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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
Modalités d'imposition
des petites sociétés cinématographiques ou audiovisuelles
il fallait oser !

Chaque mois, nous sélectionnons un article que nous mettons en ligne

Cet article a été publié au numéro 143 d'avril 2005 dans la rubrique "Les réponses des ministres aux questions des parlementaires". Nous opérons une sélection de ces questions au journal officiel et en réalisons un commentaire lorsque cela se justifie.


Question. - M. Michel Charasse indique à M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire que les sociétés de production cinématographiques, audiovisuelles et de prestations annexes les plus créatives sont de petites sociétés créées à l'initiative d'un professionnel qui leur a apporté son activité (d'auteur, de réalisateur et/ou d'acteur), qui généralement en est le dirigeant (gérant ou président), et qui de ce fait détient une participation dans le capital. Lors de la décision de la mise en production d'une œuvre audiovisuelle, la " petite " société signe avec son partenaire, une " grosse " société, un contrat de coproduction tenant compte, entres autres, de la rémunération et de l’activité du professionnel concerné. La " petite " société constate alors dans sa comptabilité une créance correspondant à la rémunération de l’animateur de la société pour l'activité concernée (laquelle inclut les cotisations sociales et autres taxes dues au moment du paiement). Bien entendu, les sommes dont la créance est ainsi constatée ne pourront être versées qu'en fonction des encaissements qui auront lieu au fur et à mesure de l'exploitation de l'œuvre, et dans l'hypothèse où ladite œuvre connaît un succès public. En outre, la " petite " société étudie en permanence la création d'œuvres nouvelles, dont la plupart n'aboutira pas mais toutes entraînent des dépenses (droits d'auteur, documentation, repérages, études de faisabilité, conseils extérieurs, frais administratifs, etc.). De plus, pour respecter les règles du code de la cinématographie, la société doit conserver une trésorerie égale à un certain pourcentage du devis de la production à venir. Ainsi, l'existence, l'inventivité et la productivité de ces sociétés repose essentiellement sur leur possibilité d'utiliser les produits de l'œuvre qui " marche " pour financer l'œuvre à venir. Or, il lui fait observer que certains services fiscaux imposent au titre de l'impôt sur le revenu le dirigeant à l'initiative d'une telle " petite " société de production, non pas sur les sommes qu'il perçoit, mais sur les sommes dont la créance a été constatée (ce qui revient d'ailleurs à l'imposer sur un montant qu'il ne touchera jamais car le montant de la créance inclut les cotisations sociales salariales !). Ces services invoquent l'article 12 du code général des impôts pour considérer que le dirigeant, à raison de ses fonctions mêmes (ce qui revient à négliger le droit des sociétés en la matière) aurait eu la disponibilité des sommes mises en cause. Si la thèse soutenue par ces services devait perdurer, toute somme inscrite dans un compte de " charges à payer " devrait être imposée au nom du dirigeant l'année de l'écriture passée en comptabilité, que la société ait les moyens ou non d'en assurer le paiement, et ce contrairement à la logique de l'article 12 du code général des impôts. La conséquence de cette pratique est que la " petite " société se trouve dans une situation de trésorerie inextricable par rapport à son dirigeant et dans l'impossibilité de concourir au développement de nouvelles productions. Dans l'avenir, si cette position est maintenue, la conséquence sera que la production d'œuvres audiovisuelles ne sera désormais réservée qu'aux grosses sociétés internationales dont le pouvoir de création est très limité et ou la règle est de penser essentiellement à l'actionnaire. C'est pourquoi il lui demande de bien vouloir examiner cette situation et notamment de préciser ce qu'implique le principe de disponibilité, et plus particulièrement en ce qui concerne les sociétés de production indépendantes et, au-delà, de lui indiquer si les sociétés de production sont condamnées à disparaître devant les " majors " ou si elles ont encore leur place en France.

Réponse. – (1) Aux termes de l'article 12 du code général des impôts, l'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année. D'une manière générale, un revenu doit être considéré comme disponible à compter du jour où, étant échu, il ne dépend que de l'intéressé d'en percevoir le montant. Lorsque les sommes sont portées par une société à un compte de charges à payer, cette inscription n'est pas suffisante pour considérer le revenu comme étant disponible pour le bénéficiaire. Cependant, la jurisprudence du Conseil d'État établit de manière constante que les créanciers d'une société qui ont la qualité de dirigeant, et jouent de ce fait un rôle déterminant dans la décision d'inscrire les revenus en charge à payer et non en compte courant, doivent être regardés comme ayant la disposition des sommes inscrites à leur profit dans un compte de charge à payer, sauf lorsqu'ils sont en mesure de justifier que des circonstances indépendantes de leur volonté rendent impossible le prélèvement des sommes en cause. Ces principes sont d'application générale et concernent les gérants et dirigeants de toutes les sociétés quelle que soit leur activité. Cela étant, plusieurs mesures récentes ont pour objet de favoriser le développement des entreprises de production cinématographique. Ainsi, un crédit d'impôt en faveur des entreprises de ce secteur d'activité a été mis en place par l'article 88 de la loi de finances pour 2004 n° 2003-1311 du 30 décembre 2003. Par ailleurs, ce dispositif très favorable a été étendu aux entreprises de production audiovisuelle par l'article 48 de la loi de finances rectificative pour 2004.

