Cet
article a été publié au numéro
128 de décembre 2003.
Les entreprises qui engagent régulièrement
des artistes et des techniciens dans le cadre de contrats
dusage doivent savoir que le jour où elle
se séparent de ces collaborateurs, elles encourent
le risque de voir la relation de travail requalifiée
en contrat à durée indéterminée.
Le fait que ces salariés soient déclarés
comme demandeur demplois dans le cadre des annexes
spectacles nest daucune incidence sur la nature
de la relation de travail. Nous ne répéterons
jamais assez quil nexiste pas de contrat dintermittent.
La Cour de cassation sest récemment prononcée
sur un certain nombre daffaires de ce type, ce qui
nous donne loccasion de faire le point.
Laffaire AB productions, une solution
classique
Deux comédiens ont saisi la société
AB production devant la juridiction prudhomale,
en demandant la requalification de leurs CDD (contrat
à durée déterminée) en CDI
(contrat à durée indéterminée).
Il sagissait dans le premier cas de 256 CDD séchelonnant
davril 1991 à décembre 1996, et dans
le second cas de 426 CDD séchelonnant de
mars 1990 à juillet 1997.
Les comédiens avançaient que la société
AB avait fait un usage abusif du CDD qui devait être
requalifié en CDI, et que la rupture du contrat
devait sanalyser en un licenciement sans cause réelle
et sérieuse. Le conseil de prudhommes a accueilli
les demandes et la société AB a fait appel
de la décision (1). Elle
a alors invoqué que lemploi dartiste
interprète étant par nature temporaire,
il est dusage constant dans le secteur de laudiovisuel
de ne pas recourir au CDI et que les contrats litigieux
étaient en conséquence conformes à
la législation. LUSPA (Union Syndicale de
la Production Audiovisuelle) est intervenue volontairement
pour soutenir la Société AB. La Cour dappel
a affirmé quau vu du Code du travail
(2), des CDD peuvent être conclu dans le secteur
de laudiovisuel lorsquil sagit de pourvoir
des emplois pour lesquels il est dusage constant
de ne pas recourir à des CDI en raison de la nature
de lactivité exercée et du caractère
par nature temporaire de ces emplois. Puis, elle ajoute
que " même si les sociétés
concernées avaient une activité permanente
de production de séries télévisuelles,
lemploi dacteur chargé dy interpréter
un rôle, même récurrent, a forcément
une nature temporaire puisque ses apparitions dépendent
de la volonté du scénariste ".
La Cour conclut enfin que le bien fondé du recours
à ce type de convention doit être apprécié
au regard des règles posées en la matière
par le code du travail et la convention collective applicable
(3), et qu en lespèce,
ni la loi ni la convention collective ne permettent de
conclure au mal fondé du recours à des CDD.
La Cour de cassation (4) casse
larrêt Cour dappel dans son audience
du 6 mai 2003 au motif que " les salariés
avaient été engagés dans plusieurs
séries télévisées en sorte
que leur emploi, quils avaient occupé de
manière continue pendant plus de cinq années
et qui était lié à lactivité
normale de lentreprise, avait un caractère
permanent " .
Dans un tel cas, le producteur aurait dû conclure
un contrat à temps partiel annualisé, aujourdhui
appelé contrat intermittent. Il sagit alors
dun Contrat à durée indéterminée.
Le problème, cest que les salariés
rechignent à accepter ce type de contrats qui les
font sortir de lannexe 10 du régime assedic.
Il est également possible dengager lartiste
dans le cadre dun contrat de chantier, contrat conclu
en application de larticle L 321-12 du Code du travail.
On désigne par contrat de chantier le contrat conclu
pour une durée indéterminée dont
la cause de rupture est déterminée dès
l'origine. Il en est notamment ainsi d'un salarié
embauché pour la réalisation d'une encyclopédie
ou d'une collection par un employeur qui ne connaît
pas dès l'origine la durée de travail nécessaire
à la bonne exécution de la tâche.
