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mois, nous sélectionnons un article que nous mettons
en ligne.
Cet article a été publié au numéro
134 de juin 2004.
La Cour de cassation vient de rendre une décision qui
pourrait concerner au premier chef lensemble des entreprises
des secteurs du spectacle et de laudiovisuel (1).
Elle a en effet, considéré que la Cour dAppel
de Colmar " qui a constaté que les déplacements
de la salariée qui devait se rendre régulièrement
à Lyon, Marseille, Lille, Paris, auprès dentreprises
clientes de lemployeur et à la demande de ce
dernier, étaient effectués hors période
de travail et dépassaient en durée le temps
normal du déplacement entre le domicile et le lieu
de travail habituel, a exactement décidé quils
devaient être assimilés à un temps de
travail effectif. "
La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence dégagée
dans un précédent arrêt du 5 novembre
2003 (2).
Le temps de trajet nest pas toujours du travail effectif.
La notion de travail effectif résulte de larticle
L. 212-4 du Code du travail qui énonce que " la
durée du travail effectif est le temps pendant lequel
le salarié est à la disposition de lemployeur
et doit se conformer à ses directives sans pouvoir
vaquer librement à des occupations personnelles. "
Ce travail effectif doit en principe être rémunéré.
Lalinéa 4 de ce même article précise
cependant que dans certaines professions et pour des emplois
déterminés, comportant des périodes dinaction,
ces périodes peuvent être rémunérées
conformément aux usages ou aux conventions collectives.
Il est toutefois nécessaire quune convention
ou un accord de branche soit conclu et agréé
par décret. En labsence daccords collectifs,
une telle mesure peut également être prise par
décret en Conseil dÉtat. Aucun décret
de ce type nest intervenu dans nos secteurs.
La Cour de cassation considère donc que le temps de
trajet doit être considéré comme du travail
effectif à la condition quil dépasse en
durée le temps normal de trajet entre le domicile et
le lieu de travail. Le précédent arrêt
de novembre 2003 et avait fait référence au
temps habituel de trajet du salarié entre son domicile
et son lieu de travail et avait refusé de considérer
ce temps de trajet comme un travail effectif parce que la
Cour dappel navait pas " recherché
si les déplacements dun formateur itinérant
dérogeaient au temps normal du trajet dun travailleur
se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel
et quelle devait faire la distinction entre le trajet
accompli entre le domicile et le lieu de travail, dune
part, et celui effectué le cas échéant,
entre deux lieux de travail différents, dautre
part. "
La question se complique effectivement lorsque le salarié
ne travaille habituellement dans aucun lieu spécifique.
Comme par exemple le salarié dune entreprise
de production cinématographique ou audiovisuelle, qui
ne dispose quexceptionnellement de son propre studio
et envoie ses salariés sur des lieux de tournages à
chaque fois différents.
Dans le cadre de laffaire commentée, la cour
dAppel de Colmar a pris soin de préciser que
la salariée se déplaçait partout en France,
en citant les villes visitées, ce qui excédait
de façon évidente le temps normal de déplacement
dun salarié. Il reste à éclaircir
cette notion de " temps normal de déplacement ". Doit-elle être générale ou peut-elle
subir des adaptations selon les professions et le niveau de
rémunération ? Comment apprécier ce temps
normal de trajet lorsque le salarié na pas de
lieu de travail habituel ?
Lapplication de cette jurisprudence aux tournées
de spectacles et aux tournages.
Un artiste qui se déplace en tournée, et qui
utilise en général les moyens de transport fournis
et imposés par lemployeur devra être rémunéré
durant son temps de travail si ce temps dépasse en
durée le temps normal du déplacement dun
travailleur entre son domicile et son lieu de travail habituel.
Dans son arrêt de novembre 2003 concernant un formateur
itinérant qui navait pas de lieu de travail habituel,
la Cour de cassation a considéré quil
convenait de se référer à des moyennes,
ce qui est dusage pour un travailleur normal. En matière
fiscale, ladministration ne se réfère
pas à la notion de temps, mais à la notion de
distance et considère que lorsque ce trajet est supérieur
à 40 km et sauf circonstances justificatives particulières,
les frais occasionnés par le trajet dépassant
cette distance ne sont pas déductibles du revenu imposable.
Cette notion de temps de trajet habituel peut dailleurs
varier considérablement selon que lon se situe
ou non en région parisienne.
Lartiste qui consacre plusieurs heures à son
transport sur demande de son employeur, peut effectivement
considérer quil sagit dun temps de
trajet inhabituel et demander à ce quil soit
payé comme un temps de travail. Par contre, une fois
la tournée démarrée, si la distance entre
deux lieux de représentation nexcède pas
une durée dune heure, on pourrait considérer
que ce temps nest pas inhabituel et na pas à
être rémunéré. Nous indiquons cette
durée dune heure de façon totalement subjective
car il est courant quun salarié consacre ce temps
à son transport entre son domicile et son lieu de travail.
Chaque employeur qui demande à son personnel artistique,
technique ou administratif de se déplacer sur les lieux
de représentation, de tournage, ou de prospection,
doit donc créer sa propre religion. Il serait souhaitable
quun accord collectif vienne préciser ces questions
afin de lever lincertitude actuelle pesant sur cette
obligation de rémunération de certains temps
de trajets.
Roland LIENHARDT
Avocat au barreau de Paris
(1) Cass. Soc. 5 mai 2004, n° 01-43918.
(2) Cass. Soc. 5 novembre 2003, n°
01-43109 La Lettre de Nodula décembre 2003,
p. 988. Voir aussi sur cette question La lettre de Nodula
de septembre 1998, p. 373.