La commission
de déontologie de la fonction publique de lÉtat
siège au sein de la direction générale
de ladministration et de la fonction publique. Le
silence règne à lintérieur de
ce bâtiment imposant. Un méandre de couloirs
mène à la pièce 210. Dans une petite
pièce, on découvre son président. Michel
BERNARD était membre du conseil dÉtat,
depuis lannée dernière il est à
la retraite. À 69 ans, cest quelquun
de très lucide. Il a le regard vif et le geste sec.
Le
personnage est chaleureux, plusieurs éclats de rire
vont ponctuer linterview.
Quel est le rôle de la commission et qui la compose
?
" La commission de déontologie de la fonction
publique de lÉtat est chargée démettre
un avis lorsquun fonctionnaire cessant définitivement
ses fonctions ou demandant à être placé
en disponibilité se propose dexercer une activité
privée.
Notre commission comprend sept membres. Pour la plupart,
comme moi, ce sont des gens qui sont en fin de carrière,
qui nattendent aucun avancement de ladministration
et qui se sentent assez indépendants. "
Lors du rapport dactivité de la commission
pour lannée 1995-1996, on découvre seulement
deux avis dans la culture. De notre côté, nous
pensons avoir constaté une dizaine de cas, Bernard
FAIVRE dARCIER par exemple, qui est le directeur du
festival dAvignon. Pouvez-vous nous éclairer
?
" Pour un cas comme Monsieur Faivre dArcier,
puisque vous me le citez, mais cest loin dêtre
un cas isolé, la commission considère quelle
nest pas compétente. FAIVRE DARCIER,
cest du passé ! car nous ne sommes pas compétents
sur les reconductions. Mais cela ne veut pas dire que Monsieur
FAIVRE DARCIER est susceptible de tomber sous le coup
de la loi. Dun autre côté, il est vrai
quau pénal, laction nest pas prescrite,
car c'est un délit continu.
Il faut voir aussi que le code pénal parle de la
surveillance ou du contrôle dune entreprise
privée.
Peut-on considérer que le festival dAvignon
est une entreprise privée ? On sait quil est
géré par une association.
Peut-on considérer quune association est une
entreprise privée au sens du texte ? Ce n'est pas
évident.
Dun autre côté, une association peut
être gérée comme une entreprise. Nous
avons là dessus une jurisprudence. La commission
considère quune association qui rend des services
ou vend des produits moyennant rémunération
doit être assimilée à une entreprise.
Dans le cas du festival dAvignon, je nen sais
rien ! Il faudrait se renseigner. Mais il est certain que
les gens qui vont aux spectacles paient leur billet. A priori,
cela ressemble à une entreprise de spectacles.
Dun autre côté, il est gênant de
dire à quelquun qui a été reconduit
et qui exerce des fonctions depuis quatre ou six ans, "
maintenant, ce nest plus possible ". Dune
part, cela aurait obligé à remettre en cause
des situations qui ont été acquises, admises
et tolérées. Et dautre part, la commission
aurait été submergée ! Même si
on regarde seulement cinq ans en arrière, cela fait
beaucoup. En tout cas, il nous a semblé que lesprit
du texte nétait pas de remettre en cause ce
qui avait été décidé avant lintervention
de la commission. "
Peut-on dire quil y a encore
des abus en matière de pantouflage ?
" Il y a eu des abus pendant longtemps. Il y en a probablement
encore aujourdhui. Mais le contrôle quexerce
la commission que je préside nest quand même
pas dépourvu de toute efficacité. Nous donnons
un certain nombre davis défavorables ou favorables
sous réserve, et il y a aussi un effet de dissuasion.
Il arrive parfois que ladministration ne suive pas
notre avis. Cest son droit !
Nous, nous donnons des avis. Nous navons pas les moyens
daller vérifier ce qui se passe ensuite. Et
puis nous pouvons aussi nous tromper ! Dautant plus
que nous devons statuer dans un délai maximum de
moins dun mois. Pour plus de 750 dossiers en 1997,
cest très bref ! Une fois ce délai passé,
lavis est automatiquement favorable. "
Les fonctionnaires doivent vous fournir
tous les renseignements sur leur carrière, jouent-il
la transparence ?