Par contre, la durée du contrat dépend largement
de la volonté de l'employeur, puisqu'il dépend
de lui de consacrer plus ou moins de moyens à la
réalisation du travail ou de publier plus ou moins
de numéros et d'interrompre éventuellement
la publication ou la production. Le contrat est donc considéré
comme étant à durée indéterminée,
puisque le terme du contrat n'est pas indépendant
de la volonté des parties. Dans ce cas, en application
de l'article L. 321-12 du code du travail, l'arrivée
du terme du contrat constitue un motif réel et
sérieux de licenciement sans qu'il soit besoin
de mettre en place la procédure de licenciement
pour motifs économiques. Ces contrats sont largement
utilisés dans l'édition littéraire,
notamment pour la publication dencyclopédies
ou de dictionnaires qui nécessitent parfois un
certain nombre dannées de travail quil
nest pas possible de définit de façon
précise au moment du lancement du projet. Ils sont
rarement utilisés dans le secteur de laudiovisuel,
alors quils sadaptent tout à fait à
la situation dun artiste engagé pour une
série. Le problème est la encore le lien
avec les Assedic (5).
Les décisions
de la Cour de Cassation de novembre 2003
Le 26 novembre 2003, la Cour a rendu trois arrêts
dans lesquels elle a adopté une position qui pourrait
passer pour un revirement de jurisprudence
Dans le premier arrêt (6).,
la cour énonce " quil résulte
de la combinaison des articles L. 122-1, L. 122-11, L.
122-3-10 et D. 121-2 du code du travail, dabord,
que dans les secteurs dactivités définis
par décret ou par voie de convention ou daccord
collectif étendu, certains des emplois en relevant
peuvent être pourvus par des contrats de travail
à durée déterminées lorsquil
est dusage constant de ne pas recourir à
un contrat à durée déterminée
en raison du caractère par nature temporaire de
ces emplois, ensuite, que des contrats à durée
déterminée successifs peuvent être
conclu avec le même salarié, enfin que loffice
du juge saisi dune demande de requalification dun
contrat à durée déterminée
en contrat à durée indéterminée,
est seulement de rechercher, par une appréciation
souveraine, si, pour lemploi concerné, et
sauf si une convention collective prévoit en ce
cas le recours au contrat à durée indéterminée,
il est effectivement dusage constant de ne pas recourir
à tel contrat ; que lexistence de lusage
doit être vérifiée au niveau du secteur
dactivité défini par larticle
D. 121-2 du Code du travail ou par une convention ou un
accord collectif étendu ". La Cour de
cassation conclut en énonçant quil
ressort des énonciations de larrêt
de la Cour dAppel que lemploi occupé
par M. X nétait pas de ceux pour lesquels
il est dusage constant de ne pas recourir à
un contrat à durée indéterminée
dans ce secteur dactivité.
Dans cette première affaire, lemployeur faisait
valoir que le salarié qui exerçait la fonction
de formateur était engagé pour des missions
spécifiques, limitées dans le temps, quil
sagissait de prestations particulières mises
en uvre selon le cahier des charges précis
déterminé par lANPE.
La seconde affaire concernait un animateur de centre de
vacances et de loisirs (7). La cour
dappel avait requalifié les contrats conclu
à durée déterminée en contrat
à durée indéterminée en se
fondant sur le fait quelle occupait un emploi à
caractère permanent de lassociation. La Cour
de cassation a considéré que ce motif était
inopérant que la Cour dAppel aurait du "
rechercher, si en ce qui concerne lemploi de
Melle X, il était dusage constant de ne pas
recourir à un contrat à durée indéterminée
dans ce secteur dactivité."
Dans cette affaire, il nest donc pas impossible
que la Cour dAppel de Renvoi, tout en respectant
la position de la Cour de Cassation arrive à la
même solution de requalification.
La troisième affaire (8) concernait un réalisateur-producteur
dune émission religieuse diffusée
sur la chaîne de télévision France
2 le dimanche matin. La Cour dappel avait relevé
" que si la Société de Télévision
France 2 fait partie dun secteur dactivité
où lemployeur peut recourir à des
contrats à durée déterminée
dit dusage, encore faut-il quils ne soient
pas utilisés pour pourvoir des postes permanents
de lentreprise et quen lespèce
dans les obligations qui sont imposées à
cette société nationale par son cahier des
charges figure celle de diffuser chaque semaine des émissions
à caractère religieux consacrés aux
principaux cultes pratiqués en France parmi lesquelles
figure lémission consacrée au culte
musulman qui était réalisée par M.
