La
source de tous les problèmes de la Culture réside
dans le fait que lon a créé et développé
le ministère des affaires culturelles depuis 1959
sans adapter le statut de la fonction publique qui interdit
aux fonctionnaires le cumul demplois, mais les autorise,
en revanche, à avoir une activité dauteur
ou dartiste . On a également créé
le ministère de la Culture en lentourant dune
myriade d'associations loi 1901 destinées à
contourner lensemble de la réglementation et
à cultiver les bonnes grâces des milieux artistiques.Le
ministère de la culture est plus que partie prenante
de la vie culturelle française, il en est devenu
le premier des acteurs. Quand l'État nest pas
bailleur de fonds avec tout ce que cela peut impliquer comme
reconnaissance, voire comme subordination de la part de
ceux qui bénéficient de sa manne, il intervient
carrément en position de concurrent. Un concurrent
qui ne respecte aucune règle, et surtout pas les
règles de droit.
Comment en est on arrivé là? Cest ce
que nous essaierons de vous montrer tout au long de cet
ouvrage en décortiquant les principaux mécanismes
qui permettent à ce système de prospérer.
Cest dabord dans le statut de la fonction publique
quil convient de chercher la première explication.Le
péché originel : la création du ministère.Le
statut de la fonction publique comporte une règle
dinterdiction de cumul des fonctions et des rémunérations.
Ces dispositions sappliquent non seulement aux fonctionnaires,
mais également à tous les organismes publics
ou privés dont le budget de fonctionnement est alimenté
en permanence et en majorité par des subventions
publiques, des taxes parafiscales, ou encore des cotisations
obligatoires (organismes de sécurité sociale
par exemple).
Il existe une exception à ce principe : cette règle
de non cumul ne sapplique pas à la production
duvres scientifiques, littéraires ou
artistiques. Par ailleurs, les membres du personnel enseignant
technique ou scientifique des établissements denseignement
et de ladministration des beaux-arts peuvent exercer
les professions libérales qui découlent de
la nature de leurs fonctions.
En effet, il nest pas dangereux pour la qualité
du service public quun fonctionnaire du ministère
des transports consacre ses loisirs à la poésie,
à la peinture ou à la danse. Encore faut-il
quil exerce cette activité de façon
autonome. En effet, le fonctionnaire du ministère
des transports est autorisé à écrire
une pièce ou à intervenir comme musicien dans
un orchestre amateur, mais il ne saurait pour autant être
autorisé à monter des productions de spectacles,
ni même à avoir un contrat de travail avec
une entreprise de spectacles. Le Conseil dÉtat
considère en effet, que seules les productions artistiques
autonomes des fonctionnaires sont autorisées.
En revanche, quand le ministère de la culture a été
créé en 1959, ce statut de la fonction publique
na pas été modifié. On se retrouve
donc en présence d'un corps de fonctionnaires qui
a le droit dexercer une activité dans le secteur
quil est chargé de surveiller, ce qui a évidemment
de lourdes conséquences quant à l'impartialité
de lÉtat. Voilà une situation que partout
ailleurs, tout le monde trouverait inacceptable.
Qui oserait imaginer en effet un haut fonctionnaire du ministère
des transports subventionner une entreprise privée
dans laquelle il a des intérêts, ou dont il
est le responsable ?
Or personne ne sétonne de voir un directeur
dadministration centrale du ministère de la
culture prendre le direction ou la présidence dune
entreprise commerciale du secteur culturel largement financée
sur fonds publics. À plus petite échelle,
Personne ne s'étonne de voir un fonctionnaire de
la culture recevoir une rémunération pour
participer à des jurys décoles financés
par son ministère.
Un Ministère qui reprend le flambeau dune
Culture dÉtat:
Cette situation a aussi des effets sur la politique culturelle
elle même. Le Ministère garde en effet le sens
de l'État mais dans la plus mauvaise acception du
terme, pour édifier une culture du même nom.
