Ce régime créé dabord pour les
activités cinématographiques, puis élargi
aux autres activités du spectacle, accorde aux salariés
du spectacle et de laudiovisuel une spécificité
privilégiée que ne connaissent pas les autres
catégories socioprofessionnelles intermittentes (intérimaires,
pigistes, saisonniers) qui relèvent du régime
intérimaire (annexe 4).
L'avantage se situe principalement au niveau de louverture
des droits à indemnisation. Ceux-ci prennent effet
dès lors quon peut certifier de 507 heures
travaillées dans lannée. Un seuil qui
peut être atteint en 22 jours de travail si lactivité
est déclarée sous forme de cachet (1).
Ce système fonctionne depuis maintenant un certain
nombre dannées parce qu'il fait apparemment
l'unanimité de ses acteurs !
- les salariés y trouvent :
- Un intérêt de prestige certain et bénéficient
d'un ensemble de droits patrimoniaux (héritage commun
aux artistes). Certains " artistes " revendiquent
aussi leur spécificité artistique, un état
qui les différencie du commun
des mortels relevant du régime général...
Ainsi Robert, technicien de décors qui assure demeurer
créatif 24 heures sur 24. Quand je ne travaille
pas matériellement à une préparation
de décors, je pense à des améliorations,
je digère mes anciennes créations, je prépare
les prochaines... Bref, je suis tout le temps en activité
de création !
- Les salariés ayant ouvert des droits aux ASSEDIC
par le biais du régime des intermittents restent
inscrits au chômage même quand ils travaillent,
pour peu quils soient embauchés sur un contrat
de moins de 24 jours.
Dans la pratique, les professionnels usent et abusent de
cette situation. Cela permet ainsi dêtre déclaré
comme travaillant cinq jours de la semaine et dêtre
au chômage le samedi et le dimanche ou durant le jour
de relâche du théâtre. Il suffira de
rédiger le contrat de travail en conséquence
puisque dans les secteurs du spectacle et de laudiovisuel,
les contrats à durée déterminée
peuvent dans certains cas être renouvelés sans
limitation.
Un salarié inscrit au chômage dans les annexes
VIII ou X peut ainsi être inscrit pendant sept, voir
dix ans au chômage et ne pas avoir à sen
plaindre, cela prouve quil travaille.
- les employeurs
:
Ils bénéficient ainsi d'une main d'uvre
" Kleenex " abondante et disponible en
permanence, et peuvent détourner sans trop de risques
la législation du travail.
On peut affirmer que le régime des intermittents
masque presque systématiquement des emplois quasi-permanents.
Le secteur est relativement fermé.
Si les risques de contrôle nexistent quasiment
pas du côté de ladministration et des
organismes sociaux, il faut tout de même savoir quen
cas de brouille avec un salarié, les tribunaux requalifieront
les nombreux contrats à durée déterminée
en contrat à durée indéterminée.
En effet, si la pratique détourne très largement
les règles du droit du travail, il nexiste
pas dexception culturelle en ce domaine et les juges
amenés à traiter ces problèmes sont
souvent totalement " hallucinés " devant
le détournement généralisé du
droit du travail dans un secteur pourtant étroitement
sous tutelle des pouvoirs publics, par le biais du ministère
de la culture.
Les grandes entreprises respectent donc assez peu le droit
du travail. Cela coûte moins cher davoir un
procès de temps en temps et de payer les condamnations,
que dêtre en permanence conforme avec le droit.
Quand elles relèvent du secteur public ou para public,
le non respect du droit du travail est encore pire, puisque
de toute façon , il ny a pas de chef dentreprise
responsable. En cas de problème, lÉtat
ou les collectivités publiques paient.
Pour les établissements publics industriels et commerciaux,
les condamnations ne sont pas payées sur les mêmes
chapitres budgétaires que les embauches. LÉtat
lui même incite au recours illégal à
lembauche dintermittents puisque les créations
de postes doivent être approuvées par le contrôleur
financier afin de se limiter au cadre budgétaire
autorisé. Les créations demplois permanents
étant souvent interdits, il ny a pas dautre
possibilité pour répondre à la mission
de service public culturel que dembaucher de façon
intermittente, même aux emplois permanents.
Pour les petites entreprises du secteur privée, elles
nont pas le choix si elles veulent rester concurrentielles,
elles doivent faire comme les autres et elles en prennent
le risque, le plus souvent inconsciemment.
