Chaque
mois, nous sélectionnons un article que nous mettons
en ligne.
Cet article a été publié au numéro
133 de mai 2003.
Le droit français ne reconnaît la notion dartiste
amateur que dans le cadre scolaire et universitaire. En
dehors de ces hypothèses, la France qui se prétend
pourtant la patrie de lexception culturelle ne permet
pas à des artistes non reconnus de tenter leurs chances
dans un climat juridique serein. La compagnie amateur qui
entend conserver la liberté de ses initiatives et
se produire elle même va se trouver confrontée
à un maquis doppositions de la part des institutions
et des producteurs privés reconnus qui invoqueront
mille raisons de ne pas prendre le risque de conclure avec
des amateurs non salariés. Il nous a donc semblé
important danalyser les limites de la responsabilité
du gestionnaire dune salle de spectacle au regard
des ensembles artistiques quil accueille dans de telles
conditions, ainsi que vis-à-vis des artistes ou techniciens,
des organismes sociaux ou encore des sociétés
de perception de droits dauteurs qui sestimeraient
lésées. Les récentes évolutions
législatives ont modifiés sensiblement les
données de la problématique.
Ce sujet est important, puisquil conditionne la possibilité
pour de jeunes ensembles artistiques de tenter leur chance
tout en conservant leur indépendance et leur liberté
artistique. Il est en effet important que des artistes puissent
se produire par eux-mêmes, et donner ainsi une chance
à des projets qui nont pas reçu laval
des professionnels en place.
Il semble en effet quil soit des plus difficile de
louer certaines salles parisiennes si lon ne prouve
pas que les artistes sont tous salariés, et cette
réserve concerne tant le secteur " public
" que " privé " (1).
Pourtant, le salariat des artistes nest pas toujours
obligatoire.
La question du salariat
des artistes
Larticle L. 762-1 du code du travail qui établit
la présomption de salariat des artistes nétablit
pas une présomption irréfragable. Il est en
effet possible dans certaines conditions détablir
la preuve du non-salariat.
Cet article énonce que " tout contrat par lequel
une personne physique ou morale sassure, moyennant
rémunération, le concours dun artiste
du spectacle en vue de sa production est présumé
être un contrat de travail dès lors que cet
article nexerce pas lactivité objet de
ce contrat, dans des conditions impliquant son inscription
au registre du commerce "
Si une compagnie dartistes entend louer une salle
de spectacles en vue de se produire, quelle contracte
avec le théâtre un contrat de location de salle
par lequel elle paie une location et encaisse tout ou partie
des recettes de billetterie ou autres générées
par le spectacle, cette compagnie dartistes exerce
son activité dans des conditions impliquant son inscription
au registre du commerce. En effet, elle prend intégralement
le risque de la production, paie le loyer et se paie sur
les recettes. Cette activité dorganisation
de spectacles publics est considérée comme
une activité par nature commerciale par larticle
L. 110-1 du code du commerce, et elle implique une inscription
au registre du commerce. Que la compagnie organisée
en ensemble constitué soit ou non réellement
inscrite au registre du commerce (2),
elle devrait lêtre et il nest donc pas
possible de faire requalifier le contrat conclu entre la
compagnie et le théâtre en contrat de travail.
Même dans lhypothèse ou la compagnie
indépendante est achetée par la salle de spectacle
pour un prix fixe et quelle nest alors aucunement
associée au risque du spectacle, si la compagnie
indépendante est titulaire dun registre du
commerce ou dun numéro dURSSAF, il sera
le plus souvent impossible de faire requalifier le contrat
en contrat de travail. En effet, la loi sur linitiative
économique du 1er août 2003 a modifié
larticle L. 120-3 du code du travail qui énonce
désormais que ; " Les personnes physiques
immatriculées au registre du commerce et des sociétés,
au répertoire des métiers, (
) ou auprès
des unions de recouvrement des cotisations de sécurité
sociale et dallocation familiales pour le recouvrement
des cotisations dallocations familiales, ainsi que
les dirigeants des personnes morales immatriculées
au registre du commerce et des sociétés et
leurs salariés sont présumés ne pas
être liés avec le donneur douvrage par
un contrat de travail dans lexécution de lactivité
donnant lieu à cette immatriculation. "
Cette présomption de non-salariat, comme la présomption
de salariat des artistes nest pas irréfragable.