Reprenant une tradition instaurée par Louis XIV et
réhabilitée lors de la restauration par Louis
XVIII (qui créait en février 1816 une commission
chargée de fixer les règles du goût),
le ministère de la culture sest donné
pour tâche de permettre un large accès à
la culture, de faire pour elle ce que la IIIème République
avait fait en son temps pour lenseignement.
Ainsi que le disait André Malraux, et qui est élevé
au niveau du principe par le ministère de la culture,
"il y a deux façons de concevoir la culture...
la culture pour tous et la culture pour chacun... Je nai
pas besoin de vous dire que nous avons choisi la culture
pour chacun.
À partir de là, nos fonctionnaires de la culture
se sont sentis investis dune mission divine : faire
connaître au grand public non éduqué
la culture politiquement correcte.
Ils ont affecté dappartenir à une sorte
davant-garde, délite intellectuelle versée
dans ladministration pour les besoins de la cause,
oubliant au passage les rigueurs et les servitudes de cet
office.
Un ministère d'artistes
Le ministère de la culture se fixant pour objectif
dintervenir sur le contenu même de la culture,
se devait donc dintégrer des artistes. Il est
possible quil y en ait eu de brillants et de talentueux,
mais en général, un artiste reconnu a rarement
la fonction publique comme objectif de carrière.
Pour de nombreux artistes inassouvis, en revanche
la seule carrière possible passe aujourdhui
par le ministère. Cela permet en effet de faire à
la fois de lartistique et de la production sans jamais
prendre le moindre risque, ou du moins, sans encourir de
sanction. En effet, le discours est justement de ne pas
chercher les résultats concrets dans limmédiat
mais dans lélévation progressive des
mentalités. Il nest en effet pas rare dentendre
des responsables du ministère dire quune salle
pleine, cela prouve que lon a flatté le public,
et cest la pire des critiques. Lartiste qui
mérite dêtre aidé par le ministère,
cest celui qui évite comme la peste les suffrages
du goût dominant et na cure de remplir sa salle.
Cest en effet au public de venir à lartiste
et non linverse. Ce principe qui ne devrait avoir
qu'une validité relative a été élevé
au rang de dogme absolu.
Dans le domaine artistique, comme ailleurs, cest labsolutisme
et lextrémisme qui sont nuisibles. A partir
du moment où quelquun est persuadé de
détenir la vérité, seule
et unique, et quil entend limposer à
autrui, tous les excès sont possibles. Quand ces
personnes bénéficient en plus de la puissance
publique, alors là, plus rien ne les retient.
En matière de danse, lactuel délégué
à la danse du ministère na jamais réussi
la moindre carrière de chorégraphe. Ce ne
serait pas grave sil ne se permettait pas de juger
ses pairs. Ces artistes aux carrières très
moyennes, exercent désormais leur pouvoir administratif
sur les compagnies par loctroi du label " ministère
", sésame de tous les avantages et subventions.
On a donc créé des cultures dÉtat,
déterminées, dirigées et encadrées
par des artistes. Le discours ne sert quà justifier
et maquiller un accaparement des moyens de l'État
par des fonctionnaires-artistes. Cet accaparement sest
construit par des moyens divers et variés. La complexité
des structures mises en place depuis 40 ans montre en tout
cas une certaine suite dans les idées.
Ces artistes du ministère de la culture,
nayant pas toujours les diplômes nécessaires
pour gravir les échelons de ladministration,
(comme doivent le faire les fonctionnaires qui passent des
concours), il a été nécessaire de contourner
l'obstacle en créant de très nombreuses associations
selon la loi de 1901. Ces artistes fonctionnaires peuvent
ainsi soctroyer des salaires dentreprises privées,
jouer leurs propres uvres, et cumuler les emplois
en allant se produire dans des établissements culturels
tenus par leurs amis, lesquels les rémunèrent
à nouveau.
Au passage, on a complètement oublié que cela
nétait pas légal et que le fait de créer
une association nempêchait pas en principe ces
artistes de rester soumis au droit public. Le ministère
de la culture a mis en place un outil de communication politique
tel que personne na jamais eu lenvie de regarder
sur quoi cela pouvait bien reposer. Étonnamment,
aucun juge na jamais pu (ou voulu ?) se saisir de
cette question....
