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Cet article a été publié au numéro
167 du mois de juin 2007.
Comme lors de chaque nomination d'un nouveau ministre, les missions du ministre de la culture viennent d'être redéfinies (1). Le moins que l'on puisse dire, c'est que la rupture annoncée par le Président SARKOZY ne semble pas concerner la culture.
La mission première du ministre de la culture et de la communication, définie à l'article 2 du décret est "de rendre accessibles au plus grand nombre les oeuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France."
Cette phrase est à elle seule tout un symbole. En effet, rendre accessible les Oeuvres capitales de l'humanité et de la France, cela implique en premier lieu de définir quelles sont ces Oeuvres considérées comme capitales. Et c'est le ministre de la culture qui a cette charge de droit quasi divin lui donnant compétence pour dire quelles sont ces Oeuvres que l'on considérera comme capitales pour l'humanité. Et une fois ces Oeuvres "capitales" définies, le ministre de la culture a la mission de les rendre accessibles au plus grand nombre. Les Oeuvres que le ministre de la culture français aura définies comme étant capitales devant impérativement être rendues accessibles au plus grand nombre.
Quelle prétention! La culture d'Etat est une philosophie qui veut imposer à tous sa vision du monde. Elle relève clairement d'une logique totalitaire.
Au lieu de se mettre au service des artistes, des créateurs, des producteurs, et du public, le ministre de la culture se pose comme le Premier artiste, le Premier producteur, le Premier créateur et le Premier public.
Quand cette vision était celle du prince, cela pouvait se concevoir, le prince était libre et décidait seul, comme un mécène, selon son bon plaisir, et cette notion de plaisir était capitale. Dans le cadre de notre République, cette vision de l'Etat implique soit l'existence de fonctionnaires ou de politiques qui décident seuls avec l'agent public, avec toutes les dérives clientélistes qu'une telle logique suscite, et a réellement suscité depuis 50 ans, soit encore une logique de commissions qui dépensent de l'argent qui ne leur appartient pas, pour acquérir des oeuvres qui n'ont pas vocation à leur appartenir (en principe), et qui, souhaitant faire plaisir à tous les lobbies, ne prennent aucun risque et tombent dans une logique académique et conformiste. Un académisme qui s'autoproclame parfois avant garde ou création contemporaine et qui a surtout appris à maîtriser le verbe. Autant dire que toutes sortes d'intérêts peuvent venir influencer les choix. Le fonctionnaire ou le politique doit soigner sa carrière, son image, sa clientèle, ses réseaux et asseoir son pouvoir. On est fort loin de la logique du plaisir et de la dynamique qui anime le prince, le mécène, le particulier et l'immense majorité du public.
Cette phrase présentant la mission du ministre de la culture contient d'ailleurs une ineptie. En effet, qu'est ce que signifie "rendre accessible les oeuvres au plus grand nombre". Une entreprise comme "Reader's digest" qui réécrit les Oeuvres littéraires pour les simplifier et permettre leur "connaissance" par tous, activité d'édition sur laquelle je ne permettrai pas d'émettre un avis d'ordre artistique, ne doit pas avoir un objet social fort différent. Ce n'est pourtant pas du tout ce qu'a fait le ministre de la culture depuis sa création. Il n'a jamais entendu rendre les Oeuvres accessibles. Il a toujours entendu amener le plus grand nombre à reconnaître que les oeuvres qu'il a choisies comme étant capitales le sont réellement. Et si le public n'est pas convaincu, c'est qu'il faut l'éduquer en rendant justement connues ces oeuvres capitales qu'il a du mal à admettre comme telles justement parce qu'il ne les connaît pas... (Si le peuple ne fait plus confiance au parti, il faut changer le peuple !)
Or, depuis cinquante ans, cette politique est un échec total, réservée à l'élite et honnie de la grande majorité. Elle a monopolisé les moyens publics sur des oeuvres choisies comme capitales sur des critères inavouables, en cassant les ressorts et la dynamique des secteurs artistiques, et rendant difficile la diffusion de l'art dans sa diversité.
En effet, le ministre de la culture devrait avoir pour mission de permettre l'expression de toutes les cultures, de permettre le développement de toutes les disciplines artistiques, de mettre en oeuvre des dispositifs permettant la sauvegarde de tous les patrimoines considérés comme artistiques et culturels, en s'interdisant de s'immiscer dans les contenus, et de délivrer quelque label que ce soit relativement à la qualité des oeuvres, et surtout pas de définir quelles sont les oeuvres capitales et celles qui ne le sont pas. C'est l'histoire et le temps qui définissent ce qui s'avère capital. Et le rôle d'un ministre c'est d'aider tous les arts à affronter le temps et l'histoire, afin de lui permettre de faire son oeuvre, et dire au final ce qui sera ou non capital.
Quand les talibans dynamitent les bouddha préislamistes, c'est parce qu'il se sont eux aussi octroyés le droit de dire ce qui est une oeuvre capitale et ce qui ne l'est pas. La logique est la même.
Quand nos fonctionnaires de la culture invoquent la loi du talent, qui permet notamment aux comités de la Comédie Française de licencier sans aucun respect un artiste qui n'a pas souhaité être un bon camarade (sic), ils invoquent le droit divin qui leur permet de ne pas se justifier et qui peut dans la réalité peut cacher les motifs les plus sordides.
En cassant les marchés par un interventionnisme démesuré, en n'organisant pas les ressorts qui permettraient aux créateurs d"exister en dehors des coteries et des mécanismes de subventions publiques, étouffant les artistes, les créateurs et producteurs qui souhaiteraient exister de façon indépendante, le ministre de la culture dynamite tous les jours de nombreux bouddha français et empêche l'émergence de nombreux talents.
