Des sociétés dauteurs qui vivent la modernité
sur le mode de l'Ancien Régime
Dans un camembert donné, plus on découpe de
parts, moins la part attribuée à chacun est
importante. Celui qui a le pouvoir de découper le camembert
aura donc intérêt à limiter le nombre
de convives avec lesquels il se doit de le partager. Cest
ce quon appelle la " théorie du camembert ".
Dans les sociétés dauteurs, ceux qui tiennent
le couteau et fixent les règles de répartition
sont les plus anciens et les plus riches ; le nombre de parts
et de voix dans les votes est souvent lié à
lancienneté et au niveau de perception de droits.
Elles sont donc par nature conservatrices en ce quelles
ne peuvent que freiner larrivée de nouveaux ayants-droit.
Elles auront également tendance à limiter la
reconnaissance des nouveaux courants culturels et auront structurellement
du mal à intégrer les nouvelles techniques et
disciplines artistiques.
En conséquence, de nombreux auteurs ne sont pas reconnus
par ces sociétés, lesquelles perçoivent
néanmoins des droits auprès des utilisateurs,
mais sans les répartir auprès de tous leurs
auteurs réels, quand elles les répartissent
bien à des auteurs.
Les sociétés dauteurs françaises
qui se glorifient de leur rôle de bouclier contre le
copyright américain auquel on reproche de faire la
part belle au producteur, ne sont que de pieuses façades
au-delà desquelles règne beaucoup d'injustice
et diniquité. Nous verrons en effet dans le prochain
chapitre que les vrais bénéficiaires du droit
dauteur à la française, sont en fait...
les producteurs et éditeurs, et parfois des filiales
dentreprises américaines ou anglaises. De nombreux
auteurs français ne perçoivent dans la pratique
aucun droit.
La liste des auteurs non reconnus ou non rétribués
est longue. Certains sont des négations ou des oublis
très anciens, d'autres au contraire, très récents,
comme par exemple dans le multimédia. Nous le citerons
en premier car il incarne bien le décalage qui existe
entre ces structures vieillottes et les courants de la modernité
où il occupe le premier rang.
Le cas des auteurs duvres multimédia
L'uvre multimédia renvoit aussi bien aux créateurs
de cédéroms que de sites, dits " en ligne
", consultables sur le Web (l'Internet). Plus personne
aujourd'hui ne conteste sérieusement la nature duvre
de ces réalisations , sauf le ministère de la
culture et sa " créature ", SESAM.
SESAM, qui a été créée et continue
à être supportée par le ministère
de la culture a vocation à gérer les droits
dans le domaine du multimédia et à faire office
de guichet unique auprès des producteurs pour le compte
de ses associés, cest-à-dire la SACEM/SDRM
, la SACD , la SGDL SCAM et lADAGP .
Toutes ces sociétés qui gèrent les droits
dauteur et/ou les droits voisins des droits dauteur,
parfois elle-mêmes constituées uniquement de
sociétés, relèvent dun cadre juridique
spécifique organisé par le Code de la Propriété
Intellectuelle (CPI), code dans lequel on trouve lensemble
de la règlementation du droit dauteur. Ces sociétés
sont en principe contrôlées et parfois agréées
par le ministère de la culture.
Et bien, SESAM, dont ce devrait être pourtant le credo,
ne reconnaît pas la qualité duvre
aux cédéroms et autres créations multimédias,
se contentant de parler de " programme ",
feignant dignorer au passage quun programme peut
également être considéré comme
une uvre.
