Les établissements de la
décentralisation culturelle : quand l'État
se dissimule derrière des statuts privés qui
lui sont normalement interdits et qui devraient être
gravement sanctionnés.
Les associations présentées
dans le chapitre IV avaient une activité à
dominante administrative qui devrait normalement être
exercée directement par ladministration ou
des établis-sements publics administratifs.
Les entreprises décrites dans ce chapitre relèvent
quant à elles dune activité à
dominante commerciale. Il sagit en général
dassociations, mais parfois aussi de sociétés
commerciales fictives (SA ou SARL).
Quand André MALRAUX a créé les maisons
de la culture, sur une inspiration politique, jamais aucune
loi n'est venue organiser leur statut. Certains de ses successeurs,
moins vision-naires que lui mais plus opportunistes ont
exploité la brèche ainsi ouverte. Loin de
revoir la personnalité juridique de ces organismes
subventionnés dont les budgets n'apparaissent pas
distinctement dans les comptes de l'État, ils s'en
sont servi au contraire comme une sorte de caisse noire
qui leur a permis de devenir les maîtres du jeu. Par
ce canal, ils ont pu notamment dispenser et dépenser
largent public comme bon leur a semblé en dehors
de tout contrôle.
En droit, si l'État entend développer un service
public de la culture, il a à sa disposition deux
façons dintervenir. Soit il se charge lui-même
de cette mission : les organismes de la décentralisation
culturelle devraient alors être organisés en
établissements publics industriels et commerciaux,
comme le sont les théâtres nationaux, (Colline,
Odéon, Strasbourg, Chaillot, lEurope, TEP),
ou dautres grands établissements culturels
(l'Établissement public de la Villette lOpéra
de Paris) qui sont soumis directement au contrôle
de l'État et de ses représentants par le biais
du vote du budget au Parlement. Soit l'État nentend
pas assurer la gestion de ces établissements : il
devrait alors les confier à des entreprises privées
dans le cadre dappels doffres publics permettant
une concurrence loyale. Il convient de plus davoir
à lesprit que lÉtat doit également
respecter la réglementation sur la concurrence et
ne pas fausser les marchés.
L'État a dailleurs un contrôle autrement
plus pertinent dans le cadre dune concession qui est
contractualisée et qui comprend un cahier des charges
que dans le cadre dune association dont le directeur
salarié fait ce quil veut sans être responsable.
L'État et les collectivités locales peuvent
même alors subventionner les concessionnaires. La
grande différence, cest que les concessionnaires
restent seuls responsables de leur gestion.
Des solutions simples et immédiatement applicables
existent dans tous les cas de figures, mais elles n'intéressent
tout simplement pas les petits barons qui utilisent la culture
comme le porte-voix de leur carrière politique ou
administrative et qui se satisfont tout-à-fait de
la situation actuelle puisque les tribunaux ne viennent
jamais les sanctionner.
Ainsi, tous ces établissements censés répondre
à un souci de décentralisation sont en fait
les relais régionaux d'une mainmise tentaculaire
du ministère sur lensemble des institutions
subventionnées. Quelques fonctionnaires et contractuels
parisiens se donnent ainsi droit de vie ou de mort sur les
carrières artistiques. Hors deux, point de
salut, à moins d'avoir les moyens de se passer de
leur aide et de surmonter surtout tous les obstacles que
ces fonctionnaires mettront sur le chemin de ceux qui osent
prétendre exister en dehors de leur sérail.
Autant dire que les débutants comme les tenants de
démarches exigeantes qui ne s'adressent pas directement
au marché n'ont pratiquement aucune chance de s'en
sortir. S'ils refusent la protection du ministère,
ils risquent de tomber sous celle d'un élu.
Quand il y a phagocytage, il n'y a pas de renouvellement.
Ce sont les mêmes personnes qui se partagent depuis
des années les postes, les crédits, les opportunités,
les privilèges attenants aux fonctions et qui se
donnent les moyens de tuer dans l'uf les projets qui
leur échappent, les initiatives qui pourraient menacer
leur position, alors même que ces dernières
ne sont en général pas du tout habitées
par ce genre de motivation.
La majorité des emplois artistiques aujourd'hui en
France dépend des subventions. Par ce biais, le ministère
dirige tout. Les artistes lui sont souvent redevables de
leurs subsides quand ce n'est pas de leur statut. En revanche,
là où au contraire, il devrait exercer un
contrôle, il laisse aller à vau-l'eau. Alors
que le ministère de la culture a un réel pouvoir
pour intervenir dans la gestion de ses institutions relais,
il ne s'en donne ni les moyens, ni les compétences.
