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Chaque mois, l'essentiel de l'actualité du droit et de la gestion de la création artistique
  
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Une conception purement décorative de la loi

Pourquoi veiller à la cohérence de la réglementation quand on n’a pas l’intention de l’appliquer - Des strates de réglementations contradictoires s’appliquent à la culture du fait de l’absence de travail juridique sérieux de ce ministère et de son manque d'intérêt pour l'État de droit - Le ministère de la culture ne contrôle pas grand-chose - Comment tout cela relève d'une stratégie délibérée lui permettant d'asseoir son pouvoir.

La culture a un trop-plein de réglementation


Dans chaque ministère, il existe en principe un service juridique qui encadre le travail de l’ensemble de l’administration. Ainsi, les lois qui entrent en application sont signées par toute une série de ministres qui ont chacun veillé à ce que les textes prennent bien en compte les particularités des secteurs dont ils ont la charge.

Curieusement, le ministre de la culture est la plupart du temps absent de ce travail de mise en place réglementaire. Cette adaptation ne semble pas l'intéresser. Il est vrai qu'on ne peut pas tout faire. Ses services juridiques sont trop occupés à mettre en place des contrats pour ses activités de production, avec ces derniers temps une prédilection pour les cédéroms, activités qui ne relèvent pourtant pas par essence de ce que l'on attend des services de l'État.
Si les différents bureaux du ministre devaient travailler à la bonne élaboration des règles de droit concernant les secteurs artistiques dont ils ont la tutelle, ils n'auraient plus le temps de faire de l'art.

Conséquence de ce désintérêt du ministère de la culture pour le domaine réglementaire, il existe un enchevêtrement de règles élaborées par les autres ministères qui s’appliquent aussi à son domaine de compétence sans que les adaptations nécessaires aient été conçues par les intéressés pour les rendre applicables, ou simplement compréhensibles.

Ainsi la loi sur le travail clandestin et la Déclaration Préalable À l'Embauche (DPAE) est-elle très régulièrement contournée dans les secteurs de la culture. Il suffit d'émettre une DPAE tous les quinze jours. On peut ainsi faire face à un contrôle de l'inspection du travail ou à un accident du travail. On établit ensuite une fiche de paie pour une ou deux journées alors que le salarié a travaillé pendant un mois plein. Et le tour est joué ! En cas de problème, on établit en fin de mois la fiche de paie jusqu’au jour du contrôle ou de l’accident. On est ainsi armé pour faire face à toutes les situations. Étant donné que les entreprises privées des fonctionnaires du ministère de la culture cassent les prix et faussent les marchés dans le dessein de se les accaparer, il devient impossible, dans de nombreux secteurs artistiques, de vendre un spectacle à son prix réel en payant les répétitions.

On comprend donc que les agents du ministère n'aient aucune envie de veiller à la cohérence du droit dans les secteurs de la création.

En matière de licence d'organisateur de spectacles, par exemple, le ministère de la culture a développé une pratique de censure artistique, politique et syndicale qui permet d'écarter les indésirables cherchant à s'intégrer légalement à la profession. On demande en effet aux candidats à la licence de dévoiler leurs projets artistiques à une commission composée de professionnels concurrents du demandeur... et de syndicalistes dont le lien réel avec les secteurs du spectacle n’est pas toujours évident. Si vous refusez de vous plier à cette exigence, les commissions ne rendront pas leur avis et votre dossier ne sera pas traité. De plus, vous serez très mal vu des institutions.
Vous voilà alors dans l'impossibilité d'avoir une activité de producteur de spectacles légale. À l'opposé, si vous ne salariez pas les artistes et techniciens et n'avez recours qu'à des travailleurs dissimulés, le bureau des licences vous rétorquera que vous n'avez pas besoin de licence et que vous ne relevez pas de leur contrôle (véridique).

Alors que la licence de spectacles n'a été instituée que pour veiller au respect des lois sociales dans un domaine où il est facile de les contourner, on subordonne son renouvellement à une attestation du Fonds National d'Action Sociale, comité d'entreprise commun aux entreprises de spectacles des fonctionnaires du ministère de la culture, créé dans le cadre de la convention collective du SYNDEAC, organisation à laquelle il n’est aucunement obligatoire d’adhérer. Le FNAS est simplement contrôlé par la CGT...