SESAM se borne à négocier les droits des uvres
préexistantes ayant vocation à être incorporées
dans ce quelle appelle des " programmes multimédias
", avec de surcroît une simple position d'intermédiaire
puisquelle n'a pas qualité à renégocier
les principes de cession en vigueur dans les sociétés
dauteurs qu'elle regroupe. Ainsi, la SACEM considère
que lutilisation de musique préexistante nécessite
une rémunération proportionnelle à lexploitation,
faisant en quelque sorte comme si lauteur dune
musique préexistante avait la qualité de coauteur
de luvre multimédia. SESAM délivrera
donc indirectement des autorisations pour des auteurs qui
se considèrent comme coauteurs, oubliant au passage
que le code de la propriété intellectuelle exige
que les coauteurs dune uvre de collaboration exercent
leurs droits dun commun accord . SESAM oublie donc de
reconnaître la qualité de coauteur, si ce nest
dauteur principal et unique, aux différents concepteurs
des uvres multimédias, au rang desquels il convient
dinclure les informaticiens, les designers graphiques,
les vidéastes, et éventuellement léditeur
qui sera souvent le seul auteur . En délivrant des
autorisations en infraction avec les dispositions légales
régissant cette matière, SESAM et les sociétés
dauteurs quelle représente se livrent quotidiennement
à ce quil convient dappeler des actes de
contrefaçon, et cela avec la bénédiction
du ministère de la culture...
Le cas des réalisateurs de phonogrammes
Le cas du réalisateur de phonogramme n'est pas très
différent du précédent, sauf qu'il s'agit
d'un oubli plus ancien qui remonte aux temps où les
techniques de studio ont redéfini le travail musical.
Le réalisateur est celui qui travaille avec lartiste,
et éventuellement les auteurs, à la réalisation
dun album. Il veillera à lunité
de lalbum, à sa coloration sonore, au choix des
musiciens, aux orchestrations, aux arrangements. Or, la personne
qui souvent, à partir d'une simple disquette informatique
contenant les partitions instrumentales, va diriger les batteries
de synthétiseurs et racks deffets, organiser
l'assemblage des voix, donner les indications dinterprétation
pour finir par sortir un produit sonore dans lequel un non
spécialiste aura souvent du mal à reconnaître
le point de départ, nest pas reconnue comme auteur
par la SACEM, à lexception toute récente
des disc-jockeys. Pourtant, les auteurs-compositeurs en conviennent
eux-mêmes, le travail réalisé aujourd'hui
en studio est considérable et déterminant. Il
opère une transfiguration de l'uvre initiale
et peut se comparer à ce titre à ce que dans
d'autres domaines, on reconnaît sous le désignation
" d'uvres d'adaptation ".
Les auteurs duvres dramatiques
Qui sont les auteurs de la représentation théâtrale
à laquelle vous assistez ? La réponse à
cette question n'est pas aussi évidente qu'il y paraît,
et là encore, il est étonnant de voir que le
droit français ne reconnaît pas forcément
les auteurs de théâtre.
Si les auteurs des textes de théâtre sont incontestablement
titulaires de droits d'auteurs et reconnus comme tels, il
convient de s'entendre sur l'étendue et la nature de
leurs droits. En effet, les metteurs en scène peuvent
également prétendre à la qualité
d'auteur. Ils sont maintenant acceptés à la
Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
(SACD) et l'AGESSA leur reconnaît la qualité
d'auteur. Les didascalies sont à la source du débat
juridique opposant metteurs en scène et auteurs de
textes de théâtre.
En effet, le metteur en scène nest-il qu'un "
simple " technicien appliquant les didascalies,
ou est-il l'auteur d'une mise en scène entrant dans
la catégorie des uvres dramatiques ou dramatico-musicales
? La question est importante puisque le CPI ne parle que des
uvres dramatiques et ne distingue pas texte et mise
en scène.
Écriture du geste et de l'espace dramatique, la mise
en scène est reconnue aujourd'hui par le public comme
une valeur ajoutée déterminante du spectacle
et présentée de fait par les médias comme
une uvre à part entière.
La comparaison avec laudiovisuel éclaire bien
le débat. Le réalisateur audiovisuel est présumé,
sauf preuve contraire, coauteur d'une uvre réalisée
en collaboration.