Le texte prévoit la possibilité de rapporter
la preuve contraire. Cette preuve est cependant là
aussi strictement encadrée. Le second alinéa
de larticle 120-3 du code du travail énonce
que " toutefois lexistence dun contrat
de travail peut être établie lorsque les personnes
(
) fournissent directement ou par personne interposée
des prestations à un donneur douvrage dans
des conditions qui les placent dans un lieu de subordination
juridique permanent à légard de celui-ci.
Dans un tel cas, il ny a dissimulation demploi
salarié que sil est établi que le donneur
douvrage sest soustrait intentionnellement à
laccomplissement de lune des formalités
prévues aux articles L. 143-3 et L. 320 du code du
travail. " (remise dun bulletin de paie et
déclaration unique dembauche).
Dans le domaine artistique, il sera très dur de rapporter
lexistence dun lien de subordination étant
donné que la compagnie indépendante qui loue
une salle de spectacle présente son propre spectacle,
quelle a mis en scène sous sa propre direction,
avec le personnel quelle a choisi elle-même,
avec son décor, son matériel de scène,
ses costumes, ses propres instruments. Et il sera encore
plus difficile de rapporter la permanence dune quelconque
subordination.
Si le théâtre ne risque pas de se faire assigner
devant les prudhommes par les artistes, sa responsabilité
peut néanmoins être engagée sur dautres
fondements.
La responsabilité
de la salle vis-à-vis des ensembles constitués
accueillis
Responsabilité générale du donneur
dordre
Larticle L. 200-3 du code du travail organise la responsabilité
de lentrepreneur principal vis-à-vis des salariés
du sous-entrepreneur lorsque le contrat porte essentiellement
sur la main duvre des travaux à accomplir
- ce qui sera en principe le cas dun spectacle vivant
- et que le sous-entrepreneur nest pas un chef détablissement
propriétaire dun fonds de commerce ou dun
fonds artisanal, ce qui sera le cas dune entreprise
de spectacle sous forme associative.
Dans un tel cas, le gestionnaire de la salle, entrepreneur
principal sera tenu dobserver la réglementation
du travail vis-à-vis des salariés du sous-entrepreneur,
la compagnie de spectacles, comme sil sagissait
de ses propres salariés. Cest la raison pour
laquelle les gestionnaires de salle sont fondés à
vérifier le respect par les compagnies de spectacles
quils accueillent des dispositions du code du travail.
Lobligation de vérifications contractuelles
Si le contrat porte sur un montant au moins égal
à 3 000 Euros, la responsabilité de la salle
pourra être recherchée plus facilement sil
na pas procédé aux vérifications
contractuelles obligatoires. Cette vérification est
fondée sur larticle L. 324-14 du code du travail
qui énonce que toute personne qui ne sest pas
assurée, lors de la conclusion dun contrat
dont lobjet porte sur une obligation dun montant
au moins égal à 3 000 Euros en vue de lexécution
dun travail, de la fourniture dune prestation
de services ou laccomplissement dun acte de
commerce, que son cocontractant sacquitte de ses obligations
dimmatriculation au registre des entreprises ou des
sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire,
ou auprès des organismes de protection sociale ou
encore de ladministration fiscale, sera tenue solidairement
avec celui qui exerce un travail dissimulé (3)
du paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires
ainsi que des pénalités et majorations dues
par celui-ci au trésor public ou aux organismes de
protection sociale, le cas échant au remboursement
des aides publiques dont il a bénéficiées,
ainsi quau paiement des rémunérations,
indemnités et charges dûes par lui à
raison de lemploi de salariés dont lemploi
naura pas fait lobjet de lémission
dune fiche de paie et dune déclaration
unique dembauche.
Cette obligation joue dailleurs dans les deux sens.
La salle de spectacle doit vérifier la conformité
de la compagnie indépendante, et la compagnie indépendante
doit vérifier la conformité de la salle. Si
la compagnie indépendante a un registre du commerce,
quelle est déclarée auprès de
ladministration fiscale, et des caisses sociales (URSSAF,
ASSEDIC, RETRAITE) ; le cocontractant nencours pas
de responsabilité solidaire.
