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Cet article a été publié au numéro
175 du mois de Mars 2008
Le Centre d’exportation du livre français (CELF) est une société anonyme coopérative qui, par convention avec le ministère de la culture, exerce une activité de commissionnaire à l’exportation. Cet organisme a bénéficié de subventions de l’État de 1980 à 2002.
La Société internationale de diffusion et d’édition (SIDE), concurrente du CELF sur le même secteur d’activité, fait valoir que ces subventions ne respectent pas les dispositions du droit communautaire. Sa demande tendant à la cessation des versements et à la restitution des aides versées est rejetée par une décision du directeur du livre et de la lecture en 1996. Le tribunal de Paris annule cette décision en 2001. Son jugement est confirmé en 2004 par la Cour administrative d’appel de Paris (1), qui enjoint l’État de procéder à la mise en recouvrement des sommes versées au CELF.
Une aide d’État approuvée par la Commission Européenne
Le traité CE interdit par principe les aides d’État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence sur le marché commun en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Mais des dérogations sont prévues, notamment pour les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans une mesure contraire à l’intérêt commun (2).
La Commission Européenne, saisie par la SIDE, a approuvé à trois reprises les subventions versées par l’État français au CELF, destinées à réduire le coût du traitement des petites commandes provenant de l’étranger et portant sur des livres rédigés en langue française.
Une aide d’État non notifiée
Toutefois, la subvention aurait dû être notifiée à la Commission européenne avant sa mise en place, afin qu’elle exerce son contrôle a priori. Cela n’a pas été fait alors que l’article 88 § 3 du traité CE impose que la Commission soit informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides d’État
Pour écarter cette obligation, le ministère de la culture et le CELF font valoir que les subventions versées n’étaient pas des aides d’État au sens du traité CE puisqu’elles ne faisaient que compenser une charge de service public (3).
Or, la Cour de Justice des Communautés Européennes a précisé que ces compensations, pour ne pas être qualifiées d’aides d’État, doivent remplir des critères cumulatifs (4). En l’espèce rien n’établit que le montant des subventions n’excédait pas les charges de service public imposées au CELF, et rien n’établit une définition préalable et transparente des bases de cette compensation.
Les subventions versées au CELF sont donc considérées comme des aides d’État, et sont illégale
s du fait de l’absence de notification préalable à la Commission.
La restitution des sommes versées
Le Conseil d’État, le 29 mars 2006 (5), s’est heurté à une difficulté sérieuse dans la résolution du litige. Selon lui, l’illégalité de l’aide, découlant de l’absence de notification préalable à la Commission européenne, implique en principe la restitution des sommes versées depuis l’origine (6). Mais cela est-il possible alors que la Commission a approuvé a posteriori, et ce à trois reprises, la compatibilité des aides en cause avec le droit communautaire ?
La Cour de Justice des Communautés Européennes, saisie par le Conseil d’État à titre préjudiciel, a donné sa position le 12 février 2008 (7). Elle se prononce en faveur de la restitution des aides illégales, malgré leur approbation postérieure par la Commission : « les juridictions nationales doivent, en principe, faire droit à une demande de remboursement des aides versées en violation de l’article 88 § 3 CE. En effet, la décision finale de la Commission n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d’exécution qui étaient invalides du fait qu’ils avaient été pris en méconnaissance de l’interdiction visée par cet article. (…) le juge national, nonobstant la constatation de la compatibilité avec le marché commun de l’aide en cause, doit statuer sur la validité des actes d’exécution et sur le recouvrement des soutiens financiers accordés. Dans un tel cas, le droit communautaire lui impose d’ordonner les mesures propres à remédier effectivement aux effets de l’illégalité ».
La Cour précise que toute autre interprétation conduirait à favoriser l’inobservation par l’État membre concerné de cette obligation et la priverait de son effet utile. Elle ajoute qu’elle n’impose pas, même en l’absence de circonstances exceptionnelles, une obligation de récupération intégrale de l’aide illégale.
Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris
(1) Cour administrative d’appel de Paris, 4ème chambre – formation A, 5 octobre 2004, n° 01PA02717.
(2) Article 87 § 3 d) du traité CE.
(3) CJCE 22 novembre 2001, « Ferring », C-53/00.
(4) CJCE 24 juillet 2003, « Altmark », C-280/00. Voir « Cour de Justice des Communautés européennes : régime des aides d’État », La Lettre de Nodula n° 118, septembre 2003, page 951.
(5) CE, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 29 mars 2006, n° 27493.
(6) CJCE 11 juillet 1996, « SFEI e.a. », C-39/94.
(7) CJCE 12 février 2008, « CELF, Ministre de la culture et de la communication c/ SIDE », C-199/06.
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