La loi lui organise des dispositions spécifiques et
énonce que " lorsque l'uvre audiovisuelle
est tirée d'une uvre ou d'un scénario
préexistant encore protégés, les auteurs
de l'uvre originaire sont assimilés aux auteurs
de l'uvre nouvelle ". Sans cette dernière
disposition, les auteurs d'un texte préexistant n'auraient
pas forcément la qualité de coauteur de l'uvre
audiovisuelle, uvre nouvelle par rapport à l'écrit.
Il n'existe aucune disposition semblable dans le CPI en matière
d'uvre dramatique et l'auteur d'un texte de théâtre
qui ne collabore pas avec le metteur en scène peut
en conséquence ne pas être considéré
comme coauteur du spectacle. Il y a donc dans ce texte l'illustration
spécifique de l'esprit général du CPI
: reconnaître aux auteurs qui ont su faire preuve d'originalité
des droits sur leur création.
De même que le texte de théâtre contient
des didascalies, le scénario d'une uvre audiovisuelle
comporte des indications de découpage, en séquences
et en plans ainsi que des indications de décors et
de mouvements de personnages. Alors, quelle différence
entre mise en scène de théâtre et réalisation
audiovisuelle ? Le réalisateur de cinéma travaille
sur un scénario qu'il n'a pas forcément écrit
lui-même, tout comme le metteur en scène. Or,
incontestablement, le réalisateur est considéré
comme le principal auteur de l'uvre audiovisuelle.
Il existe un argument qui permet de trancher cette question.
En effet, un photographe qui réalise une photo d'une
uvre dramatique doit en principe demander les droits
des auteurs des uvres préexistantes qu'il utilise
et qu'il adapte pour les faire passer d'un genre artistique
à un autre. A qui doit-il demander l'autorisation :
aux auteurs de la pièce vivante qu'il fixe sur sa pellicule
ou à l'auteur du texte original qui n'a de relation
avec la photo que si celle-ci est accompagnée d'une
légende faisant directement référence
au texte ou au titre du texte initial ? Le photographe fixe
la mise en scène, les décors, les costumes,
les comédiens. Il nous semble que l'auteur du texte
initial ne peut prétendre systématiquement à
des droits sur l'uvre photographique dérivée
.
Cette question est sérieuse au regard des pratiques
contractuelles actuelles régissant les rapports entre
les auteurs des textes des uvres dramatiques et les
metteurs en scène de ces uvres. Nous nous devons
de préciser qu'il n'existe quasiment pas de jurisprudence
déterminante sur cette question, ni dans un sens, ni
dans l'autre.
Les auteurs-musiciens-improvisateurs
S'il nest plus discutable qu'ils aient la qualité
dauteur, cette reconnaissance demeure trop souvent théorique.
Dans le domaine de la variété par exemple, ils
sont rarement reconnus comme tels et ne perçoivent
que fort peu de droits. Pourtant, celui qui signe luvre
et perçoit l'essentiel des droits se borne souvent
à écrire la mélodie et les grilles. Il
dirige ensuite les musiciens qui habillent véritablement
les uvres, lesquelles sont dans les faits largement
créées en studio et devraient normalement, si
les pendules des sociétés dauteurs voulaient
bien enfin se mettre à l'heure, recevoir la qualification
duvre de collaboration. Cest en effet linterprétation-écriture
qui donne à luvre sa véritable dimension
d'impact auprès du public. En matière de variété,
cette interprétation relève souvent de surcroît
dun véritable travail dauteur . Il y a
non seulement habillage mais également transfiguration
de l'uvre initiale.
Les réalités économiques font que les
tribunaux ont rarement à connaître ce genre de
conflits. Cependant, quelques procédures récentes
ont mis sur la table les revendications légitimes des
artistes-interprètes pour faire reconnaître leur
qualité de coauteur.