C'est donc qu'il n'en a pas envie. Seule la politique culturelle
et l'ascendant sur les artistes l'intéressent. Pour
le reste, le budget de l'État finira bien par y pourvoir.
L'État refile le bébé aux administrations
déconcentrées des régions
Le ministère de la culture a même
désormais l'occasion de se décharger sur les
administrations régionales de cette responsabilité
qui l'expose et qui l'ennuie. Au 1er janvier 1998 une réforme
globale des moyens d'intervention de l'État est entrée
en application . À compter de cette date nombre de
responsabilités qui relevaient de l'État ont
été transférées à l'autorité
déconcentrée compétente, en particulier
en matière budgétaire. Cette déconcentration
permet au ministère de la culture de déléguer
des tâches de gestion aux directions régionales
des affaires culturelles. Il les laisse se dépêtrer
avec ces questions, pendant que l'administration centrale
garde la baguette de chef d'orchestre.
Lexemple du ballet "
national " de Marseille - Centre Chorégraphique
National (CCN)
Nous avons choisi à
titre d'exemple de décrire la situation du ballet
national de Marseille Roland PETIT qui illustre bien les
abus tant juridiques que financiers d'une telle structure
dont nous ne discuterons pas la qualité artistique
intrinsèque.
Roland PETIT, directeur du ballet national de Marseille
et de lécole nationale supérieure de
danse, qui lui est rattachée, a annoncé le
2 décembre 1997 quil quittait ses fonctions.
" Résolument libre et impulsif ", il souhaite
tenter dautres expériences, notamment à
la télévision. Roland PETIT et Marseille,
cest une histoire damour qui dure depuis 25
ans, aussi beaucoup sétonnent de le voir annoncer
si légèrement ce changement dactivité
alors que notamment linternat quil demandait
depuis si longtemps pour son école de danse est enfin
chose acquise.
En plus du départ de Roland PETIT, le ballet voit
la démission du maire de ses fonctions de président
du ballet, au moment où, coïncidence, la chambre
régionale des comptes vient de publier un rapport
sur la gestion de ce prestigieux établissement.
En réalité, si Roland PETIT a démissionné
du ballet en tant que directeur artistique, il y demeure
en tant que chorégraphe. Son seul vrai départ,
cest celui de sa résidence fiscale. Roland
PETIT quitte Marseille pour Genève laissant derrière
lui une association qui continue à gérer une
mission de service public en dehors de tout cadre légal.
Du reste, la convention conclue le 21 septembre 1990 entre
la ville et le ballet est arrivée à échéance
le 30 juin 1996, et navait toujours pas été
renouvelée en juin 1997 ...
Avec un conseil dadministration intégralement
composé de membres de droits désignés
par les instances qui financent le ballet ; on découvre
donc qu'il s'agit d'une association administrative transparente
qui pourrait être déclarée nulle en
vertu de la loi de 1901.
Cela semble être la vraie raison de la démission
de Jean-Claude GAUDIN, pourtant président de droit
de cette association.
La Chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte
dAzur nous éclaire sur ce que cachent les centres
chorégraphiques nationaux. Il n'est pas question
d'accabler Roland PETIT ou den faire un bouc émissaire,
les errements que le rapport dénonce sont ceux d'un
artiste dont la gestion n'est ni assistée, ni encadrée
par les autorités de tutelle qui prodiguent l'argent
public en masse dans la seule direction des institutions
prestigieuses, celles qui rapportent du pouvoir et de l'image
au lieu de jouer leur rôle de promoteur, d'initiateur,
de mentor de l'expression culturelle régionale.
MarieClaude PIETRAGALLA, qui vient dêtre
nommée par le ministère de la culture pour
prendre la direction du ballet national de Marseille, a
ainsi annoncé quelle entendait continuer à
présenter le répertoire de la compagnie, cest-à-dire
les ballets créés par Roland PETIT depuis
25 ans. Roland PETIT, mécontent de voir que son candidat
na pas été choisi a immédiatement
annoncé quil reprenait son répertoire.
Cette démarche est effectivement possible puisquil
ny a sans doute jamais eu de contrat entre Roland
PETIT et le ballet. Pourtant, ce répertoire, créé
avec les moyens du service public dans le cade dune
mission de service public nappartient pas à
Roland PETIT, mais à lÉtat français.
Le ministère de la culture qui a pourtant les moyens
juridiques dintervenir pour faire respecter sa volonté,
ne le fera sans doute pas, car cela remet en question tout
son édifice.
Les centres chorégraphiques nationaux, dont la justification
dêtre est soi-disant de créer un répertoire
montrent ainsi leur vraie nature.
Ces errements couverts par le ministère, on les retrouve
à des degrés divers dans la quasi-totalité
des structures de la décentralisation culturelle.
