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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
VII

Les copains d’abord


Après de long mois d'incertitudes et une âpre négociation, les accords du GATT de 1993 ont reconnu " l'exception culturelle " et le droit pour l'audiovisuel européen de maintenir ses systèmes de financement.

Il est cependant nécessaire que le gouvernement français intègre lui aussi l'exception culturelle dans sa politique intérieure et européenne. En effet, il n’existe pratiquement aucune exception culturelle. L'ensemble des dispositifs sociaux mis en place depuis quelques années par les pouvoirs publics nuit considérablement au renouvellement de la création artistique française .

Notre législation interdit par exemple à un groupe de musique de mettre au point son spectacle et d'enregistrer son premier disque en dehors du salariat .

Elle empêche les solidarités qui permettent souvent aux créateurs de réaliser leurs premières œuvres en ayant recours au bénévolat des amis ou à des jeunes artistes de présenter leur travail, fût-ce même gratuitement, alors que leur objectif essentiel est encore celui de leur promotion et d'une première expérience professionnelle.

Il est rare qu'un producteur accepte de financer un artiste qui n'a jamais rien présenté ni produit de professionnel. Il serait plus intéressant et plus justifié de réfléchir à une exception culturelle qui permette par exemple aux groupes de rock, aux compagnies de danse, de théâtre, de cirque et aux réalisateurs de l'audiovisuel de créer leurs premières œuvres dans un cadre juridique fiable, plutôt que de multiplier les aides et les protections autour des artistes patentés.

À quoi servira une exception culturelle durement négociée si la production française ne se renouvelle pas et n'a bientôt plus aucune particularité à protéger.

Le droit du travail ne peut s'appliquer sans adaptation aux professionnels de la création. Il est donc indispensable et urgent d'inventer de nouveaux concepts juridiques qui permettront à l'exception culturelle d‘exister.

Le ministère de la culture agit en vérité comme si l'exception culturelle s'appliquait surtout à lui-même. L’ensemble des entreprises qu’il contrôle ne respecte que marginalement la règle de droit. À la première difficulté, si tant est qu’un juge ou un fonctionnaire d’un autre ministère ait l'outrecuidance de se mêler de ce domaine de Cour, ils (le ministère de la culture et les entreprises qu’il contrôle) ont les moyens de le faire taire ou au pire de payer quand les tribunaux vont jusqu'au bout. Lionel JOSPIN ne vient-il pas de décréter officiellement un moratoire pour les contrôles fiscaux dont font actuellement l’objet de nombreuses associations culturelles?

Les établissements culturels dont les décisions sont souvent inspirées par les politiques sont régulièrement condamnés pour ne pas respecter le droit du travail quand celui-ci contrarie leurs projets.

Alain JUPPÉ s’est ainsi permis de licencier le directeur du Théâtre de Bordeaux, Alain LOMBARD, par voie de presse, en oubliant qu’il existe des procédures obligatoires qui s'appliquent à tous et que le simple fait de ne pas les respecter, même si le licenciement avait par ailleurs une cause réelle et sérieuse, met l’employeur en faute et l’oblige à payer des indemnités substantielles.

Les établissements culturels sont coutumiers de ce type de licenciements, c’est de toute façon l'État qui paie. Ce procédé est d’autant plus facile que les lignes budgétaires publiques destinées à payer les condamnations ne s’imputent pas sur les lignes correspondant aux activités les ayant générées.

C'est un peu comme si nos contraventions étaient prises en charge par un compte bancaire autre que celui sur lequel est viré notre salaire et que ce compte soit automatiquement réapprovisionné par la providence.

Ce que l'on observe à propos des licenciements, on peut l'observer aussi à propos des marchés publics. Cette superbe ignorance de la loi répond, bien entendu, à une logique. Une logique conservatrice qui consiste à protéger les gestionnaires des institutions en place et les grosses entreprises privées du secteur culturel, souvent liées à l’État. On limite ainsi considérablement le risque de voir arriver de nouveaux intervenants sur le marché.