On retiendra l'exemple de ce trompettiste qui avait été
engagé pour réaliser un certain nombre dimprovisations
de jazz " dans le style de Louis ARMSTRONG "
autour de lenregistrement de Mademoiselle Chante le
Blues. Les morceaux de trompette ont été intercalés
entre les couplets de la chanson. Comme cela se pratique souvent
dans le domaine de la production phonographique de variétés,
les deux auteurs compositeurs de la chanson navaient
pas pris en compte lapport créatif du trompettiste
dans luvre et sétaient réservés
la qualité d'auteurs compositeurs dans leur déclaration
à la SACEM, comme sur les partitions de luvre
éditée.
Par la suite, le trompettiste a porté plainte pour
contrefaçon contre Didier BARBELIVIEN, en sa qualité
dauteur, Bernard SCHWARTZ, producteur du disque et Joël
CARTIGNY, réalisateur technique. La Cour de Cassation
a considéré que le rapport dexpertise
établissant la qualité dauteur du trompettiste,
ce dernier avait par conséquent la qualité de
collaborateur de luvre. Cette qualité existe
du reste indépendamment de toute déclaration
de luvre à la SACEM par le trompettiste.
La Cour a estimé que la reproduction dune uvre
de collaboration sans lautorisation des coauteurs suffit
à caractériser lélément
matériel de la contrefaçon. Elle a précisé
enfin quen matière de contrefaçon, il
appartient au contrefacteur dapporter la preuve de sa
bonne foi, seule possibilité déviter la
condamnation. Ainsi, labsence délément
intentionnel ne suffit pas à écarter la présomption
de mauvaise foi qui pèse sur le contrefacteur une fois
lexistence du fait matériel établie. Par
ailleurs, la Cour a précisé que le simple dépôt
de luvre à la SACEM par lauteur qui
" oublie " un de ses collaborateurs constitue
un acte dexploitation de luvre sans le consentement
de ce collaborateur, ce qui est constitutif du délit
de contrefaçon. Dans sa décision très
détaillée et fortement motivée, la Cour
de Cassation a donc cassé larrêt de la
Cour dAppel de Paris qui avait relaxé lauteur,
le producteur et le réalisateur. Elle a considéré
que le producteur et le réalisateur technique de lenregistrement
étaient également responsables de la contrefaçon.
Cet arrêt reconnaît donc bien la qualité
de coauteur à lartiste interprète qui
réalise une improvisation lors de lenregistrement,
dès lors que celle-ci est intégrée à
l'uvre finale et qu'elle en devient un élément
constitutif.
Cette valeur ajoutée décisive apportée
par les studios, via les musiciens qui improvisent ou les
réalisateurs qui produisent des effets, est de pratique
courante dans le domaine de la variété où
la musique écrite au départ est souvent, si
ce n'est simpliste, du moins sommaire. Ce mécanisme
fonctionne très bien dans la pratique car, s'il veut
travailler, le musicien a intérêt à ne
pas trop revendiquer sa qualité dauteur, comme
le nègre en littérature ou en politique.
Ainsi, les procès sont très exceptionnels et
n'ont lieu que lorsque le musicien a participé de façon
décisive à un succès musical et que lenjeu
financier est important.
Le trompettiste en question a également attaqué
le producteur et le réalisateur technique de lenregistrement
au motif que son interprétation avait été
enregistrée, reproduite et mise à la disposition
du public sans son autorisation et sans quil n'ait jamais
perçu de rémunération. En effet, aucun
contrat, ni feuille de présence navait été
conclu, lartiste ayant simplement encaissé la
somme de 2 000 F lors de lenregistrement .
Les arguments du producteur et de lauteur qui invoquaient
les usages professionnels existant dans la musique de variétés
ont montré combien la pratique était éloignée
des principes du droit français, et ce, d'autant qu'il
a fallu faire juger le conflit par la plus haute Cour de justice,
avec toutes les incidences financières dune telle
démarche.