Le spectre de la loi Sapin plane en ce moment sur le gotha
culturel auprès duquel le ministère de la
culture joue le Prince du bon plaisir. Comme le pays est
dirigé par un gouvernement " Mains propres "
dont chaque action de ce point de vue est regardée
à la loupe par la presse et par l'opinion, beaucoup
de responsables sont dans une situation de panique monstre.
Ils ont une peur énorme de cette loi et ne l'appliquent
pas de peur de s'y brûler, de voir seffondrer
les châteaux qu'ils se sont construits sous alibi
culturel. De leur côté, les élus, sentant
que le vent tourne, ne veulent plus rien signer.
Nous avons listé en Annexe 8-3 les personnalités
politiques et artistiques encourant des sanctions civiles
et/ou pénales du fait de la " gestion "
des centres chorégraphiques nationaux.
Les Centres dramatiques " nationaux "
Si les centres chorégraphiques nationaux
ont tous choisi le statut associatif, les centres dramatiques
nationaux sont eux structurés en société
à responsabilité limitée ou en société
anonyme, il sont néanmoins tout aussi fictifs et
transparents et source dune délinquance dont
le maquillage tient de la caricature. Nous avons expliqué
en Annexe 8-4 le fonctionnement des CDN et citons les 87
personnalités politiques de premier plan passibles
dinterdiction de fonction publique du fait de leur
intervention dans le fonctionnement de ces centres. On y
trouve entre autre un ancien président de la république,
trois anciens Premiers ministres et plusieurs dizaines de
ministres anciens ou en exercice.
Les scènes " nationales "
C'est le troisième niveau d'intervention
de l'État dans le domaine du spectacle vivant. Créées
en 1991, les scènes nationales, réparties
sur tout le territoire, sont au nombre de 61. Ce sont, pour
la plupart, des associations régies par la loi de
1901. Quelques scènes nationales ont récemment
fait l'objet de procédures publiques d'appel doffres
et de mise en concurrence. Cependant, la plupart de ces
appels d'offres mentionnaient que les candidats devaient
être en mesure de recevoir le label " scène
nationale " du ministère de la culture alors
que ce label n'existe pas ou n'a du moins aucune base légale.
Les scènes " nationales " ont pour vocation
de développer les relations avec le public et leurs
programmations sont prioritairement consacrées au
spectacle vivant.
Le " label " " Scène nationale "
regroupe des établissements très divers historiquement
appelés maison de la culture, centre d'action culturelle
ou centre de développement culturel.
Le ministère de la culture co-finance les scènes
nationales et en assure la tutelle en collaboration avec
les collectivités locales d'implantation. Les directeurs
sont agréés par le ministre de la culture
et le maire. Ils sont choisis par les conseils d'administration
sur la base d'un projet artistique pluriannuel. Les missions
de service public qui leur sont confiées sont définies
dans leurs statuts.
Les cafés-concerts
Plus proche encore de l'esprit mondain prisé
par le ministère de la culture, il y a son intervention
pour soutenir les " cafés concerts ". Nombre
de ces entreprises sont organisées en association
selon la loi de 1901. Elles sont souvent cofinancées
par le ministère de la culture et les collectivités
locales. Quelques-uns de ces cafés-concerts ont fait
l'objet de procédures régulières d'appels
doffres, ainsi de la Ville du Havre en novembre 1997.
D'autres villes respectent la loi Sapin et demandent que
le candidat soit en mesure d'obtenir le label du ministère
de la culture, ce qui nous semble donc entacher ces procédures
dirrégularité puisque ce label n'a pas
d'existence légale. Il est d'ailleurs aujourdhui
abandonné et remplacé par le non moins faux
label " scènes de musiques actuelles
".
L'intérêt de créer ces labels en dehors
de tout cadre légal, c'est bien entendu de pouvoir
ainsi les octroyer en fonction de critères totalement
fluctuants. C'est évidemment le relationnel qui prime,
l'appartenance au réseau. C'est ainsi que les rois
octroyaient les privilèges d'édition sous
l'ancien régime. On navait aucun compte à
rendre à qui que ce soit. Ce n'est vraiment pas pour
rien qu'un ancien ministre aime à se comparer au
roi mécène. Pourquoi pas, mais qu'est-ce que
la République et la démocratie ont à
voir dans tout ça !
Dans le même ordre d'idée, nous aurions pu
également parler des opéras, des orchestres
nationaux, des centres culturels de rencontre, des nombreux
festivals financés par le ministère de la
culture. Dans le domaine du spectacle vivant, le ministère
de la culture contrôle ainsi plusieurs centaines d'entreprises
éparpillées sur tout le territoire national.
Cela lui permet de contrôler l'essentiel du marché,
si l'on peut encore parler de marché.