X
, que lemploi de réalisateur attaché
à cette émission permanente a nécessairement
le même caractère dautant plus que
lintéressé a occupé cet emploi
pendant plus de six années de sorte quil
relève de lactivité normale et permanente
de lentreprise et quil ne peut être
pourvu que le cadre dun contrat à durée
indéterminée. "
La Cour de cassation censure cette décision. Elle
considère le motif de la Cour dAppel comme
inopérant et indique quelle aurait du "
rechercher si, en ce qui concerne lemploi de M.
X
, il était dusage constant de ne pas
recourir à un contrat à durée indéterminée
dans ce secteur dactivité ".
La encore, il sera intéressant de suivre la décision
prise par la Cour de renvoi qui risque de requalifier
le contrat en Contrat à durée indéterminée
en modifiant sa motivation.
Ces décisions peuvent paraître étonnantes
et on voit mal ce qui peut les motiver. Les tribunaux
ne jugent toutefois quen fonction des arguments
qui ont été défendus par les parties
au cours de linstance. La cour de cassation établit
surtout dans ces arrêts que le fait de conclure
que lobjet du contrat est ou non de ceux pour lesquels
il est dusage constant de ne pas recourir au contrat
à durée indéterminée relève
de lappréciation souveraine des juges du
fonds.
En ce qui concerne les secteurs du spectacle et de laudiovisuel,
il existe en effet un accord interbranches qui a été
étendu par arrêt du 15 janvier 1999 et la
position de principe de la Cour de cassation énonce
clairement quelle ne sapplique quen
absence daccord collectif applicable.
Cet accord énonce que :
- "L'activité principale de l'entreprise
qui recours au CDD d'usage doit relever de l'un des secteurs
cités à l'article D. 121-2 du code du travail
;
- La mention d'un secteur d'activité à l'article
D. 121-2 du code du travail ne fonde pas à elle
seule, pour les entreprises de ce secteur, la légitimité
du recours au CDD d'usage ;
- Le CDD d'usage, comme tout contrat à durée
déterminée, doit être écrit
; il doit en outre comporter la définition précise
de son motif.
- La succession de CDD d'usage d'un salarié avec
le même employeur sur plusieurs années ou
plusieurs saisons peut constituer un indice du caractère
indéterminé de la durée de l'emploi."
Larticle 3.3. de cet accord interbranches précise
en outre que :
" lemployeur qui engage un collaborateur
dans le cadre dun CDD dusage devra faire figurer
sur le contrat lobjet particulier de celui-ci, et
justifier du caractère par nature temporaire de
cet objet, en indiquant son terme, par une date ou lintervention
dun fait déterminé ".
Ces contentieux sont également tous antérieurs
à la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 (article
124) qui a modifié l'article L. 122-1 du code du
travail qui énonce désormais :
"Le contrat de travail à durée déterminée,
" quel que soit son objet ", ne peut avoir ni
pour effet, ni pour objet de pourvoir durablement un emploi
lié à l'activité normale et permanente
de l'entreprise."
Ce rajout montre bien que cette disposition sapplique
à tous les contrats, quil sagisse de
contrat dusage ou non. Il nest donc pas sûr
que cette position de la cour de cassation ne soit pas
déjà dépassée par lévolution
législative.
(1) Cour dappel de Paris, 18ème
Chambre, section C, arrêt du 21 juin 2000, n°
99/38427 ; Cour dappel de Paris, 18ème Chambre,
section C, arrêt du 21 juin 2000, n° 99/38428.
(2) Articles
L.122-1-1-3 et D.121-2.
(3) Convention collective nationale des artistes interprètes
du 30 décembre 1992 étendue par arrêté
du 24 janvier 1994.
(4) Cour de Cassation, Chambre sociale,
Audience publique du 6 mai 2002, n°00-44420.
(5) Les syndicats du spectacle sarc-boutent
à la défense des annexes 8 et 10 et sont
passés à côté de toutes les
évolutions du régime général
qui intègre depuis 1998 le fait que lon puisse
travailler à temps partiel tout en conservant ses
indemnités chômages.
(6) Arrêt du 26 novembre 2003,
Chambre sociale, n° 01-44263.
(7) Arrêt du 26 novembre 2003,
Chambre sociale, n° 01-47035.
(8) Arrêt du 26 novembre 2003,
Chambre sociale, n° 01-42977.
(9) Jo du 30 janvier 1999.
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