On suspendra également le renouvellement d'une licence à une attestation de paiement de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques alors que cette société est une entreprise privée qui peut avoir des positions partisanes et corporatistes non conformes avec les principes du droit d'auteur et à laquelle il n’est en principe pas obligatoire de s’adresser.

Les responsables du ministère de la culture, quand ils acceptent de vous répondre, vous expliquent que tout cela est dans l'intérêt de la culture. C'est surtout et avant tout dans leur intérêt propre, ainsi que celui de ceux qui ont mis en coupe réglée ce ministère et ses satellites.

L'incohérence généralisée de ce que l'on peut appeler le " non droit " du secteur culturel donne naissance à des " statuts " inimaginables. Ainsi, celui d'un auteur qui bénéficiera de l'aide à la création d'entreprise alors que les revenus de cet auteur seront assimilés fiscalement à des salaires, soumis à la TVA et que cet artiste-auteur pourra en même temps continuer à percevoir des ASSEDIC au titre de l'annexe " spectacle ", tout en étant éventuellement salarié permanent dans un conservatoire municipal .

Autre exemple absurde, un journaliste titulaire de la carte professionnelle perdra son statut de journaliste s’il a le malheur d’écrire un livre qui lui fera gagner des droits d’auteur supérieurs à ses salaires de journaliste. Un rédacteur en chef d’un journal qui a par ailleurs d’autres activités et qui en tire la majorité de ses revenus se verra également refuser sa carte de presse !

Toujours dans le domaine du spectacle qui est une profession réglementée, les greffes des tribunaux de commerce pourront refuser l'immatriculation d'une entreprise qui ne fournit pas sa licence d'entrepreneur de spectacles. Le problème, c'est que pour avoir la licence, il est nécessaire de fournir le K-Bis, c'est-à-dire le certificat d'immatriculation au greffe... Tout cela laisse place à un arbitraire total.

Cette incohérence permet au ministère et aux responsables des différents syndicats qui siègent dans les commissions des licences, après y avoir été nommés par le ministère lui-même, d'appliquer les textes à la lettre quand cela les arrange ou de bloquer la délivrance de la licence à un indésirable, pour des raisons économiques, politiques ou syndicales. L'incohérence du droit laisse son application à l'appréciation discrétionnaire du pouvoir. C'est ce qu'en d'autres temps, on dénonçait sous le nom de tyrannie...

Cet état de fait est d'autant plus absurde qu'en matière de spectacles, si on choisit d'agir dans le cadre d'une association loi 1901, ce qui est en principe illégal pour du spectacle professionnel, et si vous informez le ministère que vous ne comptez pas salarier les artistes, (ce qui sera le plus souvent du travail clandestin), vous pouvez très bien vous passer de la licence et ne jamais encourir de contrôle...

Pour l'essentiel, les lois ne servent au ministère qu'à créer des situations inextricables qui lui permettent, en définitive, de faire comme il l’entend. Le droit sert à décorer et à communiquer. Plus les choses sont rendues complexes, plus il est valorisant pour l'agent de l'État d'intervenir, et plus il est facile de faire admettre certaines transgressions ou arrangements.

Le contrôle du ministère de la culture ne sert qu’à défendre ses prérogatives

Alors que la presse se fait depuis quelque temps l'écho des problèmes de gestion posés par certaines sociétés d’auteurs ou d’artistes (ainsi de l’ADAMI et de la SACEM), il est intéressant de regarder comment s'est exercé le pouvoir de contrôle que le ministère détient sur ces sociétés. Comment se fait-il que lui aussi tombe des nues devant des manquements graves, voire des délits, dont ses rapports réguliers n’avaient jamais fait état ?

À titre d’exemple, le Code de la Propriété Intellectuelle énonce clairement que les projets de statuts et de règlements généraux des sociétés de perception et de répartition des droits sont adressés au ministre chargé de la culture. Celui-ci dispose alors d'un délai d'un mois pour saisir le Tribunal de Grande Instance et s'opposer éventuellement à la constitution d'une société s'il considère qu'il existe des motifs réels et sérieux de s’opposer à la constitution d’une société.