Les entreprises publiques ou parapubliques étant
les premières à recourir à ce système,
les entreprises privées qui subissent en permanence
la concurrence des très nombreuses entreprises dÉtat
(sous couvert de SARL, de SA ou dassociations loi
de 1901) sont obligées de saligner et de recourir
elles aussi à des emplois intermittents.
Officiellement plus d'1/3 des techniciens intermittents
sont des réguliers et un peu moins d'1/3 des artistes.
Dans la réalité, la fourchette dépasse
le plus souvent les 50% et atteint parfois les 90 % dans
les petites et micro structures.
Ils assurent que la réforme du système entraînerait
la disparition de nombre de spectacles et dintermittents,
voire le recul ou déclin de certains secteurs : maisons
de la culture, music-halls, cirques, cabarets...
Cela serait vrai si une réforme conséquente
de ce régime ne saccompagnait pas dune
remise en question globale de la gestion de la culture en
France par les pouvoirs publics, débat que nous espérons
initier par cet essai. Il est par ailleurs exact quune
analyse sérieuse des financements de la culture aboutit
à la fois à la dénonciation de ce système
et à la remise en cause des entreprises de spectacles
privées des fonctionnaires de la culture.
Est-ce à dire qu'une professionnalisation de ce milieu
entraînerait l'élimination de nombre d'individus
et structures pour cause de non professionnalisme (incompétence,
amateurisme...) ou par changement d'appartenance à
une nomenclature?
- l'État
C'est le garant du lien social, responsable et gardien du
mythe de solidarité interprofessionnelle nationale.
Le ministère de la culture souhaite conserver ce
système pour des raisons économiques, sociales
et culturelles. Il sagit également surtout
de raisons de clientélisme.
Le ministère de la culture est en effet le premier
producteur de France. Par le biais des très nombreuses
associations et sociétés fictives quil
a mises en place, il contrôle la majorité du
secteur du spectacle vivant. Il a même mis en place
des syndicats " patronaux ", composés de
personnes en réalité salariées et relevant
du statut de la fonction publique, ce qui lui permet ainsi
dintervenir dans le débat sur les ASSEDIC et
de bloquer toute possibilité de remise en cause conséquente
du système. Les autres syndicats patronaux du spectacle
et de laudiovisuel ne sont pas dupes, mais sont eux-mêmes
trop dépendants du ministère de la culture
pour pouvoir prendre le risque de soffusquer publiquement.
La dernière grande crise en 1995 avait été
solutionnée par Jacques TOUBON, qui avait remis quelques
milliards supplémentaires dans le budget des ASSEDIC
afin que le CNPF renouvelle les annexes spécifiques
du spectacle et de laudiovisuel.
Le ministère de la culture étant le premier
employeur clandestin de France, ce nest sûrement
pas de lui que viendront les projets de réforme de
fond, sauf à y réaliser un ménage conséquent.
Photographie du régime des intermittents
Tous secteurs confondus, leur nombre a doublé de
1985 à 1994. En 1994, on dénombrait 68 000
intermittents dont près de la moitié dans
le spectacle vivant. En outre, on assiste à la réduction
de la durée moyenne des contrats de 24,5 jours en
1985 à 8,7 jours en 1994 (rapport du sénat
1997).
En 1992, près de la moitié des salariés
intermittents du spectacle sont indemnisés.
En 1997 : on évoque le chiffre de 80 % (source :
caisse des Congés spectacles)
Pour un franc collecté, le montant reversé
aux 40 000 intermittents indemnisés en 1995 a été
estimé à 4,5 francs, le déficit des
annexes ayant été évalué à
2,186 milliards de francs.
Ils dépendent, en théorie, d'une antenne spécifique,
celle du spectacle. Dans cette branche, le recrutement est
relationnel à plus de 80 %. La fidélisation
est systématique!
Dans les entreprises liées à la culture, 18
% du personnel est en C.D.D. On trouve plus de 70 % d'intermittents
dans le cirque, 65 % parmi les groupes musicaux et les entreprises
événementielles. Les pourcentages sont plus
faibles dans les structures subventionnées et para-municipales.
(1)
Cela correspond à 43 cachets de 12 heures. Les cachets
sont comptabilisés pour 12 heures chacun s'ils sont
isolés, c'est-à-dire jusqu'au 4ème
cachet consécutif. Sachant qu'un même artiste
peut avoir plusieurs cachets le même jour, par exemple
s' il se produit dans plusieurs cabarets le même
jour ou dans un théâtre produisant deux représentation
par jour, l'artiste peut atteindre les 507 heures en 22
jours.
|