Le ministère de la culture soccupe donc de
lartistique et délaisse très largement
les affaires culturelles, sa raison dêtre première.
Le fait par exemple qu'il n'ait aucun goût pour lorganisation
réglementaire et économique des secteurs artistiques
résulte dune logique de clientèle. On
ne permet pas aux problèmes de trouver des solutions
réglementaires, cela implique donc des interventions
personnelles du ministre et des responsables du ministère,
ce qui favorise le clientélisme et instaure le "
fait du Prince ".
Lors dune conférence de presse présentant
le nouveau directeur de la musique et de la danse, à
la question dun danseur qui demandait au ministre
sil envisageait de réfléchir à
des dispositions spécifiques relatives au statut
des danseurs appelés sous les drapeaux, Jack LANG
répondait : " appelez-moi, je réglerai
votre cas... ". Et le ministre de la culture règle
les situations individuelles, faisant ainsi au passage des
artistes ses obligés. Le ministère na
donc jamais réfléchi à des règles
permettant aux danseurs de ne pas interrompre leur formation
pendant lannée du service militaire.La question
des droits dauteur - Comment les fonctionnaires du
ministère de la culture ont perçu plusieurs
milliard de francs au détriment de lÉtat.
En droit français, sauf en matière de logiciel,
le fait quune uvre soit créée
par un salarié dans le cadre dun contrat de
travail nemporte aucune dérogation à
la jouissance par ce salarié de lensemble des
prérogatives liées à la qualité
dauteur telles qu'elles sont reconnues par le Code
de la Propriété Intellectuelle.
Cependant le Droit du travail ne concerne pas les fonctionnaires
et contractuels de droit public, qui sont quant à
eux, liés par le statut de la fonction publique.
A ce sujet, le Conseil dÉtat déclare
: " par lacceptation de leurs fonctions, les
fonctionnaires et agents de droit public ont mis leur activité
créatrice ou les droits qui peuvent en découler
à la disposition du service, dans toute la mesure
nécessaire à lexercice des dites fonctions
".
Le fonctionnaire ou contractuel de droit public ne peut
donc faire valoir aucun droit dauteur sur ses uvres
créées dans le cadre de " lexécution
du service public ", avec les moyens du service et
à la demande de celui-ci .
Dans le cadre dune réponse ministérielle
, Jack LANG a repris à son compte cette position
du Conseil dÉtat.
Il écrivait alors :il est juridiquement
correct de considérer que si un agent de lÉtat
fait uvre de lesprit, dans le cadre de la mission
de service public dans laquelle il exerce ses fonctions,
cette uvre ne saurait en être détachée,
en tout cas pour la forme quelle a prise en son sein
et pour son propre fonctionnement.
Seuls les professeurs dans lenseignement sont autorisés
à publier des ouvrages dans des domaines relevant
pourtant de leur fonction et à en conserver les droits.
En effet, un professeur qui est chargé de dispenser
un enseignement oral nest pas tenu de publier un manuel.
Sil le fait cest donc en dehors des obligations
liées à sa fonction denseignant.
Hormis ce cas, les uvres des fonctionnaires créées
dans le cadre de leurs fonctions et avec les moyens du service
public sont la propriété de lÉtat,
de la collectivité ou de létablissement
public qui emploie ces fonctionnaires ou contractuels de
droit public.
Cette contrainte légale s'applique ainsi à
la plupart des structures de créations artistique
de lÉtat, quelles soient créées
sous forme dassociations ou de sociétés
commerciales fictives, justement dans le but de contourner
cette règle de droit public.
La plupart des associations ou sociétés de
gestion de ces structures de production artistique sont
des entreprises fictives. Les créateurs et artistes
de ces ensembles relèvent du droit administratif,
et non du droit privé. Ils ne devraient donc pas
percevoir de droits liés à leur interprétation
ou création. Les enregistrements phonographiques
de leur répertoire, ainsi que les réalisations
audiovisuelles de ces structures para étatiques relèvent
en effet également de leur mission de service public.