Commentaire. - Une fois de plus Monsieur CHARASSE met les pieds dans le plat. Mais cette fois, il n’est pas certain qu’il ait réellement cerné les incidences du problème qu’il soulève.

En effet, de nombreux producteurs français d’audiovisuel ne disposent pas d’un centime de trésorerie et signent des contrats de coproduction dans lesquels leur apport est le plus souvent uniquement constitué de la valorisation de leur propre travail, des rémunérations de directeur de producteur, de producteur exécutif ou délégué, des frais de gestion et d’imprévus et des nombreuses rémunérations qu’ils ne versent jamais. Ils se rémunèrent ensuite en gonflant les devis et en fournissant des contrats des principaux intervenants au registre public de l’audiovisuel qui sont souvent des faux, mentionnant des rémunérations que les intéressés ne percevront jamais ou des rémunérations supérieures à celles réellement négociés par ailleurs dans le cadre d’autres contrats.

Effectivement, afin de justifier de ces engagements financiers vis-à-vis de leurs coproducteurs, et dans le cadre de la reddition des comptes, les responsables de ces sociétés mettent ces rémunérations en charges à payer ou en compte courant au nom de l’associé, ce qui équivaut d’un point de fiscal à une rémunération qui est mise à la disposition du dirigeant personne physique. Alors que si le film ne génère pas de bénéfices, le producteur sera dans l’incapacité de se régler ces rémunérations qu’il doit néanmoins déclarer au titre de son revenu et sur lesquelles il doit payer des impôts, puisqu’il l’a déclaré en charge à payer dans la comptabilité de la société. Il n’est en effet pas possible de faire qu’une somme soit une charge venant diminuer le bénéfice imposable de l’entreprise (qu’elle soit ou non payée) et qu’elle ne soit pas par ailleurs une créance (une recette) dans la comptabilité d’une autre entreprise ou d’une personne.

Cette mécanique permet à des producteurs de produire sans apporter aucun financement propre, de bénéficier ainsi des aides publiques attachées à la qualité de producteur, et si le film marche de récupérer une partie du bénéfice.

Aucun professionnel n’ignore ce mécanisme spécifiquement français. Le Centre national de la cinématographie qui est censé contrôler les budgets des producteurs lorsqu’il octroie les agréments permettant de bénéficier des divers mécanismes de soutien financier fait semblant de croire que le producteur délégué apporte réellement une partie du financement imposée par les textes.

Le CNC n’est pas très regardant. Il arrive même que les aides soient virés sur les comptes personnels des producteurs et non sur le compte de la société. Cela ne pose le plus souvent aucun problème, il suffit de le demander…

C’est notamment parce que les films se montent sur la base de financements inexistants que des sociétés de production audiovisuelles ont largement recours aux Assedic et déposent facilement leur bilan dès qu’une recette manque au rendez-vous, faisant ainsi régulièrement payer les rémunérations de leurs salariés par le fonds de garantie des salaires.

Il est tout à fait normal que les responsables de sociétés doivent s’acquitter de l’impôt sur les rémunérations qu’ils s’octroient, même s’ils ne la sortent pas réellement de l’entreprise. La plupart, du temps, cette rémunération étant totalement fictive, elle n’y est jamais entrée autrement que par l’inscription d’un compte de valorisation d’apport d’un contrat de coproduction.

Si les producteurs ne veulent pas payer d’impôt sur les rémunérations fictives qu’ils s’octroient, il faut qu’ils arrêtent de fonder leurs productions sur des financements inexistants. Ces modes de production peuvent d’ailleurs relever sur le plan pénal d’une logique d’escroquerie. Une décision rendue par la Cour d’Appel de Paris en date du 18 septembre 2000 (2) montre un parfait exemple de ce type de pratiques. Dans cette affaire, le producteur a été condamné pour faux, usage de faux et contrefaçon, tous les contrats déposés au CNC étaient des faux.

(1) QS 31 mars 2005 p. 919.
(2) RG n° 99/08187, confirmant une décision du tribunal de Grande Instance de Paris du 18 novembre 1999 (n° 9932303615).



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