Ce conflit montre une fois de plus le problème de l'adaptation
du droit à la spécificité du domaine
artistique. Quelle est la valeur dun droit quil
est si difficile de faire appliquer ?...
La SACEM/SDRM ne peut ignorer cette contrefaçon puisque
le pressage du disque fait lobjet dune autorisation
et du paiement des redevances. Il serait peut-être utile
que la SACEM, qui a reconnu et organisé les droits
des improvisateurs dans le cadre des représentations
publiques liées au spectacle vivant, intervienne également
au niveau de la reproduction. De plus, cette société
dauteurs étant cessionnaire des droits de reproduction,
ne se livre-t-elle pas à un acte dexploitation
non autorisée des uvres lorsquelle délivre
une autorisation de reproduction à un producteur pour
un disque comportant des improvisations pour lesquelles il
naura pas été reconnu de droits dauteur
à limprovisateur ?
Il nous semble dautant plus important pour la SACEM/SDRM
de corriger ce point, quun auteur pourrait hésiter
à attaquer un éditeur de crainte de compromettre
sa carrière, alors qu'il ne courra pas grand risque
à ce niveau en sattaquant à la SACEM...
Les chorégraphes dans la publicité, dans les
vidéomusiques, dans la mode...
Alors que la SACEM et la SACD perçoivent auprès
des chaînes de télévision des droits pour
les uvres audiovisuelles musicales et chorégraphiques,
la plupart des chorégraphes, ceux en particulier qui
travaillent pour la publicité, la vidéomusique
ou la mode ne perçoivent aucun droit. D'autres chorégraphes
se répartissent pourtant les droits. Il s'agira le
plus souvent des auteurs patentés, institutionnels
et fonctionnaires camouflés, dont un grand nombre ne
devraient même pas avoir de droits. La SACD, comme le
ministère de la culture et ses officines, considère
que seuls les chorégraphes qui illustrent une trame
dramatique ont la qualité dauteur . La plupart
des uvres chorégraphiées diffusées
sur les télévisions génèrent donc
des droits perçus par des chorégraphes subventionnés
qui ne créent quasiment rien dans le secteur qui les
rémunère, celui de laudiovisuel, de la
variété et de la communication.
Les auteurs de parodie
Le chansonnier ou l'imitateur qui emprunte une musique et
travestit le texte d'une chanson déjà connue
du public afin de commenter l'actualité ou de faire
rire n'a pas, selon la loi française, à recueillir
l'accord de l'auteur de l'uvre parodiée. Bien
qu'en principe, on ne puisse adapter une uvre protégée
qu'avec le consentement de son auteur, le droit français,
soucieux de préserver la liberté de la critique
et de la satire, admet que l'on puisse tourner en dérision
une chanson, un opéra, ou tout autre type duvre
sans qu'aucune autorisation ne soit nécessaire .
Il sera toutefois parfois préférable de solliciter
l'autorisation de lauteur initial, ce qui permet d'éviter
ainsi le risque de conflit. Juridiquement on ne parle plus
de parodie mais d'adaptation, bien que l'on continue à
utiliser les termes de parodiste et de parodie. L'adaptateur
doit, selon les juges, pouvoir jouir d'une " certaine
liberté ", sauf à manquer au devoir de
respect dû à l'uvre et de voir l'auteur
brandir son droit moral afin d'interdire l'adaptation qu'il
juge dénaturante. Il ne peut renoncer par avance au
respect de son uvre, mais les tribunaux se montrent
sur ce point assez tolérants . On pourrait penser que
le juge refusera de considérer comme nulle une telle
renonciation, au moins à titre de sanction du comportement
de l'auteur qui a accepté en connaissance de cause
l'adaptation satirique de son uvre et revient sur son
engagement.
Si le parodiste demande l'autorisation de lauteur de
luvre originelle, cela permettra au parodiste
et à l'auteur de conclure une convention de partage
des recettes issues de l'exploitation de l'adaptation. En
l'absence d'autorisation préalable, on peut se poser
la question de savoir si la perte du droit d'autoriser ou
d'interdire la parodie de son uvre fait également
perdre à l'auteur le droit de réclamer une rémunération.
