétation de façon anonyme, sans indiquer son nom d’artiste pourra ainsi toujours changer d’avis et exiger par la suite que son nom soit associé à ses interprétations.
Le code de la propriété intellectuelle précise que ces droits moraux sont attachés à la personne de l’artiste interprète. Lui seul peut les exercer à l’exception de toute autre personne, y compris les héritiers. Transmission aux héritiers
Le troisième alinéa de l’article L. 212-3 du CPI précise que les héritiers ne peuvent défendre le droit moral de l’artiste que dans le cadre de la protection de l’interprétation et de la mémoire du défunt. Ils ne bénéficient d’aucun autre droit moral.
Les artistes ne bénéficient d’aucun droit de divulgation
Alors que l’auteur est seul juge de la possibilité de rendre son œuvre publique par le mécanisme de la divulgation, et seul à même d’en déterminer le procédé et d’en fixer les modalités (3), l’artiste-interprète ne bénéficie d’aucun droit équivalent.
Le contentieux entamé en 2002 par Alexandre PETRUCCIANI, fils et unique héritier de Michel PETRUCCIANI, décédé en 1999, quant à la commercialisation des enregistrements de son père, illustre le caractère limité des prérogatives attachées au droit moral de l’artiste.
Michel PETRUCCIANI avait, en 1997 et 1998 enregistré deux prestations, la première live, la seconde studio et signé avec la société FRANCIS DREYFUS MUSIC (FDM) un droit exclusif d’exploitation des interprétations enregistrées.
C’est après le décès de Michel PETRUCCIANI que la société FDM a commercialisé ces enregistrements sous les titres respectifs de « Trio in Tokyo » et « Steve Grossman with Michel Petrucciani ».
Alexandre PETRUCCIANI a assigné la société FDM pour atteinte à son droit de divulgation. Devant la cour de cassation, l’héritier de l’artiste invoquait la jurisprudence établie en matière de droit d’auteur selon laquelle « l’inaliénabilité du droit au respect de l’œuvre, principe d’ordre public, s’oppose à ce que l’auteur abandonne à un cessionnaire de façon préalable et générale, l’appréciation exclusive des utilisations, diffusions, adaptations, retraits adjonctions et changements auxquels il plairait à ce dernier de procéder ; que porte dès lors atteinte au droit au respect de l’interprétation attaché à la personne de l’artiste, et donc à son droit moral, la commercialisation au public, sans l’accord exprès et préalable de l’artiste ou de ses héritiers, d’un enregistrement qui n’a pas fait l’objet d’un contrat de production audiovisuelle. »
La cour de cassation rejette cette argumentation en rappelant « que les dispositions de l’article L. 212-2 du code de la propriété intellectuelle limitent les prérogatives du droit moral de l’artiste interprète au seul respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation, et celle transmise à ses héritiers à la seule protection de cette interprétation et à la mémoire du défunt : que le moyen qui tend à voir reconnaître tant à l’artiste qu’à son héritier un droit moral de divulgation sur les interprétations réalisées n’est donc pas fondé. »
Des pratiques inversées par rapport à la loi
Cet arrêt de la cour de cassation est intéressant par la précision qu’il donne quant à la notion de divulgation. Ainsi ce terme est utilisé pour désigner la publication d’une interprétation sous une nouvelle forme. Il incite en conséquence à penser que le droit de divulgation existe pour chaque mode d’exploitation d’une œuvre et ne s’épuise donc pas par son premier usage. Cette interprétation, si elle est confirmée, est d’une importance considérable.
A titre d’exemple, l’auteur d’une chanson serait donc non seulement en droit de contrôler les modalités de divulgation de son œuvre lors de sa première publication, mais lors de chaque nouvelle exploitation sous une forme différente. Le producteur phonographique devrait donc par exemple soumettre au visa de l’auteur le graphisme de la pochette de disque de chaque exploitation de l’œuvre sous une forme différente, notamment par insertion dans une nouvelle édition ou une nouvelle compilation.
Dans la pratique, seul l’artiste, qui ne possède pourtant pas de droit moral de divulgation (de par la loi), est pourtant consulté sur les modalités de divulgation de ses interprétations, les auteurs étant le plus souvent ignorés (alors que la loi leur reconnaît un droit de divulgation).
(1) Cass. Civ. 1ère, 27 novembre 2008, n° 07-12109.
(2) CA Paris, 10 septembre 2003, n° 2002/15505.
(3) Article L. 121-2 du CPI.
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