Étant donné que l'entreprise la plus puissante, à savoir le ministère de la culture, ne respecte que marginalement le droit du travail, les autres entreprises sont tenues de faire de même si elles veulent rester un tant soit peu concurrentielles. Elles pilotent donc cette absence de respect de la réglementation dans le cadre d’une stratégie de gestion de risque. Cela coûte au final moins cher de payer une condamnation de temps en temps que de respecter la norme au quotidien.

D’autant que pour la plupart d'entre elles, parce que liées au pouvoir politique ou au ministère de la culture, elles peuvent compter sur l’intervention de leurs autorités de tutelle afin de limiter les conséquences d’un contrôle.
En revanche, la petite entreprise, l’artiste ou le producteur indépendant, qui n'ont rien à monnayer, devront quant à eux prendre le même risque sans avoir la possibilité de le gérer. De toute façon, ils n’auraient pas les moyens d’appliquer les normes en vigueur pas plus que celui de payer les très lourdes condamnations des tribunaux qui sanctionnent ce non-respect du droit.

L'artiste indépendant n’a enfin aucun moyen d'attirer sur lui les indulgences. Bien au contraire, ce seront parfois les pouvoirs publics eux-mêmes qui déclencheront les contrôles afin d’éliminer une initiative critique ou tout simplement indépendante.

L'activité culturelle est devenue la danseuse des élus. Cela leur permet souvent de satisfaire des goûts personnels, de lier des liens avec les artistes et le show-biz, porteurs d’image et soutiens de leur communication...
Cela permet également de renvoyer des ascenseurs à bon compte et de rendre des tas de petits services. Les élus, comme les fonctionnaires du ministère de la culture se sont ainsi crus à l’écart de la règle de droit.

Dans ce domaine, Jack LANG en remontre à tous. Il va jusqu'à signer une biographie de François Ier pour appeler tout un chacun à faire l'identification qui s'impose entre le premier grand roi mécène, résidant de Blois, et cet humble serviteur de l'État, par ailleurs maire de la ville en question, et qui a tant fait pour la culture...

Il existe pourtant dans ce parallèle narcissique une différence de fond, c’est que le prince mécène, comme d’ailleurs le chef d’entreprise, intervient avec son argent. Il est seul à rendre des comptes. François Ier prospectait un secteur encore vierge. Sans lui, fort peu d’artistes auraient eu les moyens de créer.

François Ier de surcroît ne s’était pas évertué à supprimer tout art indépendant de l'État. Il laissait à ses artistes leur liberté, leur prodiguant surtout des moyens.

Le ministre de son côté a agi uniquement avec l’argent public, il n’hésitait pas à mettre des artistes et des producteurs privés au chômage et à casser les marchés pour imposer ses amis et mettre en place des structures para-étatiques garantissant leur longévité même après son départ. Le roi mécène a imposé des artistes, le ministre a surtout casé des copains.

Il serait intéressant de voir ce qu’ont coûté certains artistes dont la carrière doit tout à Jack LANG et à ses fonctionnaires au regard du nombre de spectateurs ayant payé leur place pour assister à l'un de leurs spectacles.
La seconde différence, c’est que le prince mécène endossait seul la responsabilité de ses choix, encore une fois comme un chef d’entreprise. Il ne la diluait pas dans un écheveau de commissions pouvant servir de fusibles pour le cas où ses lauriers viendraient à prendre feu.

Ces commissions ont également d'autres buts, comme de donner des titres officiels au plus grand nombre afin d’étoffer leurs soutiens. Permettre ensuite à ces éminences d’avoir elles-mêmes leur clientèle obligée, laquelle par contre coup devient aussi l’obligée du ministre. La féodalité ne fonctionnait pas autrement.

Ces commissions se doivent de satisfaire leurs membres et de ne pas faire de mécontents, d'éviter les vagues. Il convient également de satisfaire les fonctionnaires en quête de consensus qui animent les réunions et préparent les dossiers. Ces commissions vont donc avoir tendance à raser tout ce qui dépasse un tant soit peu de la norme. Naît un conformisme nouveau, celui du strict intérêt. Tout se ressemble, même dans la différence, il suffit d'être dans la lumière, c’est ainsi que naît la nouvelle culture d’État, monolithique.