Dans le domaine des orchestres subventionnés par
exemple, ce sont néanmoins ces musiciens, qui ne
devraient même pas relever du droit privé,
qui constituent le gros des troupes du syndicat des artistes
musiciens, lequel gère la société civile
dartistes SPEDIDAM et en retire un pouvoir et des
subsides très conséquents. Il sagit
dun des interlocuteurs privilégiés du
pouvoir dans le domaine de la musique, cest lui qui
représente les musiciens et négocie des mesures
qui s'appliquent ensuite aux petits groupes de rock et de
variétés.
Les revenus financiers des responsables de ces syndicats,
organisés par la Loi LANG de 1985, leur permettent
en effet de mener un lobbying des plus efficaces.
Pourtant, il ny a aucune justification au fait que
ces fonctionnaires ou contractuels de droit public bénéficient
de droits dauteur ou de droits voisins sur le travail
quils réalisent dans le cadre de leur mission
de service public et pour lequel ils sont payés.
Si lon devait choisir de maintenir des droits dauteur
ou des droits à rémunération secondaire,
en particulier pour ne pas fausser la concurrence, ces droits
devraient revenir à lÉtat ou à
létablissement public administratif employeur
afin de financer la culture et ne devraient pas être
personnellement appropriés par les auteurs ou artistes
interprètes déjà payés avec
des fonds publics, et qui nont pris aucun risque personnel
pour produire ou interpréter
Cette analyse sur les droits dauteur ne relève
pas de quelque errance intellectuelle, mais dune analyse
légale solide. Ces dysfonctionnements sont rendus
possibles grâce à lutilisation par le
ministère de la culture de la mécanique associative.
Les structures de droit privé fictives mises en place
à cette fin sont innombrables. La plupart des scènes
nationales, les centres chorégraphiques nationaux,
les centres dramatiques nationaux, les Fonds Régionaux
pour lArt Contemporain, peuvent être considérés
comme de véritables démembrements de ladministration
qui peuvent être lourdement sanctionnés sur
le plan pénal.
La plupart des artistes fonctionnaires du ministère
de la culture saccaparent donc à tort des droits
dauteur qui ne devraient revenir quà
lÉtat. Ce dernier est en mesure de demander
aux auteurs, metteurs en scène et chorégraphes
responsables de ces centres de rembourser lensemble
des sommes quils ont perçues à ce titre,
et cela sur les trente dernières années. Cest
plusieurs milliards de francs qui ont ainsi été
détournés.
C'est la raison pour laquelle le ministère a soin
de préciser, dans les décrets organisant les
établissements publics culturels quil sagit
dentreprises commerciales , lesquelles ne sont donc
pas régies par ces dispositions de la fonction publique
en matière de droit dauteur. Cette position
est pourtant théoriquement totalement indéfendable.
En effet, dun côté, il prétend
que les établissements relevant du service culturel
sont à but non lucratif et ne relèvent pas
dune activité commerciale et dautre part,
il crée ses établissements publics en leur
donnant expressément le statut détablissements
publics industriels et commerciaux. Il nous semble difficile
de croire à de la candeur.
Certains objecteront que c'est pour les besoins de la cause.
En effet, si les rémunérations étaient
trop basses, il serait impossible de faire face à
la concurrence internationale et de trouver des artistes
de valeur.
Si les règles de la fonction publique actuelle provoquaient
ce genre de problème, il faudrait soit réfléchir
à une loi instituant une exception culturelle au
régime de la fonction publique, mais qui le fasse
dans la transparence et sous le contrôle du Parlement,
soit concéder ces entreprises culturelles à
des entrepreneurs privés, dans le cadre dappels
doffres légalement organisés, ce qui
ninterdirait nullement de les subventionner
Cette solution aurait lénorme avantage de rendre
les gestionnaires responsables de leur gestion, ce qui a
en général des effets immédiats sur
le coût des productions. Bizarrement, on est en général
plus enclins à contrôler le budget dune
production artistique quand lon sait que les éventuels
dépassements simputeront dabord sur sa
propre rémunération et que lon se paie
en dernier .
© Roland LIENHARDT - 1998
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