Des solutions sont néanmoins possibles
Lensemble des obligations du gestionnaire de salle
de spectacles vis-à-vis des compagnies de spectacle
quil accueille trouve son fondement dans le fait que
les artistes et techniciens doivent en principe être
salariés. Sils ne le sont pas, alors quils
se livrent à une activité lucrative, cela
pose un problème.
Les conditions sur lesquelles repose le caractère
lucratif ou non dune activité de production
ou de présentation de spectacle sont définies
à larticle L. 324-11 du code du travail. Il
sagit des activités de production dont la réalisation
a lieu avec recours à la publicité sous une
forme quelconque en vue de la recherche de la clientèle
ou lorsque la fréquence ou limportance de lactivité
est établie. On voit mal une compagnie de spectacles
se produire sans faire de promotion en vue de la recherche
de clientèle.
Cependant, tous ces cas de responsabilité reposent
sur le fait que les artistes ou techniciens devraient être
salariés et ne le sont pas. Il existe cependant un
cas de figure qui exclut le salariat, même si celui-ci
nest pas expressément mentionné à
larticle L. 762-1 du code du travail, cest lorsque
lartiste a la qualité de chef dentreprise.
En effet, dans un tel, cas, il nest pas possible de
le salarier. Sa rémunération relèvera
alors du régime des travailleurs ou commerçant
indépendants. Mais, il nest pas obligatoire
que le chef dentreprise soit rémunéré
et il peut être rémunéré uniquement
sur les bénéfices par le biais du paiement
de dividendes, rien ninterdit à ce quil
soit bénévole ou que son travail dacteur
ou de technicien constitue son apport.
Si la compagnie de spectacles entend se produire en public
sans se verser de rémunération, il faut alors
que tous les membres de la compagnie aient la qualité
de chef dentreprise vis-à-vis des tiers. Ce
montage permet également de ne pas prendre de risque
au sein de la compagnie. Les artistes et techniciens étant
tous chef dentreprise, aucun deux ne peut aller
devant les prudhommes soulever un contentieux en cas
de désaccord.
Ce type de montage peut être réalisé
soit dans le cadre dune SARL, les artistes et techniciens
étant alors tous associés et co-gérant,
les statuts organisant le fait que chaque gérant
représente et engage la compagnie vis-à-vis
de lextérieur. Dans un tel cas, il est préférable
que chaque associé possède autant de part
que les autres et que des associés liés par
des liens de sang ne possèdent pas de majorité
relative. Il est possible aujourdhui de réaliser
une Sarl avec un seul euro ou un euro pas associé,
et de la domicilier chez lun des gérants. Le
montage de ce type dentreprise nest pas très
onéreux. Le seul inconvénient, cest
si les associés ont par ailleurs besoin des allocations
Assedic du spectacle. Mais un tel montage ne sadresse
quà des artistes amateurs qui ne seront en
principe pas concernés par les allocations de recherche
demploi. De plus, un tel montage ne peut concerner
que des artistes qui sengagent réellement sur
un projet dune certaine ampleur et qui ne seront en
principe pas en situation de recherche demploi.
Ce type de montage peut également être réalisé
dans le cadre dune association selon la loi de 1901.
Les statuts de lassociation norganiseront pas
de délégation de pouvoir, et ce sera alors
lassemblée générale des associés
qui prendra les décisions. Les statuts mentionneront
le fait que chaque associé représente lassociation
vis-à-vis des tiers et peut valablement lengager
sauf à répondre de ses actes devant les autres
associés et à devoir rembourser à lassociation
les actes qui ne seraient pas ratifiés par lassemblée
générale des associés. Bien entendu
un tel montage nest possible quavec un nombre
limité dassociés. Les statuts organisant
les clauses permettant de parrainer les nouveaux membres,
de répartir les fonctions et les rôles. Conformément
aux dispositions de larticle 1er de la loi de 1901
sur le contrat dassociation, les associations préciseront
dans le cadre de lobjet de lassociation quils
sengagent à contribuer personnellement à
la production dun ou plusieurs spectacles, en jouant
un des rôles de la pièce ou en participant
à des fonctions techniques ou administratives de
lassociation.