" La commission convoque souvent le fonctionnaire pour
quil viennent sexpliquer. Bien sûr, lorsquon
leur pose des questions, ils ont intérêt à
répondre. Ceci étant, ils nous répondent
ce quils veulent bien nous répondre ! Et compte
tenu du délai dun mois, nous n'avons pas toujours
la possibilité de vérifier ce quils
nous disent. On arrive tout de même à savoir
à peu près la réalité des choses.
Mais ce n'est pas toujours facile ! "
Et si ladministration couvre
un fonctionnaire ; il nest dans ce cas, pas inquiété
?
En principe non, sauf si un collègue porte plainte.
Ce qui arrive rarement.
On a limpression que ce dispositif
a vraiment du mal a fonctionner.
" Comme un sabre de bois, non ! Mais il est certain
quaucun dispositif de ce genre ne peut être
efficace à 100%. Je crois cependant que cela a contribué
à améliorer la situation. Que cela a supprimé
tous les abus, il serait un peu naïf de le croire.
Il est certain quil y a des cas où nous devrions
être saisis, et où nous ne le sommes pas !
Il y a des fonctionnaires qui passent outre, mais ce nest
pas une règle générale.
La commission doit trouver un certain équilibre parce
qu'il faut bien se rendre compte quau fond, ce que
lon appelle le pantouflage est une pratique qui nest
pas nouvelle, qui nest pas forcément condamnable
et qui peut avoir des avantages. Bien entendu pour les fonctionnaires
qui pantouflent, mais aussi pour l'administration, car cela
facilite le recrutement du fonctionnaire. Et si le pantouflage
nexistait pas, lavancement des fonctionnaires
serait complètement bloqué, cela aurait des
conséquences fâcheuses pour ladministration.
Il faudrait concevoir alors des profils de carrière
différents. Il est clair que sil ny avait
pas de départs de fonctionnaires vers les secteurs
privés, on ne saurait plus quoi faire des administrateurs
civils anciens ! On naurait plus de places où
les mettre ! De plus, lorsqu'il y a une alternance politique,
les membres de cabinets quittent leur fonction. Tous ces
gens là sont bien contents de trouver un débouché
! "
(fin de linterview)
Exemples de pantouflage sanctionnés
A ainsi été annulé (2) un arrêté
portant détachement d'un fonctionnaire en qualité
de directeur d'une caisse primaire de Sécurité
Sociale, organisme de droit privé, en raison de l'illégalité
de la décision ministérielle qui avait auparavant
agréé la nomination de l'intéressé
à ce poste. Les fonctions précédemment
exercées par l'agent au sein de la direction régionale
de la sécurité sociale comportaient un contrôle
direct sur la caisse primaire.
De même, le chef de service des affaires monétaires
et financières à la direction du trésor
ne peut être nommé dans un poste de direction
d'un établissement financier privé.
Dans cette affaire le Président de la République
avait nommé le chef du service des affaires monétaires
et financières à la direction du trésor
dans un des deux postes de sous-gouverneurs du Crédit
Foncier de France (3). Or cette fonction de direction dans
l'administration impliquait un contrôle direct du
Crédit Foncier de France. Un actionnaire du Crédit
Foncier a contesté la légalité de ladite
nomination au regard des dispositions de l'article 432-13
du NCP. Le Conseil dÉtat devait donc dire si
cette disposition pénale était applicable
à un fonctionnaire occupant un emploi dans une entreprise
privée en position de détachement, ce qui
était le cas. Le Conseil dÉtat a énoncé
que les dispositions de l'article 432-13 du NCP trouvaient
application quelle que soit la position statutaire du fonctionnaire
dans la mesure où le texte lui-même ne fait
aucune référence à la position statutaire.
De ce fait, il a annulé le décret nommant
l'ancien fonctionnaire au poste de sous-gouverneur du Crédit
Foncier de France.
(1)
Interview réalisée par Wilfrid ESTEVE, en
janvier 1998.
(2)
Conseil dÕtat Assemble 6 dcembre 1996. Il est noter
que tous les arrts d'Assemble revtent une importance
particulire.
(3)
Bien que le Crdit Foncier soit une entreprise prive, un
dcret imprial des 6 et 31 juillet 1854 confre au chef
de lÕtat le pouvoir de nommer son gouverneur et ses deux
sous-gouverneurs. CE 24 janvier 1969 D. 1969, p.440 note
Dutheil de la Rochre, dcisions fondes sur les dispositions
figurant l'art. 175 du Code pnal.
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