Les Fonds Régionaux pour
lArt Contemporain (FRAC)
Créés en 1982 dans le cadre
de la politique de décentralisation les FRAC, aujourd'hui
au nombre de 23, sont répartis dans les régions
de France métropolitaines ainsi qu'en Martinique
et à la Réunion.
Les FRAC sont des structures d'acquisition et de développement
de l'art contemporain. Ils ont pour mission de constituer
une collection d'uvres d'artistes contemporains dont
ils assurent la gestion, l'inventaire, la conservation et
la diffusion. Ils développent une politique d'aide
à la création, présentent des expositions,
et sont, en outre, investis d'une mission pédagogique
de diffusion et de sensibilisation (expositions itinérantes,
prêts aux collectivités locales, dépôts
dans les musées, mise en place de centres d'art contemporain).
Ils sont financés à parité par l'État
et par les régions.
Depuis leur création, ils ont constitué un
patrimoine riche de 11 500 uvres de 2 501 artistes,
allant de la photographie à la sculpture monumentale.
Ces uvres sont répertoriées par le Vidéomuséum,
banque de données des collections publiques dart
du XXème siècle.
Les FRAC existent sous la forme associative. Il s'agit là
encore d'associations créées dans le dessein
évident de contourner les règles de la comptabilité
publique et de la fonction publique. Leurs dirigeants de
droit ou de fait, ainsi que les responsables des collectivités
locales qui les financent encourent notamment les sanctions
liées à la gestion de fait, à la prise
illégale d'intérêt, ou encore à
l'usurpation de fonction publique. Nous n'en referons pas
la liste, on retrouve partout les mêmes noms. L'examen
des statuts déposés dans les préfectures
montre bien qu'il s'agit d'associations administratives
fictives. Le niveau d'inconscience (et/)ou de conscience
de leur impunité est extrême. La plupart des
FRAC sont directement présidés par les présidents
de région, les bureaux sont presque exclusivement
composés de fonctionnaires et délus,
notamment les directeurs de DRAC ou les conseillers aux
arts plastiques de ces mêmes DRAC, les préfets,
et divers élus en principe chargés de les
contrôler .
Les ADIAM (Associations Départementale
pour lInformation et lAction Musicale)
Autre exemple d'outil de maillage de l'emprise
centralisatrice, au niveau départemental, les ADIAM.
Ces associations ont été mises en place à
linitiative du ministère de la culture afin
dimpliquer les conseils généraux dans
laction culturelle.
Leur directeur est donc le responsable de laction
culturelle en matière de musique et de danse du département.
Il aura également la plupart du temps une seconde
casquette de délégué du ministère
de la culture dans le département. Le directeur de
l'ADIAM des Hauts-de-Seine, premier département de
France, étant également président de
l'association des directeurs d'ADIAM, il nous a semblé
intéressant de l'interviewer.
LADIAM 92 (Hauts de Seine)
Les statuts demandés en avril 1996
font état des dernières déclarations
qui remontent au 5 mars 1980. Lassociation ne respecte
donc pas les obligations de déclaration des associations
selon la Loi de 1901. Son directeur actuel, Jacques FAVARD,
également président de lassociation
des directeurs dADIAM, na ainsi jamais été
déclaré.
Cette association na été créée
que dans le but de détourner les règles de
comptabilité publique et de la fonction publique
. Elle est donc nulle et de nul effet. Son directeur relève
donc de la fonction publique et na en principe pas
le droit davoir dactivité commerciale.
Il gère pourtant le festival Chorus qui relève
incontestablement d'une activité commerciale.
Cette association peut donc sans trop de risque être
qualifiée dassociation transparente. Le directeur
de lADIAM, qui dirige lassociation a donc la
qualité de comptable de fait et pourrait en conséquence
être en situation d'usurpation de fonction publique.
LADIAM 92 a une délégation de service
public sans titre légal puisquil ny a
jamais eu dappel doffres et de mise en concurrence.
Cette association est financée à la fois par
le ministère de la culture et le département
des Hauts-de-Seine. Charles PASQUA, président du
Conseil Général pourrait donc également
être en situation de gestion de fait et de prise illégale
d'intérêt impliquant une interdiction de toute
fonction publique...
Il en est de même de la quasi-totalité des
autres ADIAM.
Lensemble de ces mécanismes a pour but et pour
effet de permettre aux fonctionnaires du ministère
de la culture et à quelques autres de chapeauter
lensemble des moyens publics et privés mis
à la disposition de la culture. Ils sont ainsi omniprésents
à tous les niveaux de la " décentralisation
" culturelle pour en contrôler lutilisation.
© Roland LIENHARDT - 1998
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