En effet, la parodie qui a du succès peut être
source d'importantes rentrées pour le parodiste. L'auteur
de l'uvre parodiée, sans laquelle la parodie
n'aurait pas vu le jour, n'est-il pas en droit de réclamer
une part des résultats dexploitation ?
Habituellement on considère que le parodiste n'a aucune
obligation financière envers l'auteur originel. Imposer
une telle charge aux parodistes reviendrait à limiter
la possibilité de réaliser une satire. Imposer
une entente sur la rémunération serait implicitement
exiger une rencontre des deux parties que le législateur
a voulu éviter en dispensant le parodiste de solliciter
une autorisation.
La SACEM considère, quant à elle, qu'il est
normal qu'un auteur dont l'uvre est parodiée
perçoive une rémunération. Considéré
comme adaptateur, le parodiste perçoit en général
2/12ème des droits d'exécution publique, le
reste étant versé aux auteurs de l'uvre
originelle et à leur éventuel éditeur.
La SACEM nous a par ailleurs indiqué qu'au titre des
droits mécaniques, elle ne reversait en général
au parodiste que 12,5% des droits, le reste revenant à
l'auteur parodié. L'auteur de l'uvre originelle
est considéré par la SACEM comme un coauteur
de la parodie et reçoit à ce titre une partie
conséquente des revenus. Si le principe d'un partage
après coup semble le plus juste, les taux appliqués
d'autorité par la SACEM sont inéquitables et
réservent, encore une fois, la part belle au passé
sur le présent.
Surtout qu'en droit pur, le parodiste, qui nest légalement
soumis vis-à-vis de lauteur de luvre
initiale à aucune autorisation ni obligation financière,
peut en principe exiger dêtre considéré
comme unique auteur de son uvre et percevoir seule la
totalité des droits dexploitation de cette uvre.
Il pourrait donc exiger de la SACEM dêtre le seul
signataire (accompagné éventuellement de son
éditeur) du bulletin de dépôt de luvre.
Ces auteurs qui financent les productions
Le système français du droit dauteur,
présenté comme hyper protecteur des auteurs,
permet dans la pratique de surprotéger les producteurs.
Il ne protège correctement les auteurs que lorsquils
ont atteint un niveau de notoriété suffisant
pour exiger le respect de leurs droits. A ce stade, les auteurs
auront souvent eux-mêmes la capacité dêtre
également producteur et dutiliser le système
pour profiter des auteurs nayant pas leur niveau. Mais
avant datteindre ce stade, que de couleuvres à
avaler.
Ainsi, dans le domaine du cinéma, la plupart des musiques
sont réalisées dans le cadre de commandes. Lauteur
nest pas payé pour faire la musique du film.
En principe, lauteur de la musique dun film perçoit
par le biais de la SACEM une rémunération proportionnelle
au nombre dentrées réalisées par
le film. Il reçoit ensuite une rémunération
lors de la diffusion du film à la télévision
et pour les autres exploitations. Le compositeur nétant
guère disposé à patienter jusquà
la sortie du film pour être payé, il demande
à recevoir une rémunération pour son
travail de création. Cette somme est souvent versée
par léditeur. En contrepartie de cette avance
sur les droits dauteur, léditeur se fait
céder 50 % des droits de reproduction et 1/3 des droits
de représentation.
Cette avance est ensuite récupérée directement
auprès de la SACEM, lauteur signant une délégation
de créance permettant à léditeur
dencaisser directement ses droits dauteur. Celle-ci
porte alors obligatoirement sur tous les droits perçus
pour le compte de lauteur par la SACEM. Cela signifie
que si le film fait un bide total, les droits dauteurs
récoltés par lauteur du fait de lexploitation
de ses autres uvres vont servir à rembourser
lavance consentie par léditeur ou le producteur.
