Dans une période où l'opinion et l'électorat
ont mis les élus et les pouvoirs publics sous haute
surveillance, beaucoup de responsables s'interrogent sur
les modes de gestion des lieux culturels.
Il n'est pas inintéressant de rappeler les principaux
délits encourus par des agents de l'État qui
tirent parti de leur charge pour servir des intérêts
étrangers à leur mission publique et les recours
permettant de sanctionner de tels comportements.
La prise illégale d'intérêt - anciennement
qualifiée de " délit d'ingérence
".
Ce délit sanctionne un agent public qui prend un
intéressement quelconque, par voie directe ou indirecte,
dans une opération, un acte ou une entreprise dont
il a la surveillance. Un tel délit peut ainsi se
produire à l'occasion de l'attribution d'un marché
public ou d'une délégation de service public,
portant par exemple, sur la gestion d'un lieu culturel.
L'article 432-12 du nouveau code pénal dispose que
" le fait pour une personne dépositaire de l'autorité
publique ou chargée d'une mission de service public
ou par une personne investie d'un mandat électif
public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou
indirectement, un intérêt quelconque dans une
entreprise ou dans une opération dont elle a, au
moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer
la surveillance, l'administration, la liquidation ou le
paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500
000 F d'amende ".
Pour quil y ait délit, l'agent public doit
d'abord avoir pris, reçu ou conservé un intérêt
quelconque dans l'opération concernée.
L'intérêt retiré peut être direct.
Ce sera le cas si l'agent public passe un contrat avec l'entreprise
dont il est le dirigeant ou dans laquelle il a des intérêts.
L'intérêt peut également être
indirect, retiré par le biais d'une ou plusieurs
personnes interposées. Cela sera le cas si l'agent
public avantage une société dans laquelle
un membre de sa famille est partie prenante.
Généralement le délit est lié
à un intérêt pécuniaire. Toutefois,
la jurisprudence précise qu'il y a également
délit lorsqu'il existe un intérêt moral
entre l'agent et l'entreprise. Ainsi, si Raymond BARRE mentionne
son nom et sa qualité de président sur les
plaquettes luxueuses et les programmes édités
par l'Opéra de Lyon, c'est certainement qu'il y trouve
un intérêt personnel au niveau de sa communication.
Il est dailleurs étonnant de voir le nom de
Raymond BARRE figurant en qualité de chef dentreprise
sur un catalogue commercial de production de disques glané
sur un stand dun grand salon professionnel.
L'intérêt de l'élu peut être moral,
politique ou affectif . Ainsi le fait pour un élu
de recruter son conjoint ou son enfant, soit dans les services
de la collectivité, soit dans la structure dans laquelle
il a un rôle prépondérant est constitutif
du délit de prise illégale d'intérêt.
Dans ce domaine, le simple fait quun fonctionnaire
ait pris un intérêt quelconque dans une entreprise
dont il avait la surveillance suffit à constituer
linfraction. Peu importe que le fonctionnaire ait
ou non réalisé un bénéfice ,
ou quil ait ou non tenté de frauder .
La fonction de l'agent doit également être
liée à l'administration ou la surveillance
de l'opération ou de l'acte concerné. C'est
le cas lorsque l'agent décide ou participe à
la décision relative à l'affaire ou à
l'entreprise, par exemple en prenant part au vote d'une
délibération d'un conseil municipal concernant
l'attribution d'un marché public ou d'une concession
de service public. Ces notions de surveillance et d'administration
sont entendues au sens large. Elles englobent les cas où
l'agent en cause dispose de simples pouvoirs de préparation
ou de proposition de décisions prises par d'autres,
et ce parce que ses attributions lui permettent d'influencer
la décision.
Notons également que l'intention frauduleuse n'a
pas à être prouvée pour caractériser
le délit de prise illégale d'intérêt.
Sanctions et exceptions :
L'agent public peut être condamné à
cinq ans d'emprisonnement et à 500 000 F d'amende.
Peuvent s'y ajouter des peines complémentaires, notamment
l'inéligibilité.
Prescription du délit :
3 ans partant de la date de la prise d'intérêt
et non du moment où elle a été rendue
publique. Le Code pénal prévoit une exception
s'agissant des actes d'un montant de moins de 100 000 F
passés par des communes de moins de 3 500 habitants.