Lassociation devra déclarer lensemble
de ses dirigeants au centre de formalités des associations
(URSSAF ou recette des impôts) en remplissant une
déclaration dexistence, imprimé M0 mentionnant
les noms et états civil de tous les dirigeants.
Si les artistes se montent en Sarl, ils pourront se payer
par le biais des dividendes. Il conviendra alors que la
société contracte une assurance couvrant laccident
de ses gérants survenu dans le cadre des répétitions
ou représentations.
Si les artistes se montent en association, ils ne seront
pas en mesure de se rémunérer. En cas de succès
de leur production, lassociation pourra investir les
bénéfices dans une nouvelle production, les
associés étant alors invités à
penser un nouveau montage leur permettant de se rémunérer.
Bien entendu, si les artistes nenvisagent pas de se
rémunérer, lassociation peut systématiquement
investir ses bénéfices pour la réalisation
de nouvelles activités.
Lassociation devra veiller à souscrire une
polie dassurance couvrant les risques daccidents
survenus à ses membres dans le cadre de la préparation
et de la représentation des spectacles. Elle peut
également solliciter une assurance accident du travail
des bénévoles auprès de sa Caisse Primaire
dAssurance Maladie.
La question de la licence
dentrepreneur de spectacles
Une telle entreprise, que ce soit en Sarl ou en association
naura pas besoin dobtenir la licence de spectacle.
En effet lordonnance de 1945 sur les spectacles, dans
sa rédaction issue de la loi du 19 mars 1999 ne concerne
que les entreprises qui sassurent la présence
physique dau moins un artiste du spectacle percevant
une rémunération. Dans notre cas de figure,
la compagnie, en sarl ou en association ne sassure
pas la présence physique des artistes moyennant rémunération.
Au contraire, la participation des gérants ou des
associés est statutairement bénévole.
La compagnie naura pas davantage besoins de
procéder aux obligations de déclaration des
entrepreneurs de spectacle occasionnel, puisquelle
nest pas un entrepreneur de spectacle occasionnel
et quelle aura pour activité principale la
production de spectacles.
Un montage protégé par les articles 10
et 11 de la Convention européenne des droits de lhomme
Larticle 10 de la convention européenne des
droits de lhomme garantit la liberté dexpression,
laquelle comprend la liberté dexpression artistique,
laquelle ne peut être soumise à certaines formalités,
conditions ou restrictions que pour des motifs tenant à
la sécurité nationale, à lintégrité
territoriale ou à la sûreté publique,
à la défense de lordre et à la
prévention du crime ; à la protection de la
santé ou de la morale, à la protection de
la réputation ou des droits dautrui, pour empêcher
la divulgation dinformations confidentielles ou pour
garantir lautorité et limpartialité
du pouvoir judiciaire.
Larticle 11 garantit le droit à la liberté
dassociation, laquelle ne peut être encadrée
et restreinte que dans des cas similaires.
Bien entendu, la compagnie de spectacles, association ou
société doit respecter lintégralité
de la réglemention liée à la sécurité
dans les lieux publics ; et aux déclarations de police
obligatoire en fonction de la taille de la manifestation
publique organisée.
La salle de spectacle qui accueille une compagnie ainsi
organisée, sous réserve que les statuts norganisent
pas directement ou indirectement de lien de subordination,
nencourt aucun risque. Bien entendu, elle aura néanmoins
intérêt à vérifier la viabilité
du projet artistique et financier afin de ne pas encourir
le préjudice de communication que génère
forcément laccueil dune production qui
ne serait pas capable de tenir ses engagements vis-à-vis
du public.
(1) Nous nutilisons ces notions
de théâtre public et privé quavec
des guillemets puisque le théâtre public na
souvent de public que le nom, quant au théâtre
privé, il est largement sous dépendance des
subventions publiques du ministère de la culture
et des mécanismes professionnels sous tutelle de
ce ministère et des syndicats professionnels associés
à cette gestion.
(2) Si la compagnie est constituée
en association selon la loi de 1901, elle aura le plus grand
mal à faire accepter son inscription par le greffe
du tribunal de commerce.
(3) le terme de travail dissimulé
a une définition fort large. Il recouvre non seulement
le fait de ne pas déclarer tout ou partie des heures
de travail dun salarié, mais également
le fait dexercer une activité commerciale en
nétant pas immatriculé au registre du
commerce.
|