Dans la même optique, le ministère de la culture a également mis en place une pléthore de conseils supérieurs, (conseil supérieur de la danse, conseil national des professions du spectacle, conseil national de la scénographie, conseil national des arts de la piste, conseil national des villes et pays d’art et d’histoire, comité consultatif de la recherche architecturale, conseil du patrimoine ethnologique, etc.)

La plupart de ces conseils ne se sont pratiquement jamais réunis. Ainsi que le note la Cour des Comptes , le conseil scientifique du patrimoine muséographique du XXe siècle, créé en 1991, devait être convoqué au moins deux fois par an : " Il ne s’est réuni que quatre fois depuis sa création, interrompant ses travaux pendant deux ans entre 1993 et 1995. Deux autres conseils scientifiques avaient également été créés en octobre 1990 (arts d’Afrique et d’Océanie) et novembre 1991, (arts décoratifs). Le premier a tenu quatre réunions de travail jusqu’en novembre 1992 ; le second trois seulement jusqu’en décembre 1993. Ils ont cessé de fonctionner depuis lors ".

Ces conseils n’ont aucun moyen réel, mais cela permet de fleurir les cartes de visites. En d’autres temps, on distribuait des titres de barons.

Jack LANG a récupéré tous les ascenseurs à son profit, et au profit du Président de la République. Tous les ministres qui sont passés derrière ont tenté maladroitement de le singer avec des résultats bien moindres.
La personnalité de Jack LANG, comme la stature d'André MALRAUX, et leurs moyens de pression multiples et variés ont fait que personne n’a jamais osé analyser sérieusement et publiquement la nature de leurs actions .

Pourtant, les lois limitant la liberté d’action de la puissance publique s’appliquent aussi à la culture.

La loi Sapin et la culture


Qu’il s’agisse des règles relatives aux marchés publics ou aux délégations de service public, les secteurs liés à la culture se sont comportés ces dernières années et continuent majoritairement à se comporter comme si cette réglementation ne s’appliquait pas à la culture.

En effet, afin de lutter contre la corruption, l’État, les collectivités territoriales, ou encore les établissements publics qui souhaitent acheter un bien ou un service d’un certain montant, ou encore confier la délégation d’un service public à une entreprise privée, (par exemple la gestion d’une salle de spectacle ou d’un centre de documentation) doivent respecter une procédure de mise en concurrence et de transparence, afin de permettre à toutes les entreprises potentiellement intéressées de se porter candidates au marché et aux élus de contrôler que le choix du prestataire ne fait pas l’objet d’un pot-de-vin ou d’une quelconque contrepartie.

De qui se moque-t-on ?

Le comble dans cette affaire, c'est que cette Loi a été promulguée par le Président de la République François MITTERRAND et signée par les ministres concernés, au premier rang desquels figurait Monsieur Jack LANG, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale et de la culture !

Que penser d’un homme politique, juriste de formation de surcroît, qui se moque de ses lois ?

Dans le cadre d’une réponse écrite publiée au Journal officiel du 20 octobre 1997 , Madame TRAUTMANN a pourtant confirmé que les établissements culturels de spectacles vivants sont bien tenus de respecter la loi Sapin. " Il faut rappeler par ailleurs que le recours à l’association pour la gestion d’un service public doit en principe être soumis, conformément à la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption, à une procédure de publicité préalable permettant la concurrence tout en laissant à la collectivité territoriale intéressée le choix de l’organisme retenu. À cet égard, la loi du 29 janvier 1993 a prévu des règles de procédure spécifiques aux délégations de services publics locaux destinées à permettre un contrôle des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics locaux sur l’attribution des délégations de services publics locaux ".

Il est dommage de constater que cette position est encore loin d’être appliquée.

En effet, depuis octobre 1997, c’est au moins dix établissements culturels qui ont été à nouveau confiés à des associations par le ministère de la culture en dehors de ce cadre légal.

 

© Roland LIENHARDT - 1998

 
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