Les nombreuses associations et entreprises créées
et dirigées par des fonctionnaires ou des élus
dans le domaine culturel sont propices à la consommation
de ce délit. En effet, pourquoi ces élus et
ces fonctionnaires tiendraient-ils tant à faire partie
des conseils dadministration et bureaux de ces associations
si ce nest par intérêt personnel ? Le
pouvoir détenu par ces fonctionnaires et élus
au sein de ces associations et institutions culturelles
leur permet en effet de parfaire leur mainmise sur leur
clientèle et de développer à bon compte
leur communication. Cela leur permet aussi de placer leurs
protégés aux emplois créés par
ces associations. Cela offre enfin aux élus l'avantage
de pouvoir intervenir sur le marché sans avoir à
respecter les procédures dappel doffres
et de favoriser ainsi leurs relations et connaissances dans
les choix artistiques ou autres opérés par
ces institutions culturelles.
Pourquoi Jack LANG est-il une des personnalités les
plus populaires de France ? Cest grâce à
limmense pouvoir dun homme qui a dirigé
et contrôlé des centaines dentreprises
" privées " depuis son bureau ministériel
et qui a magistralement su communiquer à travers
elles.
L'État, par l'intermédiaire du ministère
public (son représentant devant les tribunaux) peut
saisir le tribunal correctionnel afin de solliciter la répression
des cas de prise illégale d'intérêt.
Tout citoyen peut informer le Procureur de la République
près du tribunal correctionnel, permettant ainsi
d'attirer l'attention du ministère public sur certains
faits délictueux et déclencher l'action publique,
laquelle consiste à demander au juge l'application
des peines prévues par le code pénal à
l'encontre du contrevenant.
Par le biais de l'action civile, il est également
possible de saisir le tribunal répressif en cas de
prise illégale d'intérêt. À la
différence de laction précédente
que l'État peut seul mettre en uvre, l'action
civile appartient à toute personne qui peut faire
valoir un préjudice causé par l'auteur de
l'infraction. Elle peut être engagée par une
commune. Le conseil municipal délibère sur
les actions à intenter au nom de la commune, représenté
par le maire .
Les contribuables d'une commune, fussent-ils constitués
en association de défense, ne peuvent en revanche
se constituer partie civile . Au niveau communal, le contribuable
peut toutefois exercer l'action que possède la commune
elle-même, en cas de refus ou de négligence
d'exercer elle-même l'action . Pour cela il doit transmettre
sa requête au maire qui doit la communiquer sans délai
au conseil municipal. En cas d'inaction de la commune, le
contribuable doit adresser sa demande au tribunal administratif,
lequel a alors deux mois pour statuer. À défaut
ou en cas de décision de refus, le requérant
peut se pourvoir dans le délai d'un mois, le Conseil
d'État devant statuer dans les trois mois de l'enregistrement
du pourvoi . L'autorisation de la juridiction administrative
ne sera accordée que si l'action pénale n'a
pas été entre temps engagée par la
commune .
Il n'existe aucune action similaire ouverte au contribuable
au niveau régional, départemental ou étatique.
Il s'agit là d'une importante lacune de la loi qu'il
y a vraiment lieu de déplorer.
Les syndicats professionnels peuvent exercer l'action civile
devant le tribunal correctionnel en cas de prise illégale
d'intérêt. Mais l'existence d'un préjudice
direct ou indirect à l'intérêt collectif
de la profession qu'il représente est indispensable.
Le dommage peut être matériel ou moral, direct
ou indirect (dommage par ricochet). Ce trouble doit être
susceptible d'être ressenti par chacun des membres
du syndicat et nuire à la profession toute entière.
Ainsi la Cour de Cassation a t-elle jugé un syndicat
d'ingénieurs-conseils recevable à demander
au juge pénal la réparation du préjudice
indirect causé à l'ensemble de la profession,
par les agissements d'un fonctionnaire municipal directeur
des services techniques qui, exerçant également
la profession d'ingénieur-conseil, s'est rendu coupable
du délit de prise illégale dintérêt.
La responsabilité des membres du gouvernement
S'agissant de délits commis par des membres du gouvernement
dans l'exercice de leurs fonctions, ils sont jugés
par la Cour de Justice de la République et non par
les juridictions de droit commun.
Leur responsabilité ne peut être engagée
devant cette cour que par une plainte adressée par
la victime du délit auprès dune commission
des requêtes, (laquelle ordonne soit le classement
de la procédure, soit la transmet au procureur général
près la Cour de Cassation aux fins de saisine de
la Cour de Justice de la République), soit par le
procureur général près la Cour de Cassation,
après avoir recueilli l'avis conforme de la commission
des requêtes .
Il peut être intéressant de savoir que la Cour
est composée de 15 membres, dont 12 parlementaires
élus à part égale par lAssemblée
Nationale et le Sénat et seulement 3 juges professionnels.
Les juges se prononcent à bulletin secret.
©
Nodula - Roland LIENHARDT - 1998
|