Ces textes ont une fonction uniquement décorative. Il faut bien faire croire qu'il existe une réglementation et le ministère n'a jamais pensé qu’il pourrait avoir à s'en servir. La preuve, c'est qu'il n'existe aucun arrêté, aucune circulaire, rien qui vienne organiser l'application de cette disposition datant pourtant de 1985. Le ministère n'a jamais sérieusement envisagé l'hypothèse qu'une société d’auteurs puisse se créer sans son aval et surtout, hors de son initiative.

Les sociétés d’auteurs sont pourtant des entités privées, régies par le code de la concurrence. Elles sont devenues de fait les pièces maîtresses de l'emprise financière qu'exerce le ministère sur les professionnels de la culture.

C'est ainsi que la société GRACE a envoyé comme il se doit le dossier préalable à sa création rue de Valois, siège du ministère de la culture. Les services du ministère étaient si loin d'imaginer une telle initiative, qu'ils ont mal aiguillé le dossier, lequel est resté enterré dans un bureau pendant que courait le délai durant lequel il aurait pu s’opposer à sa création.

Quand le sous-directeur des affaires juridiques a compris de quoi il en retournait, il était trop tard, si ce n'est pour insister auprès des auteurs du projet pour qu’ils renoncent à le mener à terme et en modifient la nature.
GRACE existe maintenant suivant sa vocation prévue de société d’auteurs, d’artistes et de producteurs, depuis juillet 1996 (bien que toujours en phase de préparation). Le ministère de la culture ignore superbement son existence, ne l'invite pas à ses concertations et continue à ne communiquer ses informations qu'aux seules sociétés d’auteurs " labellisées culture ". La ministre ment même régulièrement quand elle annonce à la presse qu’il n’existe qu’une seule société d’auteurs pour le multimédia .

Le ministère de la culture ne supporte visiblement pas qu'une part, même minime du marché du droit d'auteur et des droits voisins, échappe à son giron. GRACE ne communique avec le ministère de la culture que dans le strict respect des dispositions légales, étant de force obligé à considérer celui-ci non comme son administration de tutelle, mais comme le plus redoutable de ses concurrents.

C'est ainsi que, respectant les dispositions de l'article L. 321-12 du Code de la propriété intellectuelle. GRACE communique ses comptes annuels au ministère, mais les textes ne prévoient pas de délai pour cette communication des comptes. Une société civile peut donc très bien ne communiquer ses comptes que lorsque le ministère les lui demande. C'est bien là une autre preuve que les textes organisant le contrôle des sociétés d’auteurs sont un outil purement décoratif.

De nombreuses dispositions de la loi de 1985, dite Loi Lang, qui a profondément réformé le droit d'auteur, les droits des artistes-interprètes et des producteurs ne sont encore pas entrées en vigueur, ou alors n'ont pas été appliqués par les professionnels du fait de leur incohérence et inadéquation totale aux réalités.

Les syndicats professionnels sur lesquels s'appuie le ministère de la culture, et dont il honore très régulièrement les responsables, ne sont en effet pas toujours très représentatifs des réalités du métier, si ce n'est par l'incompétence qu'ils démontrent dans le domaine de la gestion, et une grande habileté à manier le non-droit.

C'est sur tout ce fatras réglementaire que le ministère de la culture assoit son emprise sur le culturel. Dans ce brouillard, il peut intervenir comme il l'entend. En général pour caresser ses féaux dans le sens du poil, mais au besoin pour verser les poisons quand il s'agit de faire disparaître des entités ou des groupes qui, sans même nécessairement s'opposer à lui, commettent le crime de lèse-majesté de ne pas faire allégeance et de garder leur liberté de ton. On verra plus tard ce qu'il est advenu de la SPADEM , société créée pourtant au siècle dernier et qui a eu la malheureuse initiative de reprocher au ministère de la culture de ne pas faire son travail.

La défense des auteurs, des artistes et des producteurs ne préoccupe pas vraiment les fonctionnaires du ministère. La seule chose qui les intéresse, c'est de sauvegarder leur territoire et leur pouvoir. L'application stricte et globale des principes généraux du droit dans un système qui s'en est totalement écarté aurait sans doute pour conséquence d'ouvrir une crise grave. Mais cette crise nous semble aujourd'hui le seul moyen pour qu'un air neuf puisse à nouveau souffler sur la création française.

 

© Roland LIENHARDT - 1998

 
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