Que l'un des principaux artisans de la mise en place de cette mécanique soit chargé de réfléchir à la réforme de nos institutions n'est pas un heureux présage.
Les autres missions du ministre
Le décret du 25 mai 2007 continue dans la même vaine. Il énonce qu'
" A ce titre, il conduit la politique de sauvegarde, de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel dans toutes ses composantes, il favorise la création des oeuvres de l'art et de l'esprit et le développement des pratiques et des enseignements artistiques.
Il contribue, conjointement avec les autres ministres intéressés, au développement de l'éducation artistique et culturelle des enfants et des jeunes adultes tout au long de leurs cycles de formation.
Il encourage les initiatives culturelles locales, développe les liens entre les politiques culturelles de l'Etat et celles des collectivités territoriales et participe à ce titre à la définition et à la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement dans le domaine de la décentralisation.
Il veille au développement des industries culturelles. Il contribue au développement des nouvelles technologies de diffusion de la création et du patrimoine culturels."
Comment le ministre pourrait-il veiller au développement des industries culturelles qui sont les principaux concurrents de ses activités ! Depuis qu'il existe, le ministre de la culture s'est évertué à étatiser les uns après les autres l'ensemble des secteurs culturels et à rendre dépendant de ses subsides et de ses mécanismes étatiques l'ensemble des industries culturelles.
"Il met en oeuvre, conjointement avec les autres ministres intéressés, les actions de l'Etat destinées à assurer le rayonnement dans le monde de la culture et de la création artistique françaises et de la francophonie.
Il contribue à l'action culturelle extérieure de la France et aux actions relatives aux implantations culturelles françaises à l'étranger."
La mission du ministre de la culture est clairement interventionniste. Elle ne contient pas une seule ligne sur les statuts des acteurs du monde de la culture, sur l'organisation juridique du monde culturel, sur la régulation de l'économie de la culture. Si tout cela était structuré, les créateurs risqueraient de comprendre qu'ils peuvent se passer des fonctionnaires.
Ce décret organise un art d'Etat, dans le droit fil des philosophies totalitaires du XX ème siècle et de leurs applications fascistes et communistes. Ces régimes ont été les premiers à créer des ministres de la culture et à défendre le principe d'une culture d'Etat.
Langue française
L'article 3 du décret indique également que le ministre de la culture et de la communication "prépare et met en oeuvre les actions qui concourent à la diffusion, à l'emploi et à l'enrichissement de la langue française, ainsi qu'à la préservation et à la valorisation des langues de France."
Médias
"Le ministre de la culture et de la communication, prépare et met en oeuvre la politique du Gouvernement dans le domaine des médias.
Il veille notamment au développement et à la diffusion de la création audiovisuelle.
Il participe à la définition et à la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement en matière d'action extérieure de la France dans le domaine des médias. Il contribue à la préparation des décisions du Conseil de l'audiovisuel extérieur de la France.
Il encourage la diffusion de programmes éducatifs et culturels par les sociétés nationales de programme et les autres entreprises de communication audiovisuelle.
Il participe, en liaison avec les autres ministres intéressés, à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement concernant les technologies, les supports et les réseaux utilisés dans le domaine de la communication."
Grand travaux : un constat d'incompétence
L'article 5 du décret énonce que : " Le ministre de la culture et de la communication, assure, à la demande du Premier ministre, la coordination des travaux de construction ou de rénovation relatifs aux grandes opérations d'architecture et d'urbanisme de l'Etat.
A ce titre, il est notamment chargé, en liaison avec les ministres intéressés, d'assurer la cohérence des programmes et la maîtrise des coûts, de préparer les décisions budgétaires et de veiller à l'avancement des opérations.
Le ministre est, en outre, associé à la préparation des décisions relatives au montant global et à la répartition des aides apportées par l'Etat aux grandes opérations d'architecture et d'urbanisme des collectivités territoriales."
Dans le cadre de cette mission, le ministre de la culture n'a pas même été capable de respecter les droits d'auteur de l'architecte dont il a adapté l'oeuvre, avant de construire le nouveau bâtiment du ministère. Ce qui a entraîné sa condamnation par le tribunal administratif de Paris. Il n'a pas non plus été capable de négocier correctement les droits des grands chantiers, ce qui fait que ce qu'il considère comme étant les oeuvres capitales de la France et qu'il a financé avec l'argent des impôts de nos enfants, n'appartient pas vraiment à la France et n'est pas même librement diffusable. Alors que les prérogatives de puissance publique dont il dispose auraient pu le permettre. Il est en principe nécessaire de verser des royalties chaque fois qu'une reproduction de la pyramide du Louvre est éditée, y compris par le Louvre !
Dernière mission du ministre
"Le ministre de la culture et de la communication participe, avec les autres ministres intéressés, à la définition et à la mise en oeuvre des mesures relatives aux fondations à objet culturel et au mécénat."
Il n'est pas anodin de constater que c'est la dernière des missions présentées par le décret.
Dans les faits, les dispositions relatives au mécénat ne concernent guère que les établissements publics, ou les entreprises déjà subventionnées. En réservant la plupart des dispositifs aux seules entreprises à but non lucratif, et aux entreprises publiques, et alors même que ces dernière sont souvent lucratives, et cela sans le risque corrélatif, il rend marginal l'impact du mécénat en France.
Roland LIENHARDT
Avocat à la Cour
(1) Décret n° 2007-994 du 25 mai 2007 relatif aux attributions du ministre de la culture et de la communication, Jo du 26 mai 2007, p.9881.
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