En dautres termes, si le film ne marche pas, non seulement
lauteur naura pas été payé,
mais il devra payer pour rembourser largent mis à
sa disposition pour lui permettre dêtre disponible
pour lécriture de la musique.
La part réservée aux auteurs dans les budgets
de films
La conception du droit d'auteur, très ancienne dans
le monde anglo-saxon, s'avère fondamentalement différente
aux États-Unis de celle en usage en France. Chez nous,
l'auteur d'une uvre, quelle soit cinématographique
ou littéraire, dispose en théorie d'un certain
droit de regard sur l'utilisation ultérieure qui pourra
en être faite (le droit moral). Un droit qui, le plus
souvent, s'avère intellectuellement confortable mais
peu viable économiquement. Il suffit, pour s'en rendre
compte, de comparer les émoluments octroyés
aux auteurs français et américains. Exceptée
pour quelques stars du système, la rémunération
globale s'avère généralement peu consistante.
Quand on cherche à obtenir des chiffres concernant
les droits octroyés aux auteurs de moyens et longs-métrages,
on se heurte très vite au flou le plus total. Non,
sans raison dailleurs ! Lorsquon compare les systèmes
américains et français, on remarque une différence
fondamentale.
Aux États-Unis, tous les auteurs sont suivis et pris
en main par un agent. Sans lui, aucune carrière sérieuse
nest envisageable. Il ne se contente pas de représenter
des " poulains " au sein dune grande
famille, il gère une véritable écurie
dauteurs dont il est le partenaire dynamique et indispensable.
A lui, de trouver les contacts, les idées, les fonds,
de rentabiliser au mieux leur travail et de démarcher
efficacement de nouveaux créneaux porteurs. Sa démarche
est littéralement commer-ciale !
En conséquence, le marché américain est
relativement homogène et stable, et la plupart des
auteurs y vivent généralement bien. Ils bénéficient
de vrais revenus et connaissent un confort moral et économique
dont ne semblent apparemment pas bénéficier
nombre de leurs homologues français.
En France, beaucoup dauteurs se contentent de négocier
au mieux (ou au pire ?) leurs droits, et demeurent souvent
de fait les acteurs passifs de leur propre carrière.
En règle générale, la rémunération
octroyée à lauteur se négocie selon
deux composantes : dabord une rémunération
calculée proportionnellement aux recettes nettes de
production, et ensuite, une avance minimum garantie qui simpute
sur ce pourcentage et nest en général
pas remboursable.
Le Centre National de la Cinématographie (CNC) présente
dailleurs ces deux rémunérations dans
le sens inverse. En effet, étant donné les modalités
de calcul pratiques du pourcentage, la plupart des auteurs
nont la perception concrète que du minimum garanti.
Nous avons pu dégager quelques chiffres révélateurs
du système. Prenons un film dont le budget sélève
à 15 MF, ce qui est nettement en dessous de la moyenne.
Un jeune auteur confirmé peut espérer obtenir
une garantie de 150 000F, " améliorée "
de 0,5% des recettes nettes de production avant équilibre,
et agrémentée (parfois) de 1,4 % après
équilibre. Tel autre auteur obtiendra seulement 10
000 F de garantie + 0,4 % de la R.N.P.P. . Un auteur non confirmé
se contentera de 1 000 F et de 0,1 % de la R.N.P.P. Quant
aux vedettes de la création, elles se vendront parfois
pour 1 ou plusieurs millions de francs dà-valoir
sur un pourcentage de 5 à 10 %.
Comme on peut le voir, le système actuel tient beaucoup
plus de la jungle économique que dun quelconque
cadre défini et sécurisé.
Aux États-Unis, on considère que l'idée
initiale (ou originelle) n'est en fait qu'un matériau
modulable qui, au fil du temps et au gré des intervenants
extérieurs va se transformer, s'adapter, se prêter
aux demandes et exigences diverses. Cette " pâte
à modeler " initiale sera bien évidemment
une des composantes essentielles des droits à payer.
Mais d'autres éléments interviendront ensuite
comme la notoriété de l'auteur, les recettes
espérées et la concurrence avec d'autres producteurs
intéressés par le produit.
Cette notion de malléabilité issue du Copyright
Act établi en 1912 (auparavant, les uvres cinématographiques
n'étaient pas protégées) autorise une
très grande latitude quant à l'utilisation exhaustive
de l'uvre.
L'adaptation d'un best-seller commeThe horse whisperer s'est
négociée trois millions de dollars, uniquement
en droits d'adaptation.
Le scénario de Basic Instinct a atteint 3 millions,
The long kiss Goodnight de S.BLACK, 4 millions et L'arme fatale
n'a obtenu " que " 400 000 dollars. La plupart
des autres romans populaires très demandés séchelonnent
entre un et deux millions de dollars avec un tarif plancher
d'environ 250 000 dollars. Pour exemple, le record revient
à l'adaptation de Scarlett, la suite de Autant en emporte
le vent , négociée à 8 millions de dollars
!
L'estimation de ces " premiers " droits dépend
d'abord de l'environnement général. Lorsque
l'époque est faste et que les spectateurs se bousculent
aux guichets, l'importance de l'histoire est moindre, et donc,
la part attribuée aux auteurs le sera aussi. Dans le
cas contraire (surproduction et/ou désaffection du
public), le scénario devient une des pièces
maîtresses du succès d'un film.
Les droits se négocieront alors à la hausse.
Ensuite seulement, vient la notoriété du scénariste.
Ainsi Jonathan LAWTON, parce qu'il était encore relativement
inconnu dans le circuit, na touché que 150 000
dollars pour le scénario de Pretty Woman. Le film obtint
le succès que l'on connaît. Son scénario
suivant, Piège en haute mer, lui est payé 1,3
million !
Enfin, la mise aux enchères éventuelles d'un
scénario entre agents artistiques génère
un impact non négligeable sur le montant global de
ces droits. Il sera alors vendu au plus offrant et cette surenchère
profitera autant à l'auteur qu'à son agent.
Seconde composante des droits " made in U.S ",
une somme forfaitaire est souvent allouée à
l'auteur pour lui permettre de travailler sur le projet. Cette
somme est fonction de la durée estimée du travail
et de la notoriété de l'auteur. Pour exemple,
l'écriture d'un scénario a été
payée 600 000 dollars à un écrivain connu
pour ses best-sellers.
Pour finir, l'auteur obtiendra éventuellement un intéressement
aux résultats du film. Il est très difficile
d'obtenir des chiffres vérifiables mais l'exemple des
droits payés au scénariste Joe ESZTERHAS (Basic
Instinct, Showgirls, Jade...) donne une petite idée
des confortables émoluments que peut obtenir un auteur
à succès outre-Atlantique.
Selon une estimation digne de foi, Joe ESZTERHAS aurait touché
3,4 millions de dollars de droits d'auteur pour un film, dont
1,5 million pour le script et presque 2 millions pour le temps
passé à l'écriture, plus un intéressement
aux recettes.
En conclusion, les droits des auteurs américains s'avèrent
en général très largement supérieurs
(sans commune mesure, pourrait-on écrire !) à
ceux de leurs homologues français.
Le droit dauteur à la française enraciné
dans le droit moral, est incapable dassurer aux auteurs,
dès lors qu'ils ne sont pas têtes d'affiches,
des revenus et une reconnaissance décente au regard
de leur marché.
Quand lon sait que lÉtat est directement
ou indirectement le premier producteur de France, on comprend
mieux lintérêt des fonctionnaires du ministère
de la culture à entretenir ce mythe du droit dauteur
à la française, où l'on proclame beaucoup
et où l'on fait très peu...
© Roland